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Traduire le monde : Les Bagdadis?

André Racicot
(L’Actualité langagière, volume 1, numéro 2, 2004, page 23)

Les Bagdadis, vous connaissez? Il s’agit du nom des habitants de Bagdad inventé par les journalistes. Inventer un gentilé? Voilà certes une initiative qui mérite d’être encouragée, car les habitants des contrées étrangères n’ont que trop rarement de nom dans notre langue. Mais, étonnamment, les gentilés que proposent nos scribes pour le Moyen-Orient comportent tous le suffixe « i ». C’est ainsi que défilent sous nos yeux interloqués Bagdadis, Qataris, Émiratis et autres Kaboulis. Inutile de préciser que cette altière voyelle qu’est le « i » ne fait pas partie de l’arsenal des suffixes français.

Faut-il en déduire que le nom des habitants du Moyen-Orient se forme en ajoutant un simple « i » au nom de ville ou de pays? Ce serait trop beau. Et peut-être un peu trop simple. Car, à bien y penser, ce n’est pas ainsi que l’on écrit habituellement les noms moyen-orientaux. Autrement, nous aurions des Cairis pour les habitants du Caire… sans oublier les Afghanis et les Iranis… Ouf!

D’ailleurs, un simple coup d’œil au dictionnaire confirme nos doutes. Point de Bagdadis, mais plutôt des Bagdadiens, Qatariens, Émiriens et Kabouliens. Mais dans quelle oasis ont donc puisé nos amis journalistes pour trouver tous ces noms avec finale en « i »? La réponse est simple : dans les langues locales.

Et il y a au moins deux bonnes raisons d’être tenté de le faire : 1) les dictionnaires français sont avares de gentilés pour les toponymes étrangers; 2) il est tentant d’aller emprunter des noms d’habitants en arabe, en pachtoune ou en dari pour donner une couleur locale à ses articles, quand ce n’est pas pour faire savant…

Ce qui amène la question suivante : peut-on librement emprunter les noms d’habitants des autres langues? Certes oui, puisque le français, à l’instar de toutes les autres langues, puise abondamment dans le corpus étranger. Mais les emprunts deviennent beaucoup moins justifiés lorsque des gentilés existent déjà en français. Le cas le plus intéressant de double, voire de triple emploi, est celui de Qatari, qui livre une belle lutte à Qatariote, qui lui-même a une bonne longueur d’avance sur Qatarien, pourtant consigné dans les dictionnaires.

Il est vrai que le français importe parfois des gentilés des autres langues, mais à certaines conditions. Tout d’abord, il faut que le lecteur francophone puisse reconnaître le toponyme d’origine. S’il est clair qu’un Cairote est un habitant du Caire et qu’un Highlander vient des Highlands, il n’en demeure pas moins que les suffixes des langues étrangères ne sont pas toujours très évocateurs en français. Le plus souvent, ils s’inspirent de la graphie du toponyme d’origine, qui n’est pas traduit dans notre idiome. D’où un certain manque de transparence pour le lecteur francophone. Ainsi l’État mexicain du Tabasco est peuplé de Tabasqueños; les habitants de Cologne en Allemagne s’appellent les Kölner. On pourrait multiplier les exemples.

L’importation de gentilés étrangers ne fonctionne donc pas toujours bien et c’est pourquoi il est de loin préférable de créer un nom d’habitants plutôt que d’en importer un, même pour faire chic… À cet égard, le français ne manque pas de ressources. La liste suivante de gentilés pour les toponymes étrangers donne une bonne idée des suffixes qui sont à notre disposition : Londonien, Damascène, Cairote, Calabrais, Florentin, Danois, Bosniaque, Nigérian, etc. Quand même pas mal, non?

Bien sûr, la tentation sera toujours forte pour les rédacteurs de tout acabit de glisser des Émiratis dans leurs textes. Le prosaïque Émiriens a moins bonne presse… Néanmoins c’est ce mot qui est consigné dans les dictionnaires et c’est peut-être lui qui, à la longue, aura le dernier… mot.