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Mots de tête : « par le biais de »

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 19, numéro 1, 1986, page 10)

Mes amis qui se battent pour la même égalité dans la dignité par le biais de l’indépendance.
(Keith Spicer, Cher péquiste, Éd. La Presse, 1980, p. 16.)

Comme les fonctionnaires à l’heure du café – ou à la sainte-touche – les modes se bousculent au portillon. Avant-hier, c’était le cube hongrois. Hier, le baladeur*. Aujourd’hui, c’est l’aki, sorte de petite balle inventée par quelque ennemi des lois de la gravité.

Le vocabulaire n’échappe pas à ce phénomène. Et s’il ne se renouvelle pas au même rythme que les gadgets, on s’essouffle parfois à le suivre.

Depuis quelques années, on assiste à un véritable engouement pour une expression que je serais tenté de qualifier de « transfuge ». D’après les dictionnaires, par le biais de signifie « détour », « moyen détourné, artificieux d’atteindre un but ». C’est de loin le sens le plus courant. Mais biais peut aussi vouloir dire « manière de considérer les choses, point de vue ». On dira, par exemple, « aborder une étude par le biais de la linguistique ».

Est-ce par confusion de ces deux sens qu’on en est venu à lui en attribuer un troisième? Ça ne me paraît pas impossible. Après tout, passer de « moyen détourné » à « moyen » tout court, ce n’est pas un bien grand pas à faire.

C’est surtout depuis cinq ou six ans qu’on voit cet usage se répandre, notamment par (le biais de) la presse, mais les premiers signes d’un certain glissement sont apparus il y a au moins une vingtaine d’années.

Dès 1962, dans un texte d’Edouard Glissant, écrivain martiniquais, l’évolution semble amorcée :

Cette vocation unitaire des Antilles est aujourd’hui combattue par le biais de deux arguments1 …

À première vue, ce n’est pas un exemple convaincant. Que l’auteur, partisan de cette vocation, accuse les détracteurs de celle-ci d’employer des moyens détournés pour la combattre, quoi de plus normal? Mais ce n’est qu’une supposition; d’ailleurs, le contexte laisse subsister le doute.

Deux ans plus tard, Jean Dutourd écrit :

(…) c’est par le biais des idées saugrenues que l’on arrive aux pensées profondes2 …

C’est un moyen indirect, si l’on veut, mais il n’a rien d’artificieux. S’agit-il d’un sens intermédiaire? Malheureusement, le texte ne nous éclaire pas.

Voici une traduction :

Il peut s’efforcer d’attirer votre attention sur lui (…) par le biais d’une remarque désinvolte3 …

On voit mieux l’idée d’artifice dans ce cas-ci. Mais, assez curieusement, cette nuance n’était pas évidente dans l’original :

(…) he might do so by some flippant (…) assessment.4

Le traducteur a senti le besoin s’étoffer. Pourquoi? Pour l’équilibre de la phrase? Parce que c’était sous-entendu? Je vous laisse juger.

Avec l’exemple suivant, le doute n’est plus permis :

(…) par le biais d’une vague télépathie (…) Geoffroy s’était précipité afin de sauver (sa) mise5.

Il n’est même plus question de moyen comme tel, puisque le personnage est passif. C’est une sorte d’intuition qu’il a eue.

Mais vous n’avez pas l’air convaincu. Alors que penser de ceci :

(…) à l’occasion de la discussion budgétaire ou par le biais de la procédure législative ordinaire6.

Ou de ceci :

(…) par le biais de la formation en cours d’emploi7 …

Ou bien de ceci :

Par le biais de l’énoncé de prérogatives individuelles (les déclarations de droit) expriment une philosophie8 …

Ou de ceci, enfin :

(…) la phonologie structurale du français standard qui, par le biais de la radio et de la télévision9 …

Même les défenseurs du français succombent à la mode. Xavier Deniau, président du Comité de la francophonie, écrit :

L’initiative privée s’est donc largement exprimée par le biais des associations privées10.

Ici, il n’y a plus la moindre trace d’un soupçon de l’idée de moyen détourné. C’est le sens d’intermédiaire.

Je vous fais grâce des nombreux exemples que j’ai relevés dans la presse (treize dans le Monde), sauf pour celui-ci, que je trouve amusant :

(les Parques) tranchent, par le biais de l’ingénieuse invention du docteur Gillotin, le cou du grand-père d’Astolphe11.

C’est un usage qui se répand également chez nous, dans les journaux12 et ailleurs13. Je l’ai lu dans des documents officiels, un texte du Commissariat aux langues officielles et un numéro de Termium :

Ces publications (…) sont vendues au public par le biais du Centre d’édition du gouvernement14

Façon un peu laborieuse de dire les choses, n’est-ce pas? mais le moyen ne saurait être plus direct.

Parlant de documents officiels, les traducteurs de l’ONU l’emploient aussi :

(…) que la population tout entière soit éduquée par le biais de l’enseignement scolaire et non scolaire15

(M. de la Palice compte encore des disciples…)

L’original donne simplement « through ».

Plusieurs collègues m’ont demandé ce qu’il fallait penser de cet usage. Je leur ai fait une réponse de Normand : « Moi, je ne l’emploie pas. Mais je le tolère. Si on n’en abuse pas. Et s’il ne prête pas à confusion. » Car il faut bien reconnaître que ce nouveau sens ne va pas sans inconvénient.

Prenons l’exemple suivant :

Le contrôle de l’entrée des citoyens du Commonwealth par le biais d’un système de permis de travail16

Veut-on nous laisser entendre que le gouvernement (britannique) a décidé de contrôler l’entrée des citoyens sans qu’il n’y paraisse? Ou est-ce simplement le moyen – parmi d’autres possibilités – qu’il a choisi pour arriver à ses fins? Comment le savoir? Dans bien des cas, le contexte permettra sans doute de trancher, mais pour le reste? C’est – hélas! – une nuance utile qui se perd.

Mais que peut-on contre l’Usage, ce « maître souverain »?

Retour à la remarque 1* « Sonambule », lancé par le Comité linguistique de Radio-Canada pour traduire « walkman », a fait long feu. Dommage.

NOTES

  • Retour à la note1 Edouard Glissant, « Culture et colonisation », Esprit, avril 1962, p. 592.
  • Retour à la note2 Jean Dutourd, La Fin des Peaux-Rouges, Gallimard, 1963, p. 61.
  • Retour à la note3 V.S. Naipaul, L’Inde sans espoir, Gallimard, 1968, p. 62. (Traduit de l’anglais par Janine Michel.)
  • Retour à la note4 Id., An Area of Darkness, André Deutsch, Londres, 1964, p. 64.
  • Retour à la note5 A.D.G., Je suis un roman noir, Gallimard, « Carré noir », 1974, p. 173.
  • Retour à la note6 J.-M. Cotteret et Cl. Emeri, Le Budget de l’État, coll. « Que sais-je? », 1975, p. 57. (Voir aussi pages 22 et 86.)
  • Retour à la note7 Comité d’études sur la violence, Réponses à la violence, Presses-Pocket, tome II, 1977, p. 393. (Voir aussi pages 412 et 413.)
  • Retour à la note8 Jacques Mourgeon, Les Droits de l’Homme, coll. « Que sais-je? », 1978, p. 72. (Voir aussi pages 49-50, 67, 68 et 93.)
  • Retour à la note9 Louis-Jean Calvet, Les langues véhiculaires, coll. « Que sais-je? », 1981, p. 15.
  • Retour à la note10 Xavier Deniau, La Francophonie, coll. « Que sais-je? », 1983, p. 73. (Voir aussi pages 76 et 102.)
  • Retour à la note11 Pierre Kyria, le Monde, 2.3.84.
  • Retour à la note12 Le Devoir (17.4.84 et 5.6.85) et La Presse (6.6.83).
  • Retour à la note13 Jean-Jacques Simard, La longue marche des technocrates, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, Laval (Québec), 1979, p. 25 et 40.
  • Retour à la note14 Termium, vol. 2,  2, juin 1984, p. 4.
  • Retour à la note15 Document de l’ONU, A/CONF. 116/PC/25/Add. 2, 16.5.85, p. 27.
  • Retour à la note16 Kristin Couper et Ulysses Santamaria, « Les minorités ethniques au Royaume-Uni », Esprit, juin 1985, p. 250.