Services publics et Approvisionnement Canada
Symbole du gouvernement du Canada

Liens institutionnels

 

Avis important

La présente version de l'outil Chroniques de langue a été archivée et ne sera plus mise à jour jusqu'à son retrait définitif.

Veuillez consulter la version remaniée de l'outil Chroniques de langue pour obtenir notre contenu le plus à jour, et n'oubliez pas de modifier vos favoris!

Rechercher dans Canada.ca

Halifax en passant par Hull

Jacques Desrosiers
(L’Actualité langagière, volume 2, numéro 3, 2005, page 14)

Il y a beaucoup d’hésitation en français dans le maniement des noms étrangers, et le cas de Halifax est épineux à sa manière1.

Le mot est facile à prononcer et à écrire, mais l’idée d’aspirer ou non son h initial est un petit problème coriace qui a de quoi donner des maux de tête à quiconque cherche l’uniformité – à commencer par les toponymistes qui doivent baptiser des villes, des rues ou des sites d’un nom où figure Halifax. Les uns trouvent difficile de vivre avec un usage flottant, les autres d’accepter une solution trop catégorique. Je vais essentiellement faire le tour du problème et souligner des tendances.

Le site du premier ministre du Canada, à titre d’exemple, vante la superbe ville de Halifax et la population de Halifax. Parcs Canada présente le centre-ville d’Halifax et la citadelle d’Halifax. La presse européenne aimait parler du sommet d’Halifax où s’est réuni le G7, alors qu’ici au gouvernement fédéral sommet de Halifax est beaucoup plus fréquent, tout comme dans les journaux québécois. L’usage est flottant en Nouvelle-Écosse même, où des services de traduction ont fait leur choix, de manière à éviter de parler d’un texte à l’autre du port de Halifax et de l’aéroport international d’Halifax – mais où d’autres traducteurs s’accommodent d’un usage flottant.

Ce genre de problème n’est pas nouveau. Les plus grands hésitent. Flaubert, dans le récit Un cœur simple, envoie la fille d’une Mme Aubain en pension chez les Ursulines d’Honfleur, puis quelques pages plus tard fait apercevoir à sa servante les lumières de Honfleur qui scintillaient dans la nuit2. Même flottement jusque chez les spécialistes. La Commission de toponymie du Québec, dans sa banque des noms de lieux, raconte l’histoire de la ville d’Hudson, mais aussi celle de Delson, dont le nom « provient du télescopage de Delaware et de Hudson ».

Le h aspiré ne se prononce pas en français : il est phonétiquement vide. Sauf qu’il empêche l’élision (le hasard, et non l’hasard) et la liaison (les héros, et non les z’héros). En général, le h initial de nos mots d’origine grecque ou latine est muet, bien que les exceptions ne manquent pas – la hernie, la huppe, la hiérarchie, le hautetc., avec tout ce que cela suppose d’incohérences : le héros mais l’héroïne; l’huissier mais le huis clos. Par contraste, les mots qui nous viennent des langues germaniques ont un h aspiré : la harpe, la housse, les huguenotsetc. Il y a des exceptions là aussi, comme l’hébergement, qui vient du francique.

Notons en passant que notre h muet n’est pas la huitième merveille du monde. Il est resté soudé aux mots que le français a empruntés au latin, mais dans beaucoup de cas il a tout bonnement été réintroduit pour imiter l’orthographe latine, alors qu’en latin on ne le prononçait même plus3. Bref, on a conservé ou ajouté le h sans lui donner aucun son ni aucune fonction, pendant que d’autres langues romanes s’en débarrassaient (l’uomo en italien). La réforme de l’orthographe qui fait tant de vagues depuis quinze ans pourrait aller encore bien plus loin…

Il est donc naturel d’être tenté de régler la question de Halifax en se fondant sur le critère de l’étymologie. Comme le mot viendrait du latin médiéval Haligonia, il s’ensuivrait que le h serait muet, et qu’on devrait donc dire ville d’Halifax. Mais ce critère présente des difficultés évidentes. De l’aveu même de ceux qui y recourent, il est loin d’être pratique. Sa généralisation serait dans la vie réelle une véritable épreuve, pour les traducteurs par exemple, qui devraient faire des recherches sur des noms anglais ou étrangers commençant par un h qu’ils rencontrent dans leurs textes pour savoir s’ils sont d’origine latine, grecque ou autre. Et ces recherches seraient faites à l’intérieur de la langue à laquelle appartient le mot. L’anarchie a de bonnes chances de l’emporter.

On ne peut non plus imaginer des écrivains se lancer dans ce genre de travail. Vladimir Federovski écrit comme allant de soi, sans y prêter davantage attention : Les sources de la CIA citées dans le journal Boston Globe, du 22 février 1996, affirment que lors du sommet de Halifax, Korjakov avait en permanence une bouteille d’alcool fort pour que son maître [Boris Eltsine] pût boire lorsqu’ils étaient seuls4. Pour lui, c’est un mot anglais, point.

Halifax est en effet d’abord et avant tout un mot d’origine anglaise, de la même manière que hacienda, importé en français, est pour nous un mot d’origine espagnole, même si les Espagnols l’ont formé à partir du latin. C’est pour cette raison sans doute – le fait qu’il soit senti comme étant d’origine anglaise – que le h ne s’élide pas pour les marquis, comte et vicomte de Halifax, exceptions qu’acceptent volontiers les partisans de d’Halifax. Pourtant, si Halifax vient de Haligonia, ces messieurs ont dû tirer leur titre du même pedigree étymologique.

Abordons la question par un autre angle. Le mot Hudson n’a rien à voir avec le monde gréco-romain, et pourtant nous disons bel et bien depuis Radisson et Desgroseillers : la baie d’Hudson. En revanche, nous disons la majorité du temps de Hull, de Huntingdon, de Harrington Harbour, bien que ces noms n’aient rien de plus anglais que Hudson. Mais la différence saute aux yeux – ou plutôt à l’oreille : on prononce baie d’Hudson à la française, comme glaçon, tandis que la prononciation des autres est toujours teintée d’anglais. Jamais les locuteurs canadiens n’auraient accepté de faire rimer Hull avec bidule ou de faire allitérer Huntingdon avec un, teint et dont. Nous gardons en français la trace anglaise de certains mots, et nous francisons certains autres. L’usage ici est maître du jeu. Les locuteurs imposent leurs préférences.

À quel groupe appartient Halifax? La question est là. Pour certains, Halifax s’est francisé comme Hudson : h muet. Pour d’autres, c’est un mot anglais, comme Hull ou Huntingdon : h aspiré. Je ne dis pas que ce rapport est automatique. Si tout était si simple! L’usage veille à ce qu’il y ait toujours des exceptions. On dit au Québec : le comté d’Hemmingford, h muet et prononciation à l’anglaise. Mais on ne peut nier le lien entre la prononciation anglaise et l’aspiration du h. La même remarque vaut pour les noms allemands. Le h de Hitler est très souvent muet en français, – mais c’est parce qu’on prononce le mot à la française. On aspire le h de Hegel, que l’on ne prononce jamais à la française (ce qui donnerait e-jel). De plus, quand on forme un nom ou un adjectif à partir de ces noms, comme hitlérisme ou hégélien, le h devient généralement muet. De Hegel, nom allemand, mais l’hégélien, mot français.

J’ai donné au début l’exemple de Delson. Peut-être le toponymiste qui a écrit l’historique de la ville a-t-il cherché dans sa phrase à détacher le mot Hudson, à le mettre en relief pour bien marquer le parallèle avec Delaware. Cette tendance à détacher certains mots, et surtout les noms propres, pour qu’ils désignent ce à quoi ils renvoient sans équivoque, est bien ancrée dans l’usage. On le fait couramment en citant un simple mot ou le titre d’une œuvre. Joseph Hanse note que, hésitant, nous disons bien le sujet d’« avoir » et le sujet de « être ». On rencontre l’auteur d’Antigone ou de Antigone. L’élision est facultative dans de tels cas. Une situation semblable se présente avec la liaison devant de nombreux prénoms (pas tous). On ne fait pas la liaison en disant : Dans ma classe, il y avait deux Ève et trois Alain. A fortiori, souvent on ne la fera pas même s’il y a un h muet : L’année suivante, il y avait trois Huguette.

Il en va ainsi souvent avec les noms de ville. C’est la graphie de Honfleur que préfère la ville elle-même aujourd’hui. Si j’étais maire de Honfleur, j’aurais fait la même chose : je n’aimerais pas trop entendre d’Honfleur où le mot semble s’être fait couper la tête.

La Commission de toponymie du Québec a récemment pris une décision hardie pour faire régner l’uniformité sans bousculer l’usage établi : elle a proposé que dans toutes les nouvelles désignations québécoises créées après 2004 et commençant par un h, la particule de ne s’élide plus. Ainsi les rue d’Halifax et la municipalité de Sainte-Sophie-d’Halifax au Québec resteront telles quelles, de sorte que l’usage local est respecté, mais si une rue par exemple a été baptisée Halifax après 2004, sa désignation officielle sera rue de Halifax. Ce critère est intéressant dans la mesure où il indique peut-être une tendance de fond en français actuellement, soit respecter davantage le h aspiré des mots étrangers. Si cette tendance est forte, la graphie ville de Halifax prendra du galon. Au bout du compte, on a envie de crier comme le prédicateur du XVIIe siècle que cite le Oxford English Dictionary : From Hell, Hull, and Halifax, Good Lord, deliver us!

NOTES

  • Retour à la note1 J’ai talonné beaucoup de monde à gauche et à droite pour cet article, jusqu’en Nouvelle-Écosse. Je remercie en particulier Hélène Gélinas-Surprenant, qui m’a fourni une abondance de renseignements, ainsi que Marcel Fourcaudot, de la Commission de toponymie du Québec, Jacqueline Farvacque et Bruno Lobrichon.
  • Retour à la note2 Dans Trois contes, Garnier-Flammarion (collection de poche), 1965, p. 48 et 72.
  • Retour à la note3 Le bon usage, 13e éd., § 69.
  • Retour à la note4 Le département du diable : la Russie occulte d’Ivan le Terrible à nos jours, Plon, 1996, p. 19,  1.