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Enfin, ils en sont arrivés à une entente

Jacques Desrosiers
(L’Actualité terminologique, volume 36, numéro 1, 2003, page 11)

Ceux qui, par devoir ou pour le plaisir, suivent l’interminable conflit du bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis, doivent se demander parfois si Ottawa et Washington en arriveront un jour à une entente. En mars 2002, une dépêche de Reuters annonçait que Chrétien et Bush étaient « confiants d’arriver à un accord ». Pas de en. Mais dans le corps de l’article le traducteur faisait dire au président américain que « nos équipes de négociateurs travaillent jour et nuit afin d’en arriver à un accord » et à Jean Chrétien qu’il espérait « que nous pourrons en arriver à un accord de principe ». On aurait dit que le en laissait entrevoir quelque chose de laborieux qui n’apparaissait pas dans le titre de la dépêche.

Pour voir si l’on sent ou non cette distinction, il suffit d’imaginer (c’est un exercice de souplesse) que le fédéral et les provinces s’entendent sur un dossier quelconque après quelques heures de discussion. Dirait-on qu’ils en sont arrivés à une entente après quelques heures de discussion seulement? Le en semble de trop. Il donne l’impression que quelques heures est long dans ce contexte, qu’en temps normal les deux ordres de gouvernement s’entendent beaucoup plus vite. Comparez : l’été dernier, le Figaro1 écrivait qu’après trois heures de discussion, Israéliens et Palestiniens sont arrivés à un accord.

Ça peut être aussi une question de tact. On sait que les journalistes français mettent des gants blancs lorsqu’ils interviewent leur président. Le Monde diplomatique, 19 février 1998, donne le compte rendu suivant :

Q – Monsieur le Président Chirac, êtes-vous arrivé à un accord avec le président Clinton sur le Kosovo, et sur les sanctions contre l’Irak?

À François Mitterrand, en 1990 :

Q – M. le Président, est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi cette nuit, à la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies aucun accord n’a pu être trouvé, est-ce que vous pensez que […] demain on arrivera à un accord?

Dans la même veine diplomatique, un communiqué du ministère français des Affaires étrangères : La France [] souhaite que les négociations en cours entre le gouvernement irakien et les dirigeants kurdes permettent d’arriver rapidement à un accord solide et durable2.

En fait, la tournure est courante dans la presse française. J’ai cité le Figaro plus haut. Voici deux autres exemples. Le journaliste Ignacio Ramonet, encore dans le Monde diplomatique, mai 1999 : Serbes et Kosovars étaient d’ailleurs arrivés à un accord sur ces deux objectifs principaux. Le journal Le Monde : Les négociateurs de l’ONU et ceux de l’Irak sont arrivés à une entente quasi totale sur tous les aspects techniques et financiers de l’accord 3. À vrai dire, on voit rarement en.

Or, surprise, lorsqu’on se tourne du côté des journaux canadiens, on constate que en est très fréquent. Quelques exemples : 

Les Affaires : Le Canada et le Mexique en sont arrivés à un accord tacite : faire en sorte que notre voisin américain ne profite pas de la conjoncture4.

La Presse : … les principales fédérations étudiantes du Québec et le ministre de l’Éducation en sont arrivés à un accord sur la façon dont Québec utiliserait les économies générées dans son régime d’aide financière5.

Le Soleil : Les représentants du Syndicat des travailleurs du papier de Clermont (CSN) et ceux de Donohue en sont arrivés à un accord de principe sur un nouveau contrat de travail 6.

L’autre tour n’est pas absent chez nous : le journaliste Louis-Bernard Robitaille (correspondant à Paris!) écrit dans La Presse du 11 mars 1989 que les représentants de 26 pays participant à la conférence de La Haye sur l’environnement sont arrivés à un accord hier après-midi; dans Le Soleil : La STCUQ et le syndicat des employés de garage sont arrivés à une entente, hier, sur le nombre d’employés qui continueront à travailler7. Mais il est beaucoup moins fréquent.

Une consultation rapide dans Google tend à confirmer le clivage. Si l’on demande par exemple « en arriver à une entente » et « en arriver à un accord » dans le domaine .ca (qui bien sûr est loin de couvrir tous les sites canadiens, mais les recherches sur Google valent ce qu’elles valent), on obtient environ 2 000 résultats. Enlevez en, et vous obtenez évidemment les mêmes citations, plus un millier d’autres : le tour avec en serait donc deux fois plus fréquent que le tour sans en. Inversement, dans le domaine .fr, on obtient quelque 700 résultats avec « arriver à un accord » et « arriver à une entente », mais seulement six – je dis bien six – avec « en arriver à un accord » et « en arriver à une entente ». La différence est frappante. Soit dit en passant, en France on arrive beaucoup plus souvent à des accords qu’à des ententes, bien que le journal Le Monde emploie parfois entente comme le montre l’exemple ci-dessus (j’en ai cinq ou six autres), tandis qu’ici deux fois sur trois on arrive à des ententes.

Lorsqu’on fait le même genre de recherche électronique avec d’autres termes qu’entente et accord, les résultats sont variables. Par exemple, des deux côtés de l’Atlantique, on préfère de loin « arriver à ce résultat » à « en arriver à ce résultat ». Si au Canada on dit indifféremment « arriver à la conclusion » ou « en arriver à la conclusion », en France trois fois sur quatre on dira « arriver à la conclusion ». Mais je n’ai trouvé aucun cas où le clivage était aussi prononcé que pour le tour (en) arriver à une entente.

Faut-il en conclure qu’en arriver à une entente est une faute? Pas du tout. L’expression comme telle ne peut rien avoir à se reprocher, puisque de toute façon le tour en arriver à figure dans plusieurs dictionnaires. Or presque tous, bien que la plupart de leurs exemples soient construits avec l’infinitif, font ressortir la nuance particulière qu’apporte en. Le Grand Robert observe que « comme dans en venir à, en arriver à insiste sur l’antécédent d’où l’on part ». Pour le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (GDEL), en arriver à veut dire aboutir souvent malgré soi à telle ou telle action. Il y a toujours cette idée de finir par, se résoudre à, et il est remarquable que les exemples ont très souvent quelque chose de négatif : J’en arrive à croire que je vous gêne (Dictionnaire de l’Académie). Il en arrive à regretter le temps de ces premières confidences dont le souvenir le torture cependant (Proust dans le Trésor). J’en arrive à me demander s’il a vraiment du cœur (Grand Robert). Comment a-t-il pu en arriver à un tel crime? (GDEL). Qu’on pense au tour classique en arriver là. On a la même connotation péjorative qu’avec en venir à, comme dans Il en était venu à quémander des invitations8.

L’exaspération est souvent palpable quand on emploie en arriver à avec certains termes. On dirait plus naturellement : Comment ont-ils pu en arriver à une telle situation? que : Comment ont-ils pu arriver à une telle situation? Elle est très forte dans cette plainte à la une d’un journal de Saint-Hyacinthe : Six ans de négociations avant d’en arriver à des résultats 9. On sent parfois le même genre d’impatience quand le tour est employé avec entente, comme dans ce communiqué de l’Université Laval : Cependant, il reste encore du chemin à faire pour en arriver à une entente (avec le syndicat)10.

Au Canada même, il semble que, dès que le contexte requiert un certain tact ou a quelque chose d’officiel, en est souvent absent, comme dans ce communiqué d’Agriculture et Agroalimentaire Canada : S’il s’agit de terres louées, les propriétaires doivent arriver à une entente équitable avec leurs locataires11, ou dans ce texte du gouvernement du Manitoba sur l’art de la négociation : Les parties ne sont pas pénalisées si elles ne sont pas prêtes à participer à la médiation ou si elles ont essayé cette dernière sans arriver à une entente12. Dans une telle phrase en arriver présumerait de la longueur de négociations qui n’ont pas eu lieu; alors on se passe de en. En 1998, Affaires indiennes et du Nord Canada expliquait par voie de communiqué que le fédéral et la Colombie-Britannique étaient « en mesure d’arriver à une entente qui soit juste » avec la bande indienne de Sechelt. Là il aurait presque paru déplacé de souligner avec en que la route serait longue. Le Barreau du Québec annonce sur son site une publication intitulée : La médiation familiale : pour arriver à une entente. Les avocats ont intérêt à promettre que tout se réglera vite.

Peut-on employer un tour comme en arriver à une entente même s’il n’y a rien de « négatif », au sens large, dans le contexte? Arriver à une entente est bien sûr une chose positive, le couronnement d’efforts. Mais il y a eu aussi compromis et longueur de temps, de sorte que le rôle de en est peut-être de souligner que le chemin a été long avant d’en arriver là où on est finalement arrivé, de même qu’employer en arriver à une conclusion serait une manière de souligner que notre conclusion a été précédée par le parcours d’un raisonnement. Mais si ce n’est pas important de souligner cet aspect, pourquoi ne pas se contenter de sont arrivés à une entente? Certains voudront toujours insister sur le chemin parcouru avant d’arriver à l’entente, mais en se généralisant le tour peut devenir un simple tic de langage. D’autres y recourront à l’occasion, ce qui ramènerait la question à une affaire de préférence stylistique.

Quoi qu’il en soit, il semble que la nuance intéresse davantage les rédacteurs et traducteurs canadiens. À mon avis, il ne fait pas de doute que l’emploi de en peut être très efficace. Ceux qui la sentent, la nuance, feront leur choix selon le contexte.

NOTES