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To affect

Jacques Picotte
(L’Actualité terminologique, volume 18, numéro 3, 1985, page 9)

Les dictionnaires Oxford et Webster définissent ainsi l’une des acceptions du verbe to affect :

To have an effect on the feelings or in things.

Le participe passé affected est défini ainsi :

To make a material impression on; to act upon, influence, move, touch, or have an effect on. "No person could be affected in life or property, except by a decision of this court." (Oxford)

To act upon:

b)(1): to produce a material influence upon or alteration in (areas to be affected by highway construction)
b)(2): to have a detrimental influence on –used esp. in the phrase affecting commerce
INFLUENCE (the only law on the books affecting the conduct of the individual) (Webster)

Nombreux sont ceux qui tiennent le verbe affecter au sens général de « concerner », « viser », « influencer », pour un calque de l’anglais.

Il serait contre-indiqué de traduire to affect par affecter pour rendre l’idée d’une action qui produit un effet sur quelqu’un ou quelque chose. Le Petit Robert ne reconnaît pas cet emploi, et les puristes non plus.

Gérard Dagenais est catégorique :

« On commet un anglicisme chaque fois qu’on emploie le verbe affecter à propos d’autres choses que l’organisme et la sensibilité dans l’un ou l’autre des sens suivants : concerner, influer sur, porter atteinte à, nuire à, qui sont autant d’acceptions générales du verbe anglais to affect. […] Se garder d’employer le verbe affecter au lieu de concerner, influer sur, intéresser, nuire à, etc. »

Gilles Colpron classe affecter parmi les anglicismes sémantiques dans l’ouvrage Les anglicismes au Québec. Curieusement, il ne le reprend pas dans son Dictionnaire des anglicismes. Victor Barbeau propose les équivalents nuire à, ralentir, peser sur, atteindre, toucher et influer sur.

Ainsi, il ne serait pas permis de dire :

« La direction de l’entreprise a pris une décision qui affecte la plupart des employés. »

« Cette taxe affecte 60 % de la population. »

« La grève a affecté le commerce. »

Plusieurs ouvrages de langue et de traduction épousent ce point de vue :

  1. Les dictionnaires canadiens signalent tous le terme affecter au sens d’« influencer » et le classent parmi les anglicismes. Le Bélisle (« Ses explications n’ont pas affecté le vote du Conseil  »), le Beauchemin, le Dionne (« Rien ne saurait affecter mon vote à la Chambre »), le Clapin (« Affecter le vote, la délibération »), le Glossaire du parler français au Canada, comme les ouvrages de l’abbé Blanchard et de R. Rinfret, l’enregistrent également comme anglicisme. O. Dunn fait cette distinction : « On dit à la Bourse : ‘Cette guerre affecte l’emprunt turc’. Influencer est moins fort, mais plus académique ».
  2. Le dictionnaire de l’Académie, le Littré, le Quillet, le Quillet-Flammarion, le Dictionnaire du français contemporain de Larousse n’accueillent pas le verbe affecter pris en ce sens. Le Bénac fait remarquer qu’affecter ne se dit que d’impressions fâcheuses comme la douleur, les blessures d’amour-propre.
  3. Pierre Daviault recueille ici et là des traductions heureuses du verbe to affect : toucher, subir le contre-coup, porter atteinte à, nuire à, intéresser. Le terme français affecter, écrit-il, a des acceptions bien définies, tandis que le verbe anglais to affect a un sens plus vague qui évoque l’idée d’une influence exercée d’une façon quelconque. Le Carbonneau (BT-147) propose à cet égard trente-cinq verbes ou locutions verbales au choix du traducteur ennemi du moindre effort.
  4. M. Koessler le dénonce comme faux ami et lui substitue assujettir, peser sur, alourdir, grever, léser, porter atteinte à, frapper, atteindre.
  5. Le Brueckner’s French Contextuary suit l’exemple de Daviault et de Koessler.

Cependant, d’autres ouvrages accueillent d’une manière ou d’une autre la forme suspecte.

  1. Le Trésor signale le verbe affecter au sens de « produire un effet sur quelqu’un » ou « quelque chose » de manière à y déterminer une action ou une modification et donne comme synonymes atteindre, impressionner, toucher. Suivent des citations de J.-B. Say, de Goldschmidt et de Maurice Druon.
  2. La deuxième acception d’affecter, dans Hatzfeld et Darmesteter, est la suivante : atteindre par quelque changement, comme dans la phrase : « Cela n’empêche pas que la dette ne subsiste et n’affecte tout ».
  3. Le Grand Larousse de la langue française donne, présumément comme exemple de bon usage, une citation de V. Hugo : « Toutes ces différences n’affectent que la surface des édifices », et cette autre de J.-P. Sartre : « Il conçoit l’histoire comme une série d’accidents qui affectent l’homme éternel en surface ».
  4. Nous avons dit que le Petit Robert n’atteste pas ce sens. Par contre, lorsqu’il définit le terme « modification », c’est à l’aide du verbe affecter au sens qui nous intéresse ici qu’il le fait : « Changement qui n’affecte pas l’essence de ce qui change ».
  5. Dans son Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, Joseph Hanse, après avoir relevé les quatre principaux sens du verbe affecter, note qu’on peut dire au figuré : « Cette discussion a affecté notre amitié ». Il est normal, dit-il, de donner aussi à ce verbe un autre sens figuré « altérer » où l’on retrouve l’équivalent du sens propre. L’encyclopédie du bon français dans l’usage contemporain de Dupré souscrit à cet avis.
  6. Dans Les maux des mots, le Comité consultatif de normalisation et de la qualité du français à l’Université Laval se demande si affecter peut prendre le sens de « modifier un état de choses », « la situation de quelqu’un », comme dans : « Vous ne serez pas affecté par cette réforme ». Selon le Comité, la phrase « Vous ne serez pas touché par cette réforme » ne serait qu’une autre façon d’exprimer la même idée.
  7. M. Schwab, dans Les anglicismes dans le droit positif québécois, ne mentionne pas ce problème. Il présente pourtant une liste, sinon complète, à tout le moins fort représentative des interférences linguistiques de l’anglais dans le droit québécois. À la page 27, il cite cependant Darbelnet qui, dans Le français en contact avec l’anglais en Amérique du Nord, identifie deux catégories d’anglicismes : les anglicismes sémantiques à effet limité, soit ceux qui « déparent un énoncé sans toutefois affecter d’une façon notable l’économie du vocabulaire » et les anglicismes sémantiques modifiant l’ordonnance du vocabulaire, soit ceux « qui affectent les associations de mots dans l’esprit du sujet parlant ».

L’étude de textes législatifs révèle une certaine tendance à employer le terme affecter au sens figuré, encore que cet usage ne fasse pas l’unanimité.

  1. En Ontario, les Règles de procédure civile évitent systématiquement affecter et emploient plutôt les autres solutions proposées par les linguistes : concerner [5.04(1)], toucher [10.01(1)], léser [13.01(1)b)], avoir une incidence sur [14.05(3)a)], etc. Les Règles de procédure du Nouveau-Brunswick ne rejettent pas entièrement cet usage : affecter [5.04(1), 16.04a)], concerner [11.01, 30.12, etc.], porter atteinte à [43.04e), 47.02(3)], porter sur [19.01c)], toucher [19.01j)], intéresser [19.02(1)], avoir une incidence sur [38.12(1), 40.02(2)]. Le Nouveau code de procédure civile de France contient au moins trois occurrences : « dont les intérêts risquent d’être affectés par sa décision » (art. 27); « Les incidents d’instance sont tranchés par la juridiction devant laquelle se déroule l’instance qu’ils affectent » (art. 50); « … constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte » (art. 117). Les Règles de la Cour suprême du Canada évitent affecter à l’article 13 et au paragraphe 29(1).
  2. Les divers États membres de la Confédération canadienne ont chacun leur loi d’interprétation. L’ensemble de ces lois se prête bien à une étude comparative. La loi du Nouveau-Brunswick commence par recourir à d’autres solutions : porter atteinte à, voir un effet sur [8(1)b), c), d) et e), 8(3) et 8(4)], changer [22f)], mais finit par employer affecter dans la définition de l’expression « acte de transfert » à l’article 38. Bien que la loi de l’Ontario comme la loi fédérale évitent systématiquement affecter, la loi québécoise, elle, l’emploie sans hésitation aux articles 12 et 48.
  3. Dans les actes européens, le verbe affecter se trouve partout, notamment dans le traité constitutif de la Communauté économique européenne [46,1; 75,3; 80,2; 85,1].

La traduction du verbe to affect pose un problème difficile. L’unanimité est loin d’être faite sur le sens exact du terme affecter. La délimitation de l’aire sémantique est complexe dans la mesure où les dictionnaires de langue ne font pas tous le même constat.

Un certain usage semble accepter l’emploi de ce verbe pris au sens de « produire un effet sur quelqu’un ou quelque chose ». Condamné par des linguistes, banni de plusieurs dictionnaires, il est attesté par d’autres et largement employé, tant dans les domaines de spécialité (mathématiques, linguistique, droit, économique) que dans la langue courante.

Il n’y a pas lieu, selon nous, de condamner systématiquement cet usage du terme affecter dans le sens figuré. Il s’agit plutôt de l’employer avec circonspection.