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« Comme il l’a été mentionné » : un intrigant pronom personnel

Jacques Desrosiers
(L’Actualité langagière, volume 10, numéro 2, été 2013)

Q. Que pensez-vous du « l’ » dans les tournures du genre : « Comme il l’a été mentionné précédemment, … »?

R. Quelqu’un à qui j’ai soumis votre exemple a tout de suite décrit ce pronom personnel comme un « imposteur ». Je ne crois pas non plus qu’il soit acceptable, mais le démontrer est une autre affaire. On peut retracer les transformations successives de la phrase qui font apparaître le pronom.

Théoriquement, on commence avec une phrase active comme la suivante, semblable à celle que vous donnez vous-même dans la suite de votre courriel 

L’agent d’immigration a mentionné que le demandeur d’asile avait menti.

Puis on la tourne au passif, en faisant sauter le complément d’agent 

Il a été mentionné (par l’agent d’immigration) que le demandeur d’asile avait menti.

C’est cette phrase qu’on doit examiner avant de franchir l’étape suivante et de remplacer la conjonctive (que le demandeur d’asile avait menti) par le pronom. En principe, la présence de comme ne change rien à l’affaire : puisqu’il introduit simplement une proposition, il n’a pas d’incidence sur la légitimité du pronom.

Il faut commencer par déterminer quelle est la vraie nature de la conjonctive. Or cette question fait débat depuis longtemps chez les linguistes, qui y ont donné des réponses variées, souvent irréconciliables. Elles peuvent se ramener à quatre grandes théories.

D’abord, celle de Ferdinand Brunot1 qui soutenait que les verbes impersonnels sont suivis de compléments d’objet direct. Prenons la phrase Il faut du pain. Il faut quoi ? — Du pain. Il faut que nous partions. Il faut quoi ? — Que nous partions. Compléments d’objet direct. L’idée est séduisante parce qu’elle permet d’expliquer pourquoi on passe si facilement de Il faut que nous partions à Il le faut.

Sauf que les objections sont fort nombreuses. Il a fallu des efforts. Il a fallu quoi ? — Des efforts. Mais on écrit les efforts qu’il a fallu et non fallus. Dans cette perspective purement syntaxique, Brunot voit un complément direct jusque dans un tour comme Il est utile que vous le fassiez. Et avec les passifs, le problème reste entier.

C’est pourquoi plusieurs linguistes2 se sont tournés au fil du temps vers une autre explication : que le demandeur avait menti, selon eux, n’est pas un complément du verbe, mais un « terme complétif du sujet », une sorte de complément de il. Ce dernier, ne désignant rien, doit être complété plus loin dans la phrase.

Ils se sont par là rapprochés de la théorie traditionnelle, que rejetait Brunot et qui veut que ces phrases comportent en fait deux sujets : un sujet grammatical (il) et un sujet réel (que le demandeur avait menti). La phrase se trouve à dire : (le fait) que le demandeur avait menti a été mentionné. Ici, c’est la logique qui prime. La conjonctive est le véritable sujet de la phrase. Cette théorie est à la fois la plus ancienne et la plus récente, puisque c’est encore celle que défend André Goosse dans l’édition courante du Bon usage.

En quatrième lieu, la Grammaire méthodique du français3 a proposé un moyen terme entre ce point de vue et celui de Brunot. Quand on transforme en passive une phrase ordinaire comme l’ouragan a détruit la maison, son complément direct devient sujet (la maison a été détruite par l’ouragan). Notre phrase 

Il a été mentionné que le demandeur d’asile avait menti

résulte aussi de la transformation d’une phrase active — sauf que la place du sujet est occupée par le pronom il et que l’objet direct (l’agent a mentionné que le demandeur d’asile avait menti) n’a pas bougé.

Je ne vais pas trancher entre ces théories, bien que celle des deux sujets me semble la plus simple. Elle s’accorde mieux avec notre intuition qu’il y a incompatibilité entre passif et objet direct. Elle permet d’harmoniser la mécanique des passifs impersonnels avec celle des passifs ordinaires : dans les deux cas le complément direct de l’active devient sujet, mais dans le cas des impersonnels, sujet réel. On peut ainsi plus facilement expliquer pourquoi le pronom est irrégulier.

On ne serait pas plus avancé en adoptant, par opportunisme, l’une des autres théories, dont aucune d’ailleurs ne va jusqu’à accepter la pronominalisation. La raison est qu’une tournure comme Il l’est mentionné est un objet hybride, qui oublie que le verbe reste un passif. En faisant rentrer de force un objet direct dans ce noyau verbal passif, on place le lecteur devant une phrase plus ou moins compréhensible, qui lui apprend que quelque chose est mentionné, tout en faisant « passer » cette action de mentionner sur une autre chose — qui est en fait la même chose.

C’est ce que fait tout verbe transitif, y compris mentionner : il décrit une action qui « passe » (transit en latin) sur un objet. Choisir de voir un objet direct dans la conjonctive ne fait pas de il est mentionné, comme par un coup de baguette magique, un actif pouvant se comporter, par exemple, comme j’ai dit. Voilà pourquoi on peut transformer J’ai dit que en Je l’ai dit, mais pas Il est mentionné que en Il l’est mentionné.

Le seul linguiste que j’ai vu rappeler explicitement que le tour est anormal est Claude Muller4, qui signale l’impossibilité de transformer une phrase comme Il m’est arrivé la chose suivante en Il me l’est arrivée.

Rien de tout cela n’impressionne Google, qui déverse des tonnes de résultats où le pronom accompagne toutes sortes de verbes (il l’est dit, expliqué, rappelé, il l’a été dit, etc.). Pourquoi est-il aussi populaire? Deux pistes de réponses, l’une sémantique, l’autre phonétique.

Si le problème se pose plus particulièrement en présence de comme, c’est qu’on n’écrirait jamais tout court : Il a été mentionné — phrase incomplète et vide de sens. Il faut bien que quelque chose soit mentionné. Avec comme, l’ellipse vient naturellement parce que comme indique que cette chose est précisée ailleurs dans la phrase. Il se peut que certains ajoutent le pronom parce qu’ils n’aiment pas les ellipses en général (les grammairiens les appelleraient des « ellipsophobes »). Le pronom est pourtant parfaitement inutile et n’ajoute rien au sens. Comparez 

Comme il a été mentionné, le demandeur avait menti.

Comme il l’a été mentionné, le demandeur avait menti.

Mais plus vraisemblablement l’explication est du côté de la phonétique. L’ajout de l’ a peut-être à voir avec ce qu’on appelle en termes savants une « épenthèse » : ces sons qu’on intercale dans un mot ou une phrase pour des raisons purement phonétiques, comme le t de demande-t-il, ou le de ça l’arrive parfois. Le premier est correct, le second condamné, mais les deux ont en commun d’être là seulement pour l’oreille.

Il est possible que les amateurs du pronom l’empruntent, par imitation, à des tournures voisines comme Cela a été mentionné ou Cela a été dit. Mais ce sont justement ces tournures qu’ils devraient employer s’ils n’aiment pas l’ellipse : Comme cela a été mentionné précédemment,… Chose certaine, vous ne voudrez sûrement pas combiner les deux en écrivant : Cela l’a été mentionné ou Cela l’a été dit, où la même chose est à la fois sujet et complément. Absurde, n’est-ce pas? Eh bien, cherchez dans Google, et celle-là aussi vous la trouverez5.

Notes et références

  • Retour à la note1 La pensée et la langue, Masson, 1922, p. 289 et s.
  • Retour à la note2 Dont G. et R. Le Bidois (Syntaxe du français moderne, t. 1, 2e éd., Picard, 1967, § 319-320), Maurice Grevisse anciennement (Le bon usage, 11e éd., Duculot, 1980, § 278) et Hervé Béchade plus récemment (Syntaxe du français moderne et contemporain, 2e éd., PUF, 1989, p. 99-100).
  • Retour à la note3 De M. Rigel, J.-C. Pellat et R. Rioul, PUF, 2004, p. 449-450.
  • Retour à la note4 « Diathèses et voix en français : une répartition des rôles », 2005, p. 4.
  • Retour à la note5 J’ai noté, après la date de tombée de cet article, les deux tours suivants à l’entrée indiquer du Trésor de la langue française : Comme il est indiqué (quelque part dans le texte). Comme il a été indiqué plus haut, les produits des études et recherches sont versés dans les recettes de l’école (Industr. fr. brasserie, 1955, p. 30).