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Mil aurait-il franchi ses derniers milles?

Christine Hébert et Christiane Melançon
(L’Actualité terminologique, volume 36, numéro 1, 2003, page 16)

« La langue française, pour la joie des nostalgiques et le tourment des écoliers, traîne son histoire avec elle. »
 – Laurent Laplante. La Mémoire à la barre1.

On serait tenté de croire que les voies grammaticales sont insondables, tant elles nous semblent parfois dénuées de toute logique. Ainsi en est-il du mot mil employé pour désigner les millésimes et de son proche parent, mille, dont la graphie capricieuse varie selon les auteurs et les situations. Le XXe siècle étant révolu, on peut dès lors se demander si le mot mil n’aurait pas franchi ses derniers milles. Au passage à l’an 2000, la graphie mil, encore d’usage, entre autres, dans les écrits littéraires et juridiques pour désigner une année de l’ère chrétienne, est disparue des textes servant à décrire le présent. Quand mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf a cédé la place à l’an deux mille, il a peut-être aussi serré la graphie mil parmi les usages du passé. Après un parcours de près de mille ans, le mot mil a-t-il tout bonnement terminé sa course?

Pour répondre à cette question, il sera utile de retracer le chemin emprunté par mil au fil des siècles, afin d’en connaître les origines et de suivre l’évolution de la norme grammaticale qui s’y rattache.

Les origines

Ainsi que l’illustre le tableau qui suit, les formes mil et mille actuelles tirent leur origine de mille – singulier – et millia - pluriel. Leur invariabilité, qui semble aujourd’hui une excentricité grammaticale, suit pourtant la logique interne de la langue : mil, étant depuis toujours singulier, ne peut être multiplié, et mille (l’adjectif numéral) ne prend jamais de « s ».

Origine des mots mil et mille2

Latin

milia

  • mīlle (singulier)
  • millia (pluriel)

Ancien français

mil (XIe – XIIIe siècles)

  • millie (1080)
  • mile (1145)
  • mille (1208)

En outre, on peut se demander d’où vient le fait que mil et mille sont homophones [mil] malgré leur différence orthographique. Cela tient aussi à leur origine commune (milia), dont mille, à l’instar de mil, a conservé la prononciation [l] plutôt que [j].

C’est à cette homophonie qu’on doit la confusion qui règne depuis longtemps dans l’esprit des utilisateurs, qui emploient mil et mille presque indifféremment. Ainsi, on lira huit mil livres, l’année mille six cents trois ou cent mil3. Il faudra attendre les XVIe et XVIIe siècles pour que les grammairiens songent à vouloir y mettre de l’ordre. Pour leur part, Vaugelas et Bouhours affirment que des expressions telles que je lui ai milles obligations et il m’a fait milles amitiés sont des erreurs très fréquentes chez les femmes4 [sic]. L’histoire nous apprend bien sûr que les femmes n’avaient pas l’exclusivité de ces écarts, que commettaient certains écrivains5 et des imprimeurs6 pressés d’aligner de longues séries de caractères.

L’évolution de la norme

Au début du XVIe siècle, le grammairien Palsgrave7 établit une règle voulant que mille soit de mise sauf quand il est question des années. Selon lui, il convient d’écrire mil dans toute phrase où le mot an précède immédiatement mil. Il ajoute que cette graphie s’emploie devant le mot hommes, par exemple, trois mil hommes.

De leur côté, Oudin et Richelet8 décrètent que mil ne doit être utilisé que pour parler des années. C’est là une règle qui s’imposera dès le début du XVIIIe siècle. Vaugelas et Ménage font observer que mille « n’avoit point de pluriel9 ». Leur mise en garde visait à corriger une erreur courante : mille évoquant l’idée du singulier, on écrivait souvent milles. Enfin, Ménage précise que mil ne sert qu’à désigner les années.

L’usage contemporain

Au XXe siècle, Larousse10 admet l’orthographe mille dans l’un et l’autre cas. En 1959, Grevisse maintient toutefois, à l’instar de l’Académie, la préférence pour mil dans les dates de l’ère chrétienne, quand celui-ci est suivi d’un ou de plusieurs nombres. Il faudra attendre le grammairien Joseph Hanse pour contester cette préférence de l’Académie et la déclarer « caduque11 ». Divers ouvrages consultés, tant français que québécois, montrent toutefois que, jusqu’à l’an 2000, les deux graphies sont jugées acceptables.

En toute logique, si l’année 2000 a sonné le glas de la graphie mil pour désigner le présent ou le futur, tout porte à croire qu’elle continuera, du moins un temps, d’exprimer le passé de l’ère chrétienne, au grand bonheur des nostalgiques. Et comme toujours, c’est l’usage qui en décidera. D’ailleurs, rares sont les mots dont la fin de parcours est fixée par les grammairiens plutôt que par l’usage.

NOTES

  • Retour à la note1 LAPLANTE, Laurent. La Mémoire à la barre, Montréal, Écosociété, 1999, p. 224.
  • Retour à la note2 REY, Alain (dir.). Dictionnaire historique de la langue française, Paris et Montréal, DICOROBERT, 1992, p. 1244.
  • Retour à la note3 HAASE, A. Syntaxe française du XVIIe siècle, 5e éd., Nouvelle édition traduite et remaniée par M. Obert. S.l., Librairie Delagrave, 1965, p. 116.
  • Retour à la note4 Cité par HAASE, ibid., p. 117.
  • Retour à la note5 BRUNOT, Ferdinand. La pensée et la langue. 3e éd., S.l., Masson et Cie, 1965, p. 122.
  • Retour à la note6 HAASE, ibid.
  • Retour à la note7 HAASE, ibid.
  • Retour à la note8 HOUDIN et RICHELET. in BRUNOT, Ferdinand, op. cit.
  • Retour à la note9 BRUNOT, Ferdinand, ibid.
  • Retour à la note10 LAROUSSE. Larousse du XXe siècle, (6 vol. 1928-1933; suppl. 1953).
  • Retour à la note11 Blampain, Daniel et Joseph Hanse. Nouveau dictionnaire des difficultés de la langue française, Bruxelles, Duculot, 2000, p. 359.