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Mots de tête : « siéger à, dans ou sur? »

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 36, numéro 2, 2003, page 15)

Je suis sur un comité. Syntaxe barbare.
(Pierre Daviault, Langage et traduction1)

Il vous est sûrement déjà arrivé, ne serait-ce qu’une fois dans votre carrière, de sourire en lisant dans un communiqué ou une note de service – une de vos traductions, peut-être, retouchée par un client? – qu’un tel était ou siégeait sur un comité… Et si le siégeant accusait une surcharge pondérale (comme ne disait pas ma mère), rien que d’imaginer un peu le pauvre comité, vous en avez peut-être fait des gorges chaudes…

Car vous êtes de ceux qui savent que « siéger sur » est un calque de l’anglais. Cela vous vient sans doute d’avoir beaucoup fréquenté certains auteurs, comme Barbeau2, Clas et Horguelin3, Colpron4, Courbon5, Dagenais6, Darbelnet7, Dubuc8, ou Marie-Éva de Villers9. Ou Daviault, encore, qui a peut-être piqué son exemple au vieux Carbonneau10.

Devant un tel consensus en béton, je n’ai pas particulièrement envie de tenter de réhabiliter ce calque (même la brebis galeuse du monde lexicographique, le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, lui colle l’étiquette peu flatteuse de « très familier »). Ce qui m’intéresse, ce sont les solutions que ces auteurs vous proposent pour l’éviter. Et comme votre mémoire est une faculté qui oublie, vous ne verrez sûrement pas d’objection à ce que je me permette de vous la rafraîchir un peu.

Si vous me demandiez, par exemple, si je « siège » au comité de lecture de L’Actualité terminologique, je vous répondrais sans doute que j’en fais partie, ou que j’en suis membre… Ce sont les deux formules qui me viendraient d’abord à l’esprit. Il faudrait que je me sente particulièrement imbu de moi-même ce jour-là pour répondre que j’y « siège ». Car je ne peux m’empêcher de trouver que « siéger à » fait un peu prétentieux, trop solennel à mon goût. Et Darbelnet* est du même avis – il signale que c’est par souci de se valoriser qu’on le dit de plus en plus.

Nonobstant cette réserve, on trouve « siéger à » dans les dictionnaires, la plupart des unilingues, notamment. Quant aux bilingues, ils sont moins nombreux à l’enregistrer, et presque uniquement dans la partie français-anglais (Larousse, Robert-Collins, Hachette-Oxford). Plusieurs de nos linguistes proposent aussi « siéger à » pour éviter le calque. À ces trois solutions de rechange, on pourrait ajouter « être d’un comité » (Harrap’s, Dictionnaire canadien) ou, dans certains cas, « être élu à un comité » (Meney11). Avec ce quarteron de solutions, on voit difficilement qui pourrait encore se laisser prendre au piège.

Mais il existe une autre façon de rendre la même idée, qui ne semble pas connue des dictionnaires (ni des défenseurs de la langue). J’étais tellement sûr qu’elle s’y trouvait, que j’ai à peu près négligé de la noter. Résultat, je n’ai pour tout potage que deux petites fiches à vous proposer.

Mon premier exemple est d’un historien :

L’aristocratie industrielle accepte de siéger dans des conseils d’administration12.

L’autre, d’un professeur de droit :

On peut s’étonner de ce que les consommateurs ne siègent pas dans un organisme dont le but est d’assurer la sincérité de la publicité13.

C’est malheureusement tout. Mais heureusement qu’il y a Internet. On y trouve un très grand nombre de documents officiels : lois, décrets, etc., qui confirment que cet usage est très courant. Comme ce décret du 27 mars 1979 :

Dans le cas où un salarié de l’entreprise est désigné pour siéger dans une commission, un conseil ou un comité administratif…

Ou ce bulletin du ministère de l’Éducation :

Arrêté du 1er juillet 1998 modifié** portant désignation d’experts susceptibles de siéger dans les jurys de concours…

Ou cet avis du Conseil supérieur de la magistrature (21.7.99) :

Les juges consulaires peuvent être appelés à siéger dans les cours d’appel…

Ou ce document du Sénat français :

Les membres du Sénat appelés à siéger dans des organismes variés…

Ou bien cet extrait d’une séance du Sénat (28.3.00) :

D’où seront issus les scientifiques qui devront siéger dans cette commission-là.

Ou le Journal officiel (21.10.01) encore :

Liste des personnes pouvant siéger dans les organes compétents en matière de dopage.

Plusieurs sites africains (rwandais, sénégalais) en donnent des exemples; je retiens celui-ci, d’un journal ivoirien :

Soro Guillaume et Blé Goudé ne pourront pas siéger dans ce comité.

On pourrait continuer ainsi pendant des pages et des pages, avec les milliers de sources que donne Internet : Préfecture du Tarn, Légifrance, Commission d’appel nationale (Ordre des médecins), Fédération Nord-Pas-de-Calais, etc.etc. C’est une véritable pléthore. Comment expliquer le silence des dictionnaires? C’est à se demander si les lexicographes ne se sont pas endormis sur le rôti… Ou certains d’entre eux, en tout cas.

Le Robert, par exemple, aussi bien le petit que le grand, ne donne rien à « siéger ». Mais dans le grand, si par accident vos yeux tombaient sur « séant », vous vous dresseriez peut-être sur le vôtre en lisant : « qui peut siéger dans une assemblée ». Et si vous alliez voir à « séance », vous trouveriez une expression, vieillie peut-être, mais intéressante : « avoir séance, fait de siéger (dans une assemblée) ». Enfin, grâce aux renvois, votre ténacité serait récompensée à « plaideur » par un exemple du philosophe Alain : « siéger dans un procès ».

Encouragé par ces trouvailles, vous pourriez aller voir du côté du Grand Larousse de la langue française. Toujours rien à « siéger », mais à « séant », à peu près la même formule que son concurrent : « (adj.) vx. Qui siège ou a le droit de siéger dans une assemblée ». Même chose à « séant » dans le Trésor de la langue française, mais cette fois vous aurez la satisfaction de trouver à « siéger » plusieurs exemples avec « dans », dont un de 1856 de J.-J. Ampère, qui se plaint de devoir « siéger dans [un] vilain jury ». Et un autre, qui date de cent ans plus tard : « Un médecin ayant siégé dans un concours pour un hôpital… »

Un coup parti, comme disait un ami chasseur à moi, vous pourriez faire un crochet du côté du Dictionnaire encyclopédique Quillet (1970), qui donne à « siéger » cet exemple : « Ce juge siège dans cette affaire. » Et sur votre lancée, pourquoi ne pas rendre visite à un autre grand négligé, le Logos de Bordas (1976)? Vous n’en reviendriez pas tout à fait bredouille, puisqu’il enregistre « siéger dans un tribunal ».

Chez nous, c’est une tournure qu’on ne voit pour ainsi dire jamais. Et pourtant, elle ne nous est pas tout à fait inconnue. Dans la première édition de son répertoire d’anglicismes (1970), Gilles Colpron propose plusieurs façons d’éviter le calque, dont « siéger dans ». Dans la deuxième, rebaptisée Dictionnaire des anglicismes – aurait-il appris que « siéger dans » ne se dit pas? –, il propose simplement « il a été dans le comité ». Puis, dans les deux dernières, il n’y en a plus la moindre trace. Ce qui semble indiquer que la tournure avec « dans » susciterait une certaine méfiance.

C’est d’ailleurs cette impression qui m’a poussé à écrire cet article. Récemment, en préparant un jeu-questionnaire sur la langue, j’ai constaté qu’une collègue semblait croire que « siéger dans » était un tour fautif. Je me suis dit que si quelqu’un d’aussi ferré qu’elle le pensait, elle ne devait pas être la seule. Et que le temps n’était peut-être pas loin où un champion de la langue qui nous veut du bien viendrait nous dire qu’il vaut mieux éviter « siéger dans ». C’est pourquoi j’ai pris les devants.

Enfin, il y a une autre raison à cette petite « défense et illustration ». Je trouve utile de pouvoir garder l’idée de « siéger » pour les textes un peu relevés (juridiques, notamment), tout en évitant le désagréable hiatus créé par la rencontre de « à » et « un » : « je siège à un comité ». Ce n’est pas l’argument du siècle, me direz-vous. Sans doute, mais à cheval donné, on ne regarde pas la bride. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi vous vous plaindriez, puisque cela ajoute une corde de plus à votre arc.

P.-S. : Un linguiste, Maurice Rouleau14, vient de consacrer un ouvrage aux prépositions (c’est un peu notre bête noire), où figure cet exemple : « juge qui siège dans une affaire ».

Retour à la remarque 1* Il propose une autre tournure, moins commode il faut dire : « participer aux travaux du comité ».

Retour à la remarque 2** C’est le « as amended » des anglophones. Où l’on voit l’inutilité de « as »…

NOTES

  • Retour à la note1 Langage et traduction, Ottawa, Imprimeur de la reine, 1963, p. 279.
  • Retour à la note2 Victor Barbeau, Grammaire et Linguistique, Cahiers de l’Académie canadienne-française, Montréal, 1968, p. 154.
  • Retour à la note3 André Clas et Paul Horguelin, Le français, langue des affaires, Montréal, McGraw-Hill, 1969, p. 218.
  • Retour à la note4 Constance Forest et Denise Boudreau, Le Colpron, Montréal, Beauchemin, 1999.
  • Retour à la note5 Jean-Marie Courbon, Guide du français des affaires, Montréal, Didier, 1984, p. 96.
  • Retour à la note6 Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Montréal, Éditions Pedagogia, 1967.
  • Retour à la note7 Jean Darbelnet, Les maux de nos mots, Québec, Presses de l’Université Laval, 1982.
  • Retour à la note8 Robert Dubuc, Objectif : 200, Montréal, Leméac, 1971.
  • Retour à la note9 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Montréal, Québec/Amérique, 2e éd., 1992.
  • Retour à la note10 Hector Carbonneau, Vocabulaire général, fascicule 6, Ottawa, Secrétariat d’État, 1972 (paru à la fin des années 50).
  • Retour à la note11 Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Montréal, Guérin, 1999.
  • Retour à la note12 Jean-Pierre Rioux, La révolution industrielle, Seuil, coll. Points/Histoire, 1971, p. 216.
  • Retour à la note13 Gérard Cas, La défense des consommateurs, P.U.F., coll. Que sais-je?, 1975, p. 119.
  • Retour à la note14 Maurice Rouleau, Est-ce à, de, en, par, pour, sur ou avec?, Brossard (Québec), Linguatech, 2002.