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Traduire pour l’aviation civile et militaire

André Senécal
(L’Actualité langagière, volume 9, numéro 1, 2012, page 28)

Les avions sont comme l’âme,
ils ont des ailes et prolongent la vie.

Marcel Dassault

Le monde de l’aviation a toujours fasciné l’être humain. Les pionniers contemplaient avec envie le vol gracieux des oiseaux en cherchant des moyens de s’affranchir du sol pour s’élever dans l’azur. Les premiers vols, d’abord de Clément Ader, puis des frères Wright, ont confirmé la possibilité d’emprunter une autre voie que la terre ou l’eau pour se déplacer. Les progrès techniques réalisés au cours du XXe siècle et jusqu’à tout récemment ont fait évoluer l’aviation au point de nous offrir aujourd’hui le tout nouvel avion de ligne Airbus A380 à deux ponts, les avions commerciaux CSeries de Bombardier et l’avion de chasse militaire furtif F35 Lightning. La fascination opère toujours devant les raffinements techniques qui permettent à ces appareils de réaliser, chacun dans son milieu, des performances qui les placent à l’avant-garde de la technologie.

Bien des traducteurs techniques qui travaillent en aviation partagent aussi une passion pour ce secteur de l’activité humaine, que ce soit pour sa composante scientifique (l’aéronautique), commerciale (l’aviation) ou militaire. Leur travail doit être marqué au coin d’une compétence tributaire de quatre facteurs importants : des connaissances spécialisées à jour, la connaissance de la terminologie spécialisée, des connaissances linguistiques adaptées et une connaissance suffisante du destinataire de la traduction et de ses idiosyncrasies.

Les connaissances spécialisées

Qu’il soit nécessaire de posséder des connaissances spécialisées suffisantes pour donner au traducteur une certaine aisance dans son travail est un truisme. Pourtant, certains traducteurs techniques ne consacrent qu’une portion congrue de leurs efforts à l’acquisition et à la mise à jour de leurs connaissances spécialisées, se contentant de solutions ad hoc qui leur permettront seulement de « passer à travers le texte ». Le caractère ponctuel de leurs recherches se prête mal à un investissement plus permanent, essentiel à leur travail. Se limiter à la recherche d’équivalents techniques ne fournit que des morceaux de solution hors contexte qui doivent être validés. Cette façon de faire peut caractériser le travail du traducteur technique apprenti, en butte à des délais serrés. Par un manque d’assurance bien compréhensible, il pare au plus pressé sans toujours prendre le temps d’adopter une vision globale du document qu’il traduit. De toute évidence, le traducteur débutant ne maîtrise pas suffisamment son texte. Il doit donc être conseillé par un traducteur chevronné ou un réviseur, qui l’amènera à modifier sa méthode de travail pour lui permettre d’intégrer progressivement l’acquisition des connaissances techniques et scientifiques fondamentales, puis des connaissances spécialisées de son domaine de travail.

L’aviation civile partage beaucoup de notions techniques avec l’aviation militaire. Le traducteur technique doit d’abord assimiler les notions techniques et scientifiques de diverses disciplines fondamentales, comme la mécanique, l’électricité, l’électronique, la physique, la métallurgie et l’informatique. Ensuite, il doit comprendre comment est réalisé le vol, quelles sont les forces en présence qui permettent à un aéronef de prendre l’air et de s’y maintenir. C’est le sujet de l’aérodynamique. Le traducteur technique ayant à traduire le mot lift* trouvera deux équivalents possibles pour ce terme anglais : sustentation et portance. Une recherche sommaire bien exécutée lui apprendra que la sustentation s’entend du « fait de se tenir en l’air », tandis que la portance renvoie à la « force assurant la sustentation ». Fort de cette distinction, le traducteur choisira donc le terme convenant à son contexte.

Sur le plan technique, le traducteur doit bien connaître le matériel aéronautique, la fonction de chaque composant et ses diverses caractéristiques (fabrication, fonctionnement, résistance mécanique, etc.). Dans un contexte donné, par exemple, il se demandera si le terme airfoil relève de l’aérodynamique ou de la mécanique aviation. À partir du moment où il comprend bien ce dont il s’agit, il optera pour profil aérodynamique ou surface portante, selon le contexte.

Il ne suffit pas d’acquérir des connaissances techniques spécialisées, encore faut-il les tenir à jour, ne serait-ce que pour suivre les progrès incessants de la science et des techniques et, par le fait même, maintenir sa compétence de traducteur spécialisé. Ainsi, la voilure de beaucoup d’avions de ligne modernes est dotée d’un plan situé généralement entre les ailerons et les volets. Ce plan, non directement assujetti aux sollicitations du pilote sur les commandes, se déplace vers le haut ou le bas en fonction de « corrections » déterminées par le calculateur de bord. En anglais, ce plan est désigné all-speed aileron, et l’on ne sera guère surpris de trouver l’équivalent aileron toutes vitesses en français, résultat d’un calque créé sans réfléchir. Un équivalent plus approprié serait aileron automatique, qui met l’accent sur l’absence d’intervention humaine. Le fait qu’il puisse fonctionner à n’importe quelle vitesse ne permet pas de conclure que le pilote n’y soit pour rien. Comme on n’arrête pas le progrès, le nouvel avion de ligne Airbus A380 substitue à cet aileron la segmentation en trois parties de ses ailerons en bout d’aile. Chaque segment d’aileron se déplace indépendamment l’un de l’autre, un peu comme des touches de piano, en fonction des ordres du calculateur de bord. En plus de corriger finement l’assiette de l’avion, le déplacement des segments d’aileron sert à réduire la charge s’exerçant sur la voilure selon les conditions de vol.

Comme on le voit, l’acquisition de connaissances techniques spécialisées et leur tenue à jour contribuent grandement à la compétence du traducteur, améliorent sa productivité en réduisant le temps consacré aux recherches et lui permettent de disposer d’une palette expressive plus riche pour mener à bien son travail.

La connaissance de la terminologie spécialisée

Il existe un certain nombre de dictionnaires et lexiques spécialisés en aviation civile ou militaire. Ils renferment une terminologie de base de la spécialité sur laquelle s’entendent généralement tous les intervenants du milieu. Le traducteur technique doit posséder cette terminologie au point que les dictionnaires ou lexiques n’en viennent, à terme, qu’à servir d’aide-mémoire plus souvent qu’autrement. La connaissance de la terminologie spécialisée est intimement liée aux connaissances techniques spécialisées, ce qui permet au traducteur de corriger, le cas échéant, les erreurs qu’on trouve parfois dans les dictionnaires et lexiques du domaine. Témoin les deux exemples suivants.

En aérodynamique, le point où s’exerce la portance sur l’intrados d’une surface portante s’appelle pressure centre en anglais. L’équivalent correct en français est centre de poussée, et non « centre de pression », comme le mentionnent certains auteurs. En recherche et sauvetage militaires, l’opération consistant à ramener des combattants blessés vers des installations médicales est désignée en anglais aeromedical evacuation. Certains documents militaires rendent ce terme par « évacuation aéromédicale » en français, alors que l’équivalent correct est évacuation sanitaire.

On aura compris que la terminologie technique de l’aviation militaire et civile se double souvent d’une terminologie parallèle attribuable à une méconnaissance de la langue d’arrivée par ses utilisateurs. Il faut être conscient de l’existence de cette terminologie parallèle imparfaite et rejeter la prétention des clients selon laquelle cette terminologie calquée se justifie du fait qu’il n’existe pas, selon eux, d’équivalents en français. Cette assertion est évidemment fausse. Quels que soient les progrès techniques réalisés en aviation civile et militaire, il existe, en français comme en anglais, un signifiant original pour désigner toutes les réalités. Illustrons notre propos d’un exemple.

Les avions de chasse modernes sont tous dotés d’un dispositif appelé head-up display. Ce dispositif, monté au-dessus du tableau de bord du pilote, consiste essentiellement en un miroir incliné qui projette sur la verrière les principales données de navigation et de pilotage. Le pilote peut ainsi visualiser ces données sur la verrière, sans avoir à baisser la tête vers les instruments de bord et risquer une désorientation, si ce n’est une perte de conscience, lorsqu’il évolue sous forte accélération, surtout en virage. Le fait de pouvoir consulter ces données essentielles sur la verrière lui permet en même temps de garder une vue d’ensemble de la situation aérienne. L’équivalent généralement proposé pour head-up display par les divers dictionnaires et lexiques est « indicateur tête haute ». Pourtant, l’équivalent collimateur de pilotage est l’équivalent correct et il existe depuis longtemps. C’est une méconnaissance de la terminologie spécialisée établie et utilisée qui donne lieu à une terminologie parallèle. Quoi qu’il en soit, nous verrons plus loin qu’il n’est pas toujours possible de faire table rase de la terminologie parallèle pour remettre une traduction adaptée au destinataire.

Enfin, s’il faut être vigilant quant à l’utilisation injustifiée d’une terminologie calquée sur l’anglais dans ses traductions techniques, il ne faut pas pour autant rejeter l’emprunt, processus de lexicalisation légitime en français. Par exemple, le mot carter, qui doit son origine au mécanicien anglais J. H. Carter qui l’a inventé, désigne une enveloppe généralement amovible qui recouvre des organes mécaniques en mouvement. Il désigne aussi le contenant d’huile monté à la partie inférieure d’un moteur. Le terme est d’usage courant en français technique.

Des ressources linguistiques adaptées

Il va de soi que le traducteur technique doit posséder une excellente connaissance de la langue d’arrivée. Le fait de travailler en technique ne le dispense pas d’une qualité linguistique tout aussi rigoureuse que s’il œuvrait en traduction générale. Voilà pourquoi, à l’instar de la tenue à jour des connaissances techniques spécialisées, celle des connaissances linguistiques doit aussi faire partie du maintien de la compétence globale du traducteur. Il est malheureux de constater parfois une certaine négligence à cet égard, négligence qui peut miner tout le travail de recherche. En effet, une traduction par ailleurs techniquement juste pourrait être affligée de coquilles défigurant le texte. Ces coquilles sont souvent des détails (p. ex. oubli de la marque du pluriel, erreur d’utilisation d’une préposition ou d’une conjonction), mais elles n’en sont pas moins agaçantes, et elles ne manqueront pas de sauter aux yeux du client pour lui donner une mauvaise impression de la traduction reçue. Le traducteur ne doit pas présumer que l’effort consenti à rendre un contenu technique difficile prédisposera le client à plus de tolérance devant ce genre d’erreur.

La connaissance du destinataire

Si l’acquisition et la tenue à jour de connaissances techniques spécialisées donnent au traducteur une aisance dans les documents à traduire, elles ont une conséquence non négligeable pour l’accueil que le client ou le destinataire de la traduction lui réservera. Tôt ou tard, le traducteur sera amené à communiquer avec son client pour lui poser des questions, faire clarifier un passage ou demander des précisions techniques. La compétence d’un traducteur technique dans sa spécialité influence sa façon de communiquer, et le client aura tôt fait de s’apercevoir que le traducteur sait de quoi il parle, ce qui le rassurera sur la qualité de la traduction à venir. L’expérience aidant, le traducteur peut même, le cas échéant, signaler à son client des erreurs techniques dans l’énoncé du texte de départ. En fait, un traducteur technique spécialisé doit pouvoir converser sans problème avec un ingénieur. Autre conséquence intéressante, le traducteur en vient à être considéré comme un spécialiste de la discipline et il est reconnu comme tel par ses pairs et ses supérieurs. Dans bien des cas, le client reconnaît aussi cette compétence, par exemple en invitant le traducteur à faire partie de certains comités.

Autre point : en anglais, l’infinitif et l’impératif prennent la même forme. Mais en français, le traducteur pourrait se trouver devant un dilemme : décider s’il faut utiliser l’impératif ou l’infinitif dans son document. Son choix reposera alors sur la nature du document, sa fonction et le genre de relation que désire entretenir l’auteur avec le destinataire du document.

En aviation militaire, le secteur de l’instruction est propice à une relation plus étroite entre un instructeur et ses stagiaires. Une instruction plus personnalisée favorise l’apprentissage; par conséquent, l’impératif s’imposera dans l’énoncé de l’exécution de différentes tâches. Soit l’exemple suivant :

Drain fuel from tank of wing being removed.

Remove wing root fairings and fairing plates.

Compte tenu du contexte, on traduira de la façon suivante :

Videz le réservoir de carburant de l’aile faisant l’objet de la dépose.

Enlevez les carénages d’emplanture d’aile et les plaques de carénage.

Dans le contexte de la maintenance aéronautique courante, les consignes précédentes sont énoncées de façon absolue. Les organisations, fabricants ou constructeurs ont des rapports neutres avec les entreprises, groupes, escadres, escadrons, unités, etc., à qui sont destinés leurs documents. Voilà pourquoi le traducteur technique optera pour l’infinitif dans l’énumération des tâches à exécuter :

Vider le réservoir de carburant de l’aile faisant l’objet de la dépose.

Enlever les carénages d’emplanture d’aile et les plaques de carénage.

Enfin, le traducteur technique, tout en faisant preuve de rigueur relativement au respect des règles régissant la langue d’arrivée, doit tout de même pouvoir consentir à certains compromis, surtout si ces derniers ont pour objet de faciliter la compréhension en privilégiant la qualité de l’expression plutôt que la qualité de la langue. Dans la traduction d’examens destinés à des techniciens, il convient de s’en tenir à la terminologie de la documentation d’étude, celle que les techniciens connaissent, et de ne pas utiliser une terminologie peut-être plus correcte ou idiomatique, mais que les techniciens ne connaissent pas. Le travail du traducteur technique est de s’assurer que les techniciens comprennent bien les questions pour pouvoir y répondre de leur mieux. La traduction ne doit pas constituer un facteur de risque susceptible d’influencer le résultat de l’examen.

Quiconque utilise la documentation technique en aéronautique se rend bien compte de la présence importante de l’anglais (sous forme de calques) et de ses sigles même en français. Nous avons vu qu’il existe des signifiants bien formés en français pour nommer les réalités. Afin de favoriser l’assimilation de ces signifiants par le destinataire habitué à la documentation de langue anglaise, le traducteur technique peut les faire suivre de leur sigle anglais courant, s’il existe. Le destinataire établit alors un lien entre le sigle anglais, qu’il connaît bien, et le terme juste en français, qu’il apprend à connaître. Rien ne s’oppose par la suite à ce que le traducteur poursuive la traduction du document en ne mentionnant que le sigle anglais, surtout si la répétition du signifiant, tant en anglais qu’en français, se révélait fastidieuse.

The cockpit voice receiver (CVR) did not record any indication that either pilot was confused about the aircraft position. The CVR data indicate that both pilots noted the absence of edge lights on the runway but continued the take-off roll.

L’enregistreur phonique (CVR) ne contient aucune indication laissant croire que l’un ou l’autre des pilotes avait des doutes sur la position de l’avion. Les données du CVR indiquent que les deux pilotes ont remarqué l’absence de feux de bord de piste, mais qu’ils ont poursuivi la course au décollage.

De toute façon, il est impossible de faire abstraction des nombreux sigles anglais (ATC, CVR, FDR, HSI, HUD, VOR, etc.) émaillant les documents techniques en aéronautique. Ils sont pour la plupart utilisés dans toutes les langues, comme en témoigne un extrait de la note de synthèse du 29 juillet 2011 du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses sur l’accident du vol 447 d’Air France entre Rio de Janeiro et Paris :

Au début du CVR, peu après minuit, l’avion est en croisière au niveau de vol 350. (Français)

Zu Beginn der Aufzeichnungen des CVR, kurz nach Mitternacht, befand sich das Flugzeug auf der Reiseflughöhe FL350. (Allemand)

No initio do CVR, pouco depois da meia-noite, o avião está em cruzeiro ao nível do voo 350. (Portugais)

Bien connaître le destinataire de ses traductions conditionne aussi la reformulation adoptée pour communiquer clairement le message en aviation civile et militaire. Caractère spécialisé du message mis à part, l’expérience montre qu’il est plus difficile de satisfaire un technicien qu’un scientifique pour toutes sortes de bonnes… et mauvaises raisons. Sans entrer dans le détail, il convient de formuler ici quelques constatations.

En général, les techniciens sont peu en contact avec la langue française technique courante. La langue anglaise domine largement la communication en aviation civile et militaire. Aussi, une bonne partie de la formation des techniciens se fait en anglais ou est fortement inspirée de sources de langue anglaise. Par conséquent, leur connaissance de la langue française technique est souvent perfectible, et ils auront parfois tendance à voir une erreur dans une tournure ou un terme technique méconnus. De plus, ils ont souvent tendance à évaluer la traduction française en fonction de leur capacité à lire l’anglais en filigrane. Que peut alors faire le traducteur devant ces constats? Certainement pas passer outre, drapé dans la toge de la vertu linguistique. Il peut privilégier une terminologie technique de base, susceptible d’être comprise par le plus grand nombre, simplifier la formulation autant que faire se peut, et adopter la terminologie parallèle du client dans la mesure où elle ne gauchit pas le sens et qu’elle favorise clairement la compréhension.

Le sens du compromis

Nous venons de voir seulement quelques-unes des réalités auxquelles est confronté le traducteur technique qui travaille en aviation civile et militaire. À n’en pas douter, les défis sont nombreux, mais le travail est passionnant. Côtoyer l’actualité technologique est très stimulant pour tout traducteur technique soucieux de fournir des traductions rigoureuses et utilisables par ses destinataires. Enfin, le sens du compromis étant une qualité essentielle pour bien réussir dans ce secteur d’activité, le traducteur devra néanmoins toujours s’assurer qu’il ne le fait jamais dériver vers la compromission.

Remarque

  • Retour à la remarque 1* Presque tous les exemples du présent article sont tirés de l’ouvrage Traduire pour l’aviation civile et militaire : Guide pratique et Lexique anglais-français, d’André Senécal, chez Linguatech éditeur (parution en mars 2012).