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Mots de tête : « tel que » + participe passé

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 17, numéro 1, 1984, page 10)

L’audience a lieu tel que prévu.
(Le Droit, 10.11.83)

Il en est de certaines locutions comme de la mode « punk » ou des poupées bout-de-chou. On aime ou on n’aime pas. C’est viscéral. C’est le cas de « tel que » suivi d’un participe passé.

Nombreux sont ceux qui tiennent cette expression pour un calque de l’anglais. Barbeau1, Carbonneau2, Colpron3, Dagenais4 et Gérin5 sont de cet avis. De même que le collège des réviseurs-moniteurs du Bureau des traductions (voir fiche Repère-T/R sur l’anglicisme, 1982). Ainsi que le Comité de linguistique de Radio-Canada.

Mais la position du Comité s’est modifiée sensiblement au fil des années. Sa première fiche, qui remonte au tout début des années soixante, était une condamnation pure et simple :

Tel que ne peut être suivi que d’un nom et d’un verbe; jamais d’un adjectif ou d’un participe passé.

Une quinzaine d’années plus tard, en 1976, paraît une nouvelle fiche. Le ton, cette fois, est beaucoup plus modéré. On se contente d’une mise en garde :

Dans la langue soignée, tel que n’est habituellement pas suivi immédiatement d’un participe passé.

En 1981, la position du Comité est reprise et complétée par un de ses membres, Robert Dubuc. La place me manque pour faire état des distinctions intéressantes que l’auteur établit entre les divers emplois de « tel que », mais on pourrait résumer ainsi :

  1. S’il y a un antécédent identifiable, la tournure est acceptable (voir exemple de Siegfried ci-après);
  2. S’il n’y a pas d’antécédent, on peut reconstruire la phrase, supprimer tel que ou le remplacer par comme, ainsi que, car « cette syntaxe ne semble pas reçue du bon usage6 ».

Qu’on soit d’accord ou non avec tout ce monde, il faut reconnaître une chose : les solutions de rechange qui nous sont proposées sont souvent excellentes, presque toujours bonnes, et parfois plus courtes. Nous serions bêtes de ne pas en profiter. Il arrive pourtant que la solution ne soit guère meilleure que la « faute ». Ainsi Barbeau suggère de remplacer « tel que convenu » par « suivant que convenu ». Ce n’est pas très élégant. Je me demande si c’est français, d’ailleurs…

Malgré tous ces interdits et mises en garde, les Québécois continuent d’employer cette tournure comme si de rien n’était. Et ils ne sont pas les seuls, les Européens aussi.

Un lecteur du Monde :

« Tout est tel que prévu7 ».

Un rapport officiel :

L’association telle que prévue par la loi de 19018

(…) apporter une réponse aux problèmes de la délinquance tels que révélés par les indicateurs sociaux9

Un bulletin du ministère de l’Agriculture :

Des vérifications sont effectuées tant à la fabrication que sur les produits tels que vendus10.

Un traducteur de l’allemand :

(…) mais le centre du mouvement était bien tel que décrit11.

Pour leur part, les linguistes français sont moins catégoriques que leurs homologues québécois.

Grevisse constate :

À noter en particulier tel que suivi immédiatement d’un simple participe passé, avec ellipse du verbe être : « le système de tonnage brut (…) tel que pratiqué en Angleterre » (A. Siegfried, Suez, Panama)12.

Joseph Hanse, dans son Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne13, reprend la même citation. Il n’est pas inutile de signaler qu’elle date de 1940.

Jean-Paul Colin, dans son Dictionnaire des difficultés du français14, précise que ce tour appartient à la langue administrative ou technique. Le Grand Larousse de la langue française nous dit à peu près la même chose :

Tel que, dans la langue familière, commerciale ou administrative, est parfois suivi directement d’un participe passé, avec ellipse du verbe et du sujet : « La recette, telle que donnée ci-dessus, est prévue pour six personnes. »15

Jean Girodet, auteur du Dictionnaire du bon français16, « l’anti-faute », sans condamner la tournure, se veut plus normatif :

Tour elliptique, à éviter dans la langue soutenue.

Cette « indulgence » des grammairiens européens se comprend : l’anglicisation, réelle ou imaginaire, n’est pas aussi menaçante chez eux que chez nous. C’est sans doute ce qui explique qu’aucun n’y voit l’influence de l’anglais.

Mais s’il est vrai que pour les spécialistes québécois cette locution demeure sujette à caution, il y en a pourtant un qui l’enregistre sans le moindre commentaire. Dans sa Pratique de la révision, Paul Horguelin écrit :

Ellipse : Suppression de mots non nécessaires à la compréhension. Ex. Tel que (nous en avons) convenu17.

Ce constat, à mon sens, est un signe que l’expression est sur le point d’être reçue dans le bon usage. Autre signe, tout aussi révélateur, le Dictionnaire des anglicismes au Québec de Gilles Colpron n’en fait plus mention. Oubli? repentir? ou simple constatation que la langue a évolué?

Quoi qu’il en soit, je ne suis pas sûr de pouvoir jamais l’employer sans un petit pincement au cœur. Mais je suis tout disposé à la tolérer chez d’autres. Surtout s’il s’agit d’un texte administratif. Et si l’auteur ou le traducteur n’en abuse pas.

Car il en va des mots comme de l’alcool : la modération a bien meilleur goût.

NOTES

  • Retour à la note1 Victor Barbeau, Le Français du Canada, Garneau, 1970.
  • Retour à la note2 Hector Carbonneau, Vocabulaire général, bulletin de terminologie  147, Bureau des traductions, 1972. (Articles agreed, amended, asetc.)
  • Retour à la note3 Gilles Colpron, Les Anglicismes au Québec, Beauchemin, 1970.
  • Retour à la note4 Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Éditions Pedagogia, 1967.
  • Retour à la note5 Léon Gérin, Vocabulaire pratique de l’anglais au français, Éditions Albert Lévesque, Montréal, 1937, p. 23.
  • Retour à la note6 Robert Dubuc, C’est-à-dire, vol. XII, 6, 1981, p. 2.
  • Retour à la note7 Le Monde, 26.2.83.
  • Retour à la note8 Réponses à la violence, rapport du Comité d’études sur la violence, tome II, Presses Pocket, 1977, p. 390.
  • Retour à la note9 Ibid., p. 467.
  • Retour à la note10 Bulletin daté du 17.6.61, in Les Consommateurs, Quin, Boniface et Gaussel, le Seuil, 1965, p. 95.
  • Retour à la note11 Robert Musil, L’Homme sans qualités, tome II, Gallimard, coll. « Folio », 1973, p. 257. (Traduit de l’allemand par Philippe Jacottet. Paru en 1957.)
  • Retour à la note12 Maurice Grevisse, Le Bon Usage, Duculot, 8e éd., 1964, p. 1092.
  • Retour à la note13 Joseph Hanse, Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983, p. 911.
  • Retour à la note14 Jean-Paul Colin, Dictionnaire des difficultés du français, Robert, coll. « Les Usuels », 1980, p. 737.
  • Retour à la note15 Grand Larousse de la langue française, tome 7, 1978, p. 5969.
  • Retour à la note16 Jean Girodet, Dictionnaire du bon français, Bordas, 1981, p. 754.
  • Retour à la note17 Paul Horguelin, Pratique de la révision, s. éd. n.l., 1978, p. 97.