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À la recherche du français perdu : la pertinence de Proust

Paul Leroux
(L’Actualité langagière, volume 6, numéro 2, 2009, page 8)

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » Huit petits mots, une phrase très courte, et me voilà plongé dans l’univers de Marcel Proust, dont le chef-d’œuvre À la recherche du temps perdu est réputé être la fine fleur de la littérature française du XXe siècle. Il s’agit de sept romans qui, dans l’édition que je lisais, s’étendent sur 2 400 pages.

Mes amis et mes collègues s’étonnaient du fait que je me lance à la conquête de cet Everest littéraire. Certains avaient lu un seul de ces romans, d’autres ne s’étaient pas aventurés plus loin que la première page de l’œuvre. Le style de Marcel Proust s’avérait trop rébarbatif à leur goût.

Défis et récompenses pour le lectorat en général

Les phrases de Proust peuvent en effet sembler bien longues. Pourtant, elles sont toujours d’une merveilleuse limpidité. On ne se perd aucunement dans un dédale. Le fil, comme celui d’Ariane, est toujours facile à suivre.

J’avoue que l’œuvre renferme quelques passages arides et même ennuyeux. C’est normal qu’un romancier ne puisse maintenir, du début à la fin, le même niveau d’intérêt. Par contre, le chef-d’œuvre de Proust contient de vrais petits bijoux qui mériteraient d’être des morceaux d’anthologie. Je songe, entre autres, au passage célèbre dans Du côté de chez Swann où le protagoniste trempe, dans sa tisane, une madeleine dont le goût évoque tout un pan de sa vie, son enfance dans la ville normande de Combray. Celle-ci surgit littéralement comme un fond de scène dans l’imaginaire du lecteur. Il y a aussi ces pages dans Le Côté de Guermantes qui racontent les derniers jours de la grand-mère du héros. Ce récit est empreint d’une tendresse profonde et d’une tristesse infinie.

À la recherche du temps perdu peut s’avérer une œuvre difficile et exigeante pour le lecteur moderne. Elle demande une grande culture générale et un certain bagage de connaissances sur l’histoire, l’art, la musique, la littérature et la philosophie européennes. Ces éléments font souvent défaut aujourd’hui, même parmi les gens instruits. Mais, justement, la lecture de Proust est tonifiante, car elle nous incite à approfondir ces matières pour en savoir plus long. Nul besoin, cependant, de posséder un savoir encyclopédique. Au moyen d’outils à la disposition de tous, notamment Internet et surtout Wikipédia, nous pouvons facilement nous documenter pour mieux nous situer dans l’univers de l’auteur.

Si nous savons relever ces défis, que de récompenses l’œuvre ne nous réserve-t-elle pas! D’abord, comme toute création imaginaire, celle de Proust nous dépayse, nous transporte, nous permet d’entrer dans un monde différent du quotidien. À la recherche du temps perdu nous offre un instantané de la société française à un moment très précis, cette fin de siècle où elle était profondément divisée, scindée en deux camps farouchement opposés, par l’affaire Dreyfus et la vague d’antisémitisme qu’elle a déclenchée, contre laquelle Émile Zola a proféré, à juste titre, son célèbre « J’accuse! ».

Par surcroît, à un plus haut degré que d’autres romans français tout aussi dignes du nom, le roman-fleuve de Proust nous fait redécouvrir le plaisir sensoriel (j’oserais même dire sensuel) de la langue, d’une langue infiniment riche. Pour cette raison seule, l’œuvre de Proust mérite d’être lue.

L’intérêt de Proust pour les langagiers

Quand nous lisons la prose magistrale de Proust, son style nous imprègne comme par osmose. La lecture de l’œuvre éveille en nous le désir impératif d’écrire nous-mêmes dans un français impeccable, d’adopter un niveau de langue plus relevé.

La lecture de Proust éveille la nostalgie d’un français châtié qui déploie toutes ses ressources. Elle nous rappelle des temps de verbe que nous ne voyons guère depuis belle lurette : le passé simple et l’imparfait du subjonctif. Ils n’empêchent pas pour autant la compréhension du texte.

Proust jette un regard incisif sur l’évolution, non de la France uniquement, mais de la langue française. Il relève des accents et du jargon qui dénotent l’appartenance à une classe sociale particulière. Il critique l’emploi de certains mots qui étaient des néologismes à son époque mais qui sont passés par la suite dans la langue courante.

Il s’intéresse à l’étymologie des noms de lieux, qui témoignent du lointain passé latin et gaulois de nos premiers ancêtres français. Il parsème le texte d’expressions du terroir, hautes en couleur, riches d’expressivité, des expressions familières et chères aux Québécois et aux Canadiens français. En lisant Proust, nous retrouvons par moments les racines tenaces qui ont donné vie et dynamisme à notre propre parler.

Bref, À la recherche du temps perdu célèbre les possibilités de la langue, de notre langue. L’œuvre de Proust nous fait renouer avec un glorieux patrimoine culturel, historique, littéraire et linguistique, dont nous pouvons fièrement nous déclarer les héritiers, les dépositaires et les gardiens.