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La conjonction puisque, et un possessif ambigu

Jacques Desrosiers
(L’Actualité langagière, volume 6, numéro 1, 2009, page 28)

Q. Que pensez-vous de l’utilisation du mot puisque dans les deux phrases ci-dessous? Les traducteurs semblent utiliser ce mot dans des contextes où il ne sert pas à établir un rapport de cause à effet incontestable, à justifier une assertion antérieure ou à introduire la cause qui justifie l’énonciation, comme le veut le Petit Robert. Dans ces deux exemples, selon moi puisque est mal employé. Dans le premier cas, je dirais plutôt étant donné que, et dans le second comme. Il est vrai que le dernier sens accepté par le Robert peut être interprété de manière assez large…

Premier exemple :

Given the challenges in hiring a significant number of future environmental enforcement officers, a new hiring strategy is being adopted.

Puisqu’il sera difficile de procéder à l’embauche d’un plus grand nombre de futurs agents d’application de la loi en environnement, nous adoptons une nouvelle stratégie de recrutement.

Deuxième exemple :

As employees will no longer progress to the GT-5 group level while maintaing their same position number, new positions will have to be created for each level of the progression.

Puisque les employés ne pourront plus atteindre le niveau GT-5 tout en conservant leur numéro de poste, de nouveaux postes devront être créés pour chaque étape de leur progression.

R. Ce qui vous gêne est sans doute le fait qu’on emploie très souvent puisque pour exprimer un simple motif ou une justification, plutôt qu’une cause. Ainsi lorsque je dis : Il vient de pleuvoir, puisque la chaussée est mouillée1, il va de soi que l’humidité de la chaussée n’est pas la cause de la pluie : au contraire, c’est la pluie qui a mouillé la chaussée. Dans de telles phrases, puisque joue le rôle inverse de parce que. Le fait que la chaussée soit mouillée explique pourquoi je dis qu’il a plu. C’est une simple justification. Mais sur le plan purement rationnel, le rapport reste « causal » : du fait que la chaussée est mouillée, je conclus logiquement, ou j’induis, qu’il a plu.

Cette aptitude de puisque à énoncer une justification ne l’empêche pas de pouvoir exprimer une cause. Parfois la nuance est mince. En disant : Puisqu’elle avoue son erreur, je lui pardonne, à la fois je justifie mon pardon et en donne la cause. Pourquoi lui avez-vous pardonné?Parce qu’elle a avoué son erreur.

Cette cause doit-elle être incontestable? Une ancienne grammaire expliquait que puisque sert à « trouver chez l’interlocuteur un acquiescement2 ». Il y a de la rhétorique dans son emploi : puisque introduit un fait qu’on veut faire passer pour évident, qu’il le soit ou non. À l’interlocuteur de mettre en doute sa validité.

Ainsi, dans les deux exemples du début, en lisant le français comme s’il était l’original on peut penser que les auteurs partent du principe que les lecteurs sont au courant des causes alléguées : les deux phrases sont écrites comme si le fait en question était connu de tous. Il ne l’est peut-être pas ; il est possible que les lecteurs l’apprennent en lisant le document. L’emploi de puisque serait discutable seulement s’il était clair pour tous que la cause énoncée ne pouvait être connue des destinataires.

Peut-être avez-vous raison de penser qu’on serait en terrain plus sûr avec comme, d’un maniement plus simple, mais j’accepterais puisque dans les deux cas. Remarquez par ailleurs que toutes les contraintes auxquelles est soumis l’emploi de puisque valent pour étant donné que, si l’on se fie au Grevisse3, les deux conjonctions ayant le même sens.

Ambigüité du possessif

Q. J’aimerais savoir si les formulations en gras dans les phrases suivantes sont syntaxiquement correctes :

De 1998 à 2006, le marché japonais du poisson frais, réfrigéré ou surgelé est demeuré relativement stable, le volume des importations variant entre 2 000 et 2 300 Mtm, et leur valeur annuelle totalisant environ 1 100 millions de yens. Au cours des 11 premiers mois de 2007, les importations ont représenté 1 704 Mtm et 997 millions de yens. À titre de comparaison, le volume des importations durant les 11 mois correspondants de 2006 s’est élevé à 1 856 Mtm, et leur valeur, à 1 040 millions de yens.

Y a-t-il rupture de construction dans ces phrases? A-t-on le droit d’employer devant valeur un déterminant possessif (leur) qui renvoie à un complément du nom (importations) plutôt qu’au nom lui-même (L’Actualité langagière, volume)?

R. À ma connaissance, aucune règle en français n’interdit à un déterminant possessif (son, sa, ses, leur, etc.) d’avoir comme antécédent un complément du nom. La grammaire pratique du français d’aujourd’hui de Mauger4 donne cet exemple :

Je me suis fait l’apôtre de la Liberté, et partout j’écris son nom

son ne peut renvoyer vraisemblablement à apôtre. On peut imaginer une foule d’autres exemples dans la même veine. Il est d’ailleurs frappant de voir à quel point on passe facilement, par la reformulation, de phrases comme :

L’augmentation ou la diminution des effectifs ne changera rien

à

L’augmentation des effectifs ou leur diminution ne changera rien.

Il est normal que les déterminants possessifs donnent parfois l’impression d’avoir égaré en chemin leur antécédent, ou soient carrément sources d’ambigüité. Ces équivoques ne sont pas dues à un maniement maladroit de la langue par ceux qui écrivent, mais constituent une faiblesse inhérente à la syntaxe du possessif en français, qui, contrairement aux langues germaniques par exemple, n’indique pas le genre du possesseur (he sold his house, mais on ne dit pas : il a vendu son maison). Considérons cette phrase de Sacha Guitry, que cite Marcel Cressot dans Le style et ses techniques5 :

Elle aurait été heureuse de le revoir avant sa mort.

Phrase correcte, sauf qu’on ne sait pas si on parle de la mort de la femme désignée par le sujet (Claire aurait été heureuse de revoir Paul avant de mourir) ou de celle de l’homme désigné par le pronom complément le (Claire aurait été heureuse de revoir Paul avant qu’il meure). Il n’y a pas là d’anacoluthe. En contexte le sens est sans doute clair. Une règle étroite serait trop restrictive sur le plan stylistique.

Dans l’exemple de Guitry, le possessif (sa) peut renvoyer à un complément du verbe (le). Pourquoi ne pourrait-il renvoyer à un complément du nom, comme des importations dans notre exemple du début? On relève de telles tournures dans les dictionnaires, comme dans le Trésor de la langue française :

La légitimité des actions humaines consiste dans leur conformité à la loi générale, et leur légalité dans leur conformité aux lois locales. (à l’article « légalité »)

l’émission de radiations par des atomes matériels et leur propagation de la source émettrice jusqu’à la rétine de l’oeil observateur. (« observateur »)

Le Trésor définit l’anémie comme une maladie « caractérisée par l’augmentation de volume des globules rouges et leur teneur plus grande en hémoglobine ». Il va sans dire que la même construction est courante dans les bons journaux. Deux exemples tirés du Monde6:

La police souligne, elle, l’opportunisme des dépouilleurs et leur capacité d’improvisation.

… tout en rappelant dans une introduction la complexité de l’acte du juge, sa difficulté, le contexte législatif complexe et difficile d’interprétation, l’insuffisance des moyens et leur inadaptation.

À éviter, les cas où l’ambigüité est réelle (dans la langue parlée on se débrouille avec des tournures du genre sa maison à lui). Il arrive aussi que la construction laisse à désirer parce que l’antécédent est loin en arrière du déterminant.

Ajoutons pour finir que cette soi-disant « règle » n’est pas sans rappeler cette autre qui prétend interdire à un pronom personnel en position de sujet de renvoyer à autre chose qu’au sujet de la phrase précédente (à un complément, par exemple). Pourtant là aussi, tant que le sens est net, aucun problème :

Pierre a menti à Marie. Elle était en furie.

Dans l’introduction à sa correspondance avec Jacques Ferron7, l’écrivain André Major parle d’une lettre « … dans laquelle il [Ferron] se dit enchanté d’un long entretien que j’avais eu avec le romancier français Henri Bosco, alors qu’il séjournait à Montréal ». Certains auraient préféré écrire celui-ci. Mais la clarté du contexte rend la tournure acceptable.

Notes