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La terminologie des gangs de rue sous la loupe

Amélie Bazin
(L’Actualité langagière, volume 9, numéro 1, 2012, page 19)

Dans le cadre de leurs fonctions, les langagiers du Bureau de la traduction sont appelés à traduire des documents pour leurs clients répartis dans tous les ministères ou à produire de la terminologie spécialisée. Les sujets traités par ces ministères sont variés : la finance, le droit, la sécurité publique, la santé, les services sociaux, le transport, la défense du pays, etc. Les terminologues du Bureau ont donc développé une expertise impressionnante dans des domaines insoupçonnés du public.

Dans le présent article, vous en apprendrez un peu plus sur le travail des terminologues de la Direction de la normalisation terminologique (DNT) du Bureau de la traduction. J’y présente une démarche utilisée dans le contexte d’une recherche ponctuelle en criminologie, plus particulièrement sur les gangs de rue. Les termes en caractères gras ont fait l’objet de recherches terminologiques; les résultats sont consignés dans TERMIUM Plus®. De plus, un petit lexique bilingue se trouve à la fin de l’article.

Une traductrice a fait appel aux services de recherche ponctuelle de la DNT pour trouver les équivalents français de trois termes anglais directement liés aux comportements et aux habitudes des gangs de rue : signaling, cybersignaling et netbanging.

La recherche ponctuelle

La première étape d’une recherche ponctuelle consiste à faire des lectures pour s’instruire sur le sujet. Avant de traiter cette demande, je ne connaissais rien aux gangs de rue. Je devais donc commencer par trouver des renseignements de base pour répondre à mes questions : Comment fonctionnent les gangs de rue? Qui est responsable de quoi dans un gang? Y a-t-il une hiérarchie à respecter? Comment les membres des gangs se regroupent-ils? Pourquoi se regroupent-ils? Quelles sont leurs coutumes et leurs préférences? En quoi diffèrent-ils des organisations criminelles? Mes questions étaient nombreuses; les sources pour y répondre, plutôt rares.

Gang de rue ou gang de rues?

À la DNT, un principe terminologique est d’employer autant que possible un complément du nom au singulier, à moins que le pluriel soit nécessaire pour désigner une notion particulière. Dans le syntagme gang de rue, la particule rue fait référence au territoire délimité par la rue. Le terme rue doit donc être au singulier. Autre précision importante : le terme gang de rue s’emploie au masculin.

L’analyse des sources

Les sources sont essentielles au travail des terminologues. Il est important de déterminer quel type de source convient à la recherche et d’évaluer la fiabilité d’une source. Certains critères – la notoriété de l’auteur, la maison d’édition, l’année de publication, le style de rédaction et le type de publication – permettent de juger de la qualité d’une source.

Par exemple, une revue spécialisée qui publie les résultats d’une recherche médicale menée par des professeurs d’une université reconnue pour sa faculté de médecine constitue une source fiable dans le domaine médical. En revanche, un blogue, un forum ou un groupe de discussion public ne constituent pas des sources aussi fiables.

Dans le cas d’une recherche sur les gangs de rue, en plus des sources très fiables comme les criminologues, les professeurs de criminologie et les spécialistes des différents corps policiers, sont considérés comme des experts les membres actifs et les anciens membres des gangs. Comment avoir accès à ces « experts »? En consultant leurs blogues, les forums et d’autres groupes de discussion.

Même si la qualité linguistique de ces sources laisse généralement à désirer et que leur contenu est rarement pertinent (les détails de la soirée de M. Untel n’intéressent pas nécessairement les terminologues), les blogues renferment une foule de renseignements utiles à l’étude des habitudes des gangs de rue. Les membres des gangs étant très actifs sur Internet, j’ai pu trouver sur des blogues les réponses à presque toutes les questions que je me posais au début de la recherche.

Rouge, bleu, vert…

Cela va sans dire, le langage des gangs de rue est coloré. Saviez-vous que les gangs s’affichent et se distinguent par des couleurs, les plus connues étant le rouge, le bleu et le vert? Le lien entre les couleurs des gangs de rue et la recherche terminologique peut sembler ténu, mais tous les détails ont leur importance au moment d’effectuer une recherche.

L’affichage, loi des gangs de rue

Le terme affichage (signaling) désigne la manière d’indiquer son affiliation à un gang de rue. Les membres des gangs de rue exhibent leur affiliation et s’affichent de différentes façons. Par exemple, ils se font tatouer partout sur le corps des symboles représentatifs des principes du gang (lettres, chiffres, images, slogans, etc.). Ils portent aussi des accessoires, comme des foulards de la couleur de leur gang. Ils achètent habituellement une marque de vêtements précise et mettent parfois la jambe droite ou gauche du pantalon dans leur chaussette. De plus, ils tournent leur casquette de baseball modifiée à l’effigie du gang vers la droite ou vers la gauche et ils ne portent que des chaussures d’une marque particulière, toujours selon les principes du gang.

Les membres respectent les principes d’affichage de leur gang pour éviter les représailles. De plus, outre les signes physiques déjà mentionnés, ils doivent se plier à bien d’autres règles : réussir le rituel initiatique, écouter la bonne musique, réciter les bons poèmes, habiter le bon quartier (les gangs sont territoriaux), porter les bons vêtements, acheter les bons bijoux, dessiner les bons graffitis, posséder les armes fétiches et plus encore.

Cet affichage est physique, visuel. C’est l’affichage quotidien, celui que les gens ne faisant pas partie d’un gang apprennent à reconnaître. Mais l’affichage des gangs ne s’arrête pas à ces signes.

Les gangs sur le Web

Avec l’utilisation massive des médias sociaux, on trouve maintenant le cyberaffichage, ou l’affichage en ligne. Ces synonymes, des néologismes, rendent la notion de l’anglais cybersignaling.

La notion de cyberaffichage est encore toute jeune. C’est en quelque sorte une extension du phénomène de l’affichage et le fonctionnement est presque le même : les membres des gangs désirent prouver leur affiliation à leur gang, mais ils le font sur Internet. Leur profil Facebook ou MySpace est garni de photos compromettantes : récoltes de marijuana, séances de tatouage, voitures de luxe, armes récemment acquises, etc. Les membres y racontent aussi leurs soirées en gang et leurs activités, souvent criminelles. Le cyberaffichage est connu dans les milieux policiers; les enquêteurs sont actifs sur le Web et surveillent la fréquentation des sites préférés des membres des gangs.

Après l’affichage et le cyberaffichage, le netbanging

La recherche terminologique bilingue consiste à travailler à partir du terme de départ afin de bien comprendre la notion en jeu et de recenser les synonymes, le cas échéant. La notion que recouvre le terme anglais netbanging combine en quelque sorte les notions d’affichage, de cyberaffichage et de criminalité. Plusieurs sources Internet permettent d’attester des synonymes d’un niveau de langue plus soutenu que netbanging : Internet gang activity, gang-related activity on the Web, ou encore gang-related Internet activity. Un extrait tiré du site Web de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dresse un portait complet de la situation. Tous les traits nécessaires à la compréhension de la notion s’y trouvent :

NETBANGING

Gang members are increasingly taking their allegiances and feuds on-line. “Netbanging” refers to a wide variety of gang-related activities on the Web including the communication of information among gang members, recruitment activities and provoking hostilities amongst rival gangs through derogatory posts. Law enforcement officers are utilizing gang-related Internet activity in investigations. For example, detectives in Palm Beach, Florida, recently recovered 14 firearms in a search which was initiated after viewing on-line material. Through the Internet, youth gangs can expand their reach across the globe1.

D’un point de vue terminologique, le cas de netbanging n’est pas différent de tout autre terme : les synonymes foisonnent. On trouve, entre autres, cyberbanging et ebanging. Chaque variante lexicale anglaise existe avec et sans trait d’union.

En français, s’il vous plaît

Le site Web de la GRC propose une traduction de l’extrait cité précédemment :

NETBANGING

Les membres de bandes font part de leurs allégeances et provoquent des querelles en ligne. Le terme netbanging désigne une grande variété d’activités reliées aux bandes qui se déroulent sur le Web, comme la communication de renseignements entre les membres d’une bande, des activités de recrutement et la provocation d’hostilités entre bandes rivales par la publication de messages méprisants. Les policiers se servent des activités des bandes sur Internet pour mener leurs enquêtes. Par exemple, des détectives de Palm Beach, en Floride, ont retrouvé 14 armes à feu lors d’une perquisition qui a été lancée après avoir visionné du matériel en ligne. Grâce à Internet, les bandes de jeunes peuvent élargir leur rayon d’action au monde entier2.

Bien entendu, dans notre contexte de travail, il n’était pas question de suggérer à la traductrice d’utiliser un terme anglais dans sa traduction. Le travail des terminologues du Bureau de la traduction consiste à proposer des équivalents dans l’une ou l’autre langue officielle. Des recherches terminologiques exhaustives m’ont permis de proposer à la traductrice les néologismes suivants : cyberactivité de gangs de rue, activité de gangs de rue en ligne et vie de gangs de rue en ligne. Dans un avenir rapproché, les gangs de rue emploieront peut-être des termes plus concis ou de niveau de langue familier, mais dans le texte de la traductrice, ces solutions étaient les plus appropriées pour rendre en français la notion de netbanging.

Les démarches pour parvenir à ces termes ont été plus ardues qu’à l’habitude puisqu’il n’existait pas encore d’équivalent en français : recherches sur Internet et dans des ouvrages spécialisés, consultations de spécialistes, dont ceux du groupe Éclipse du Service de police de la Ville de Montréal et ceux de l’Escouade régionale mixte Outaouais.

À l’occasion d’un de mes appels, c’est même un téléphoniste du 911 qui a répondu! Je dois dire que j’étais assez surprise puisque j’avais composé le numéro non urgent : malgré mon délai serré, mon appel ne constituait tout de même pas une urgence policière.

Évolution

Le terme anglais cyberbanging continue de susciter mon intérêt et c’est dans l’optique de trouver un équivalent encore plus juste que j’ai demandé l’aide de mes collègues. Voici le néologisme qui remplacera les termes français proposés précédemment dans cet article : cyberréseautage criminel. Le cyberréseautage criminel correspond encore mieux à la notion de cyberbanging; nous l’avons même défini : « Réseautage en ligne effectué par des membres de gang de rue ou d’autres organisations criminelles en vue de se faire valoir ».

La terminologie évolue au même rythme que le domaine qu’elle décrit. Il ne serait pas surprenant, dans les prochains mois, d’entendre le terme cyberbanging à la radio ou à la télévision françaises, et ce, en dépit de notre recommandation.

Grâce à leurs travaux de terminologie, en particulier aux recherches ponctuelles, les terminologues du Bureau de la traduction remplissent le mandat de la DNT : examiner et normaliser la terminologie utilisée dans la fonction publique fédérale et diffuser cette terminologie dans TERMIUM Plus®.

En quoi consiste le travail des terminologues?

Le travail des terminologues du Bureau de la traduction est varié. Il consiste principalement à enrichir le contenu de TERMIUM Plus®, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada. Pour vous donner une idée de la variété des tâches, en voici quelques-unes :

  • effectuer des recherches ponctuelles pour aider les clients à bien rendre les termes spécialisés et techniques trouvés dans leurs textes;
  • élaborer des lexiques, à la demande de clients externes ou selon les besoins du Bureau;
  • analyser des cas de terminologie existants qui présentent des problèmes de compréhension, d’utilisation fautive ou d’équivalents erronés (p. ex. événement sportif vs manifestation sportive);
  • analyser et commenter des listes de termes et de néologismes provenant de partenaires étrangers afin de normaliser la terminologie utilisée ailleurs dans le monde;
  • participer à des comités de normalisation, comme celui du PAJLO (Promotion de l’accès à la justice dans les deux langues officielles) et ceux de l’ISO (Organisation internationale de normalisation).

Ces tâches mènent également à l’uniformisation de la terminologie dans toutes les sphères d’activité auxquelles touche la fonction publique fédérale.

Petit lexique des gangs de rue

Anglais Français
criminal organization organisation criminelle (n.f.)
cyberbanging; netbanging cyberréseautage criminel (n.m.)
cybersignaling; cybersignalling cyberaffichage (n.m.); affichage en ligne (n.m.)
signaling; signalling affichage (n.m.); signalement d’appartenance (n.m.)
street gang gang de rue (n.m.); bande de rue (n.f.)
street gang affiliation; gang affiliation affiliation à un gang de rue (n.f.); affiliation à un gang (n.f.)
street gang member; gang member; gangbanger membre de gang de rue (n.m.); membre de gang (n.m.)

Notes

  • Retour à la note1 Royal Canadian Mounted Police, Feature Focus: Youth Gangs and Guns, 2006, http://www.rcmp-grc.gc.ca/pubs/yg-ja/gangs-bandes-eng.pdf.
  • Retour à la note2 Gendarmerie royale du Canada, Dossier spécial : les bandes de jeunes et les armes à feu, 2006, http://www.rcmp-grc.gc.ca/pubs/yg-ja/gangs-bandes-fra.pdf.