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Mots de tête : « être (ou ne pas être) sorti du bois »

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 36, numéro 4, 2003, page 22)

Pour sortir du bois, il faut qu’il y en ait. (Richard Desjardins)

À force d’entendre les Québécois* déclarer à tout bout de champ, et à tout propos, qu’ils ne sont pas sortis du bois, l’étranger de passage chez nous – le Français, notamment – doit se sentir conforté dans son impression que nous sommes tous des descendants des coureurs des bois.

Comme cela doit faire plus d’un siècle que nous nous exprimons ainsi, ce ne sont pas les exemples qui manquent. Mais quelques-uns devraient suffire pour vous convaincre que cet usage est bien ancré dans nos habitudes linguistiques :

  • le fondateur du Devoir : Vous ne devez pas compter sur une augmentation avant que nous soyons sortis du bois1;
  • un écrivain : Mais il n’est pas sorti du bois2;
  • un ancien premier ministre : Je sentais qu’à leur tour les réalisateurs n’étaient pas sortis du bois3;
  • un journaliste : On n’est pas sortis du bois4;
  • un cinéaste : Et si l’Art s’en mêle, alors vous n’êtes pas sorti du bois5.

Originaire de France, le cinéaste Michel Régnier vit au Québec depuis une bonne trentaine d’années. Il n’est donc pas impossible que nous l’ayons eu à l’usure, qu’il ait fini par adopter nos façons de parler. Mais rien ne nous dit que ce n’est pas une image qui sommeillait dans son subconscient. L’exemple qui suit donne quelque vraisemblance à cette supposition :

C’est à force de marcher tout droit qu’on finit par sortir du bois6.

C’est ainsi que s’exprime nul autre que le Roi-Soleil lui-même. D’après Françoise Chandernagor, en tout cas. L’idée est claire : en persévérant, on finit par se tirer d’affaire. Ce n’est pas très éloigné du sens de notre locution. Mais pas plus que le nôtre, cet usage ne figure dans aucun dictionnaire.

Depuis longtemps, les défenseurs de la langue nous répètent que « ça ne se dit pas ». Les premiers à nous le rappeler, Victor Barbeau7 et Gilles Colpron8, signalent qu’il s’agit d’un calque de l’anglais « not out of the wood(s) ». Ils nous proposent plusieurs façons de l’éviter : « être aux abois(?), acculé au pied du mur(?); ne pas être hors de danger, au bout de ses peines, de ses difficultés; ne pas être tiré d’affaire, d’embarras ». Un troisième y voit ce qu’il appelle poétiquement une « usance québécoise ». Sans la condamner, puisqu’il la juge « en accord avec le code grammatical »9, il donne comme équivalents « on n’a pas fini » et « on n’est pas sorti de l’auberge ».

Après cette pléthore de formules, on peut se demander si les dictionnaires bilingues trouveront quelque chose à ajouter. Le vieux Larousse anglais-français de 1960 traduit par « hors d’affaire, tiré du pétrin » (cette dernière traduction disparaîtra des éditions subséquentes du Larousse bilingue). Le Harrap’s ajoute : « nous ne sommes pas encore quittes de toutes les difficultés, au bout ». Outre deux équivalents que nous avons déjà vus, le Robert-Collins donne une variante plus moderne : « on est au bout du tunnel maintenant ». (Sur ce modèle, Lionel Meney10 propose « ne pas voir le bout du tunnel ». J’ajouterais mon grain de sel : « on n’est pas (encore) sorti du tunnel ».)

En 2001, j’ai rencontré chez une bonne journaliste une phrase qui m’a fait me précipiter sur mes dictionnaires : « ce n’est pas ce qui va permettre au Québec de sortir de l’ornière »11. Seul le Robert-Collins n’était pas aux abonnés absents. On y lit : « il est sorti de l’ornière maintenant-he’s out of the woods now ». C’est une autre corde à votre arc. Ou une autre flèche dans votre carquois, si vous préférez.

Notre locution n’a évidemment pas échappé aux auteurs de dictionnaires québécois. Le Livre des expressions québécoises12 la définit en reprenant une solution proposée par Barbeau, et le Dictionnaire de locutions et d’expressions figurées du Québec13 donne une explication semblable : « ne pas avoir fini avec des difficultés, des ennuis ». Le Dictionnaire du français Plus14 apporte une précision intéressante : « être dans une situation difficile, embarrassante, qui risque de s’envenimer ». Le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui15 et le Dictionnaire des canadianismes16 l’enregistrent aussi, sans commentaire.

Des signes indiquent que notre tournure serait « sortie » du purgatoire. Elle ne figure plus dans la bible de nos anglicismes (dernière mention, le Colpron de 1994). Plus récemment, un conseiller linguistique de Radio-Canada17 recommande de réserver cette « expression colorée », « bien de chez nous », à l’usage familier. Et dans les deux dernières éditions de son Multidictionnaire18, Marie-Éva de Villers se contente de lui accoler une petite fleur de lys. Dans la quatrième et dernière, elle donne comme synonyme « on n’est pas sorti de l’auberge ». C’est presque une sorte de feu vert…

Longtemps j’ai cru – et espéré – que nos cousins finiraient par adopter notre tournure. Surtout après l’exemple de Françoise Chandernagor, qui semblait ouvrir la voie. Et je ne suis pas seul à y avoir cru. Un linguiste, Louis-Paul Béguin, ayant écrit dans sa chronique du Devoir (16.04.82) : « Le français n’est pas sorti du bois », je lui avais demandé son avis sur ce calque. Il me répondit indirectement deux semaines plus tard, affirmant que l’expression était bel et bien française, en se fondant, hélas, sur l’exemple de L’Allée du Roi

Aujourd’hui, je n’y crois plus. Pour deux raisons, essentiellement. D’abord, parce qu’il existe depuis longtemps plusieurs expressions qui ont un sens différent de part et d’autre de l’Atlantique, et dont le sens québécois est toujours absent des dictionnaires. Par exemple, « être bête comme ses pieds », « faire du foin », « ne pas faire un pli », « de l’or en barre ». Je vous laisse le plaisir d’en vérifier le sens. Ce n’est pas le nôtre.

Par ailleurs, ils ne sont pas rares les calques auxquels les dictionnaires français déroulent le tapis rouge : manger son chapeau, la cerise sur le gâteau, patate chaude, ce n’est pas ma tasse de thé. Alors, on se demande ce qui peut bien manquer à ne pas être sorti du bois pour qu’elle trouve grâce à leurs yeux. La réponse tient peut-être à l’apparition récente d’une tournure semblable, mais dont le sens est différent.

Je l’ai lue pour la première fois dans une dépêche de l’Agence France-Presse (juin 2001) : « Pierre Hugo sort du bois alors que sera célébré en 2002 le bicentenaire de la naissance de Hugo ». Mais elle figurait déjà dans le Petit Robert, dès l’édition 2000 : « sortir du bois – se manifester ». Pour ne pas être en reste, le Petit Larousse de 2001 étoffe un peu : « sortir du bois-prendre position, dévoiler ses intentions, intervenir ». Enfin, le Lexis de 2002 nous donne un exemple : « Paul est sorti du bois-il s’est manifesté ouvertement ». (Ce tour découlerait-il du vieux proverbe « la faim fait sortir le loup du bois »?)

Je suis parfois tenté d’appliquer aux Français et aux Québécois la fameuse boutade qu’on attribue tantôt à Churchill, tantôt à Bernard Shaw : « les Anglais et les Américains sont divisés par une langue commune ». Mais je suis sans doute trop pessimiste. Qui sait?, couleur locale aidant, nous aurons peut-être plus de chance avec une variante du premier ministre Jean Chrétien : « Nous ne sommes pas sortis du banc de neige »19.

P.-S. : J’avais négligé de vérifier dans le tout dernier Robert-Collins (2002). Non seulement on y trouve « sortir du bois-to make one’s intentions clear », mais notre expression y figure aussi : « on n’est pas sorti du bois (= tiré d’affaire)-we’re not out of the woods yet ». Sans indication qu’il s’agit d’un usage québécois ou canadien. C’est pour le moins bizarre, me direz-vous. Mais vous n’allez quand même pas vous plaindre que la mariée est trop belle!

Retour à la remarque 1* Pour faire court, je me permets cette synecdoque.

NOTES

  • Retour à la note1 Henri Bourassa, lettre à Olivar Asselin, 10 octobre 1909. Citée par Hélène Pelletier-Baillargeon, Oliver Asselin et son temps, Montréal, Fides, 1996, p. 459.
  • Retour à la note2 Jacques Ferron, lettre au Nouveau Journal, 25.10.61. Dans Lettres aux journaux, Montréal, VLB Éditeur, 1985, p. 175.
  • Retour à la note3 René Lévesque, Attendez que je me rappelle, Montréal, Québec/Amérique, 1986, p. 204.
  • Retour à la note4 Jean Paré, L’Actualité, février 1998.
  • Retour à la note5 Michel Régnier, L’Humanité seconde, Montréal, HMH, 1985, p. 240.
  • Retour à la note6 Françoise Chandernagor, L’Allée du Roi, Éditions du Club France Loisirs, 1982, p. 500. (Paru en 1981.)
  • Retour à la note7 Victor Barbeau, Grammaire et linguistique, Montréal, cahier  12 de l’Académie canadienne-française, 1968. (Voir aussi Le français du Canada, Québec, Garneau, 1970.)
  • Retour à la note8 Gilles Colpron, Les anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970.
  • Retour à la note9 Jean-Marie Courbon, Guide du français des affaires, Montréal, Didier, 1984, p. 7 et 9.
  • Retour à la note10 Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Montréal, Guérin, 1999.
  • Retour à la note11 Chantal Hébert, Le Devoir, 19.11.01.
  • Retour à la note12 Pierre DesRuisseaux, Le Livre des expressions québécoises, Montréal, HMH, 1979, p. 37.
  • Retour à la note13 André Clas et Émile Seutin, Dictionnaire de locutions et d’expressions figurées du Québec, Montréal, Université de Montréal, 1985, p. 34.
  • Retour à la note14 Claude Poirier, Dictionnaire du français Plus, Montréal, Centre éducatif et culturel, 1988.
  • Retour à la note15 Jean-Claude Boulanger, Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, DicoRobert inc., 1993.
  • Retour à la note16 Gaston Dulong, Dictionnaire des canadianismes, Sillery (Qc), Septentrion, 1999.
  • Retour à la note17 Guy Bertrand, 400 capsules linguistiques, Montréal, Lanctôt éditeur, 1999.
  • Retour à la note18 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Montréal, Québec/Amérique, 4e édition, 2003.
  • Retour à la note19 Michel Vastel, Le Droit, 10.01.01.