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Non seulement n’a-t-il pas raison, mais encore il a tort!

Jean-Claude Gémar
(L’Actualité langagière, volume 7, numéro 3, 2010, page 33)

La locution adverbiale non seulement vient du latin (non solum/modo, sed etiam : non seulement, mais aussi/encore/même). Elle est bien souvent placée en tête de phrase, car très utile dans le discours pour opposer deux termes. Depuis le XVIIe siècle, au moins, cette construction suit le schéma que Nicot avait déjà relevé, en son temps, dans son Thresor de la langue françoyse (1606) :

Non seulement il me semble que mes faits sont aussi grans que ceux des empereurs, mais aussi ma fortune.

Depuis lors, lexicographes, grammairiens, écrivains, auteurs et rédacteurs suivent cet ordre de rédaction de la phrase, le sujet précédant le verbe, comme on le voit presque deux siècles plus tard dans la 5e édition (1798) du Dictionnaire de l’Académie française :

Non-seulement il n’est pas savant, mais il est très-ignorant. Non-seulement je l’ai payé, mais encore je lui ai fait un présent.

Cette façon de faire se retrouve dans les éditions suivantes du Dictionnaire de l’Académie, jusqu’à la 8e (1932-1935), qui reprend les mêmes exemples, avec pour seule différence le mot cadeau, substitué à présent – modeste concession des membres de l’Académie à la modernité, sans doute.

Or, depuis quelque temps, au Canada et notamment au Québec, on entend et on voit de plus en plus fréquemment l’inversion du sujet, rejeté après le verbe – dans la presse écrite et dans les médias (radio et télévision, pour ne rien dire d’Internet…) et jusque dans les décisions de nos tribunaux. Au point que les milieux juridiques eux-mêmes s’en sont émus, comme le montre l’exemple que présente la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) :

Non seulement la législation prescrit-elle l’obligation d’assurer une surveillance, mais aussi en fixe-t-elle très précisément les modalités.

SOQUIJ y dénonce, à juste titre, l’inversion du sujet comme étant « malencontreusement de plus en plus courante1 ». Cet état des choses est-il dû à l’inattention, à un manque de rigueur, à l’ignorance ou à la négligence? Une action collective d’envergure, lancée par nos langagiers justement indignés, serait-elle nécessaire pour tirer cela au clair et nous faire dire par un tribunal de quoi il en retourne exactement, à savoir où ce sujet devrait(-il) être situé : avant ou après le verbe? Quelle qu’en soit la cause, elle procède généralement d’un réflexe d’habitude bien connu, celui que les « moutons de Panurge » ont rendu proverbial. Il reste qu’on ne sait trop à qui attribuer cette entorse à un usage pourtant bien établi, et depuis longtemps.

Serait-ce dû, finalement, à un quiproquo regrettable mais révélateur sur le sens véritable à dégager d’une proposition où l’inversion du sujet est chose normale lorsque l’auteur s’interroge ou pose une question? Devant une formulation comme celle de Proust, par exemple, dans cette phrase extraite de son chef-d’œuvre À la recherche du temps perdu, où l’auteur s’interroge :

Je me disais aussi : « Non seulement est-il encore temps, mais suis-je en état d’accomplir mon œuvre2 »

Phrase qui pose une question. Mais lorsque le même auteur déclare :

Non seulement j’avais la confiance la plus absolue en Saint-Loup, en la loyauté de son amitié, et il l’avait trahie (…), mais il me semblait que, de plus, il eût dû être empêché de le faire3. (la mise en évidence est de l’auteur)

la construction de sa phrase est en tout point conforme à l’usage grammatical ancestral et à ses canons, que respectent toujours les bons auteurs et rédacteurs. Voici quelques morceaux choisis d’un florilège loin d’être exhaustif.

Dupré, la référence en la matière4, reprend l’exemple que donne Grevisse (cf. plus bas) :

Non seulement on l’estime, mais encore on l’aime.

Le Grand Larousse de la langue française5 ne le dit pas différemment :

Non seulement je ne regrette pas cet incident, mais je m’en réjouis. 

Non seulement il ne fait rien mais encore il proteste.

Ni le Lexis6 :

Non seulement on respecte cet homme, mais encore on l’aime.

Chez Hanse7, autre grand nom du domaine, on trouve ces exemples, dont le premier, qu’il reprend du Dictionnaire de l’Académie :

Non seulement il n’est pas savant, mais il est très ignorant (Ac.)

Non seulement je l’ai payé, mais…

Grevisse, pour sa part, propose ceci :

Non seulement on l’estime, mais encore on l’aime8.

Non seulement je l’ai payé, mais encore je lui ai fait un cadeau9.

Dans tous ces exemples, extraits d’ouvrages de référence et d’auteurs des plus réputés pour leur connaissance érudite de la langue, on cherchera vainement une inversion du sujet. Si l’usage – le Bon, que le grand Grevisse a méticuleusement relevé – est bien celui des grands écrivains, ainsi que le définit le Grand Robert, il faut alors le suivre, ne serait-ce que pour en donner l’exemple – le bon, de préférence! –, celui qui, depuis des siècles, a été patiemment relevé, confirmé et recommandé par nos grammairiens, écrivains et lexicographes les plus réputés.

Alors, me dira-t-on, quelle conclusion peut-on tirer de cette tournure pour le moins inusitée qu’est l’inversion du sujet après non seulement, alors que des siècles d’usage en ont fixé le cours? Pour cela il faudrait peut-être se tourner, une fois n’étant pas coutume, vers une autre tradition, celle d’une « autre culture » dont la nôtre s’accommode parfois si aisément et dans laquelle on énonce ainsi la même idée, mais… en inversant les facteurs :

Not only do we grasp the beginnings of a problem, but… (le gras est de l’auteur)

Comme l’ont si bien dit nos ancêtres romains, si l’erreur est humaine, perseverare est, lui, diabolicum! À moins de chercher sciemment à rompre avec un usage avéré et établi dans le monde d’expression française et de vouloir imposer une norme parallèle à seule vocation régionale, ce qui nous isolerait encore davantage au sein de la grande famille des francophones.

L’Actualité terminologique a publié, en 2002, un dossier intitulé « Peut-on faire l’inversion du sujet après non seulement? ». Les lecteurs intéressés sont invités à (re)lire les articles de ce dossier, signés Jacques Desrosiers et Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 35, numéro 1). Les internautes trouveront les articles « Chroniques de langue Non seulement ou le sujet attrapé par la queue » et « Chroniques de langue Mots de tête : « non seulement ou de l’inversion du sujet » » dans les Chroniques de langue sur le site de TERMIUM Plus®. Comme quoi la question est toujours d’actualité!

Notes