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En avoir ou pas

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité langagière, volume 3, numéro 3, 2006, page 30)

À voir les nombreuses tournures dont nous disposons pour dire de nos semblables que ce ne sont pas des lumières, on pourrait croire que la plupart sont passés à côté de la distribution…

Dans sa Lettre ouverte aux hommes politiques, par exemple, Pierre Viansson-Ponté rapporte ce mot du général de Gaulle : « Un brave type, Massu, mais il n’a pas inventé l’eau chaude ». On en trouve trois variantes dans l’ouvrage de Rey-Chantreau, « ne pas avoir inventé l’eau tiède, bouillie, ou salée ».

Évidemment, tout le monde connaît « ne pas avoir inventé la poudre (à canon) ». Ou « le fil à couper le beurre », voire le « fil » tout court. Ce sont des expressions classiques. Le Harrap’s Slang en donne une que je n’avais jamais vue : « ne pas avoir inventé les pains à cacheter ». San-Antonio parle de quelqu’un qui n’aurait pas inventé la pénicilline. Mais c’est l’écrivain Michel Saint-Pierre qui remporte la palme avec « il n’a pas inventé le pot de chambre à deux places ».

Qui dit mieux? Les Québécois, ou les Acadiens, peut-être? Qui ne connaît chez nous « ne pas avoir inventé les boutons à quatre trous » ou « la trappe à souris »? Bruno Lafleur, dans son recueil de locutions, en signale deux que je ne connaissais pas : « ne pas avoir inventé les courants d’air », ou « la corde à changer le vent ». Dans une pièce de Marie Laberge, C’était avant la guerre à l’Anse à Gilles, un personnage dit d’un autre : « y a pas inventé la cassonade brune ». J’ai commis ma propre « invention » il y a une quinzaine d’années, qui vaut bien celle de San-Antonio : « ce n’est pas lui qui a inventé la brillantine ».

J’ai un ami qui aimait bien dire qu’un tel n’avait pas « mis les pattes aux mouches ». Un certain journaliste accusa un jour des ministres fédéraux québécois de ne pas avoir inventé les « springs à sauterelles »… Il attribue l’expression aux gens du Saguenay. On peut présumer qu’ils la connaissent, mais ils n’en ont pas pour autant le monopole, car la romancière acadienne bien connue, Antonine Maillet, l’emploie dans Mariaagélas. Mais elle la francise : « C’était pourtant pas un Gélas qu’avait mis les ressorts aux sauterelles ». Elle en emploie une autre aussi, « ne pas avoir broché les mouches à feu » (je me demande bien d’où vient ce « broché »).

On ne peut certes pas dire que les Acadiens manquent d’imagination. Témoin ce beau mot de l’animateur d’une émission acadienne, Pistrolet : « c’est pas lui qu’a peinturé les éloèses »1, c’est-à-dire les éclairs, mot qu’on rencontre d’ailleurs chez Montaigne. Il faudrait en effet être plutôt « vite » pour y arriver. Ce qui évoque une autre expression, de sens assez voisin : « il n’est pas vite sur ses patins ».

Mais l’expression la plus connue chez nous est sans doute celle associée à Papineau. Louis Fréchette nous apprend dans ses Mémoires intimes qu’à son époque le nom Papineau était devenu synonyme de perfection. De sorte que par euphémisme, pour insinuer qu’un tel frisait l’imbécillité, on disait « ce n’est pas Papineau ». Aujourd’hui, ça ne se dit sans doute plus. Et par une sorte de procédé métonymique, j’imagine, nous en sommes venus à dire « c’est pas la tête à Papineau ». Mais il me semble qu’on l’entend moins. Est-ce parce qu’on ne saurait plus qui était Papineau2?

NOTES

  • Retour à la note1 D’où le nom du cirque Éloize.
  • Retour à la note2 Louis-Joseph de son petit nom (1786-1871), chef du Parti patriote, l’un des instigateurs de la rébellion de 1837.