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Si vous êtes d’accord…

Jacques Desrosiers
(L’Actualité terminologique, volume 35, numéro 3, 2002, page 21)

L’ex-premier ministre est d’accord avec la réforme visant à améliorer la gouvernance…, lit-on dans un numéro récent du journal Les Affaires1. Ceux à qui on signale la « faute » possible dans cette phrase écarquillent toujours les yeux. Une faute? Quelle faute? C’est que la tournure au centre de la phrase – être d’accord avec quelque chose – en dérange certains pour la bonne raison qu’elle est absente des grands dictionnaires, qui ne l’ont jamais connue ni reconnue. On peut se demander pourquoi il y aurait là matière à controverse.

Mais les dictionnaires, qui ne sont pas toujours d’accord avec l’usage, ont leurs raisons. Être d’accord veut dire « être du même avis », « partager le même point de vue ». Or on ne peut être du même avis qu’une idée ou qu’un projet : on est du même avis qu’une autre personne, on partage le point de vue de quelqu’un. L’accord, étymologiquement, est une affaire de cœur. Être d’accord, comme d’autres locutions de la même famille telles que mettre d’accord ou tomber d’accord, évoque une conformité de sentiments, de pensées (dixit le Petit Robert), un « pacte » selon le Robert historique, qui signale par ailleurs qu’en bas latin le verbe accorder avait « un complément humain ». Les accords se font entre des personnes. Ou encore entre des États ou les membres d’un groupe.

Quelques exemples classiques du bon usage, cités par Grevisse : Nous sommes d’accord sur un point avec l’antisémite (Sartre). Permettez-moi de n’être pas d’accord avec vous sur ce point (Mauriac). Il était d’accord sur tout (Zola). Elle est d’accord avec moi pour tout (Giono). Ces tournures sont bien sûr encore très vivantes, ici au Canada :

Je suis d’accord avec vous. L’acupuncture peut soulager sinon guérir plusieurs maux2.

…le Globe dit être d’accord avec les Canadiens qui trouvent curieux que le pays ait « un chef d’État étranger »3

autant qu’en Europe :

Je suis d’accord avec ceux qui affirment que cette élection exprime avant tout la défaite de la gauche4.

Je suis d’accord avec les dirigeants de la Fédération quand ils disent qu’il faut que ce soit un Belge5.

Helmut Kohl est d’accord avec son ministre pour préserver l’armée de conscription6.

Une femme n’était pas d’accord avec le styliste sur la manière de broder des perles7.

Les choses peuvent, elles aussi, être d’accord les unes avec les autres. La tournure s’emploie pour parler de leur harmonie. On disait anciennement que des sons pouvaient être d’accord avec des couleurs; Buffet, cité par Littré, écrivait que la forme du corps et le tempérament sont d’accord avec la nature; Stendhal, cité par le Trésor de la langue française, a écrit que le ciel … était d’accord avec les rayons tranquilles d’une belle lune. On dirait peut-être encore que les sentiments ne sont pas toujours d’accord avec la raison, bien que d’accord dans ce sens semble avoir cédé la place au fil du temps à en accord, puisqu’on écrit sans problème aujourd’hui qu’un vin est en accord avec un mets, un style avec un sujet, des actes avec des principes.

Bref tout va bien tant que l’accord se fait entre des entités de même nature. C’est une relation symétrique, comme on dirait en mathématique : si je suis d’accord avec vous sur telle chose, vous êtes forcément d’accord avec moi sur la même chose; si le jambon est en accord avec l’ananas, l’ananas n’a pas tellement le choix.

On voit ce qui cloche dans être d’accord avec quelque chose : si vous êtes d’accord avec une réforme, cette réforme peut difficilement être d’accord avec vous. Il n’y a plus de symétrie. Être d’accord avec quelque chose est donc un peu un intrus dans la famille. Les locutions comme mettre d’accord ou tomber d’accord obéissent au même principe de symétrie : on tombe d’accord les uns avec les autres, mais non avec quelque chose. Des étudiants qui travaillent en groupe peuvent se mettre d’accord (entre eux ou avec le professeur) sur la longueur du travail, mais ils ne peuvent se mettre d’accord avec la longueur du travail.

Soit dit en passant, ces restrictions visent essentiellement les locutions formées autour du noyau d’accord. Avec en accord, les règles sont plus souples. De même, on dit bien qu’une personne donne son accord à une décision, à un principe. Le Trésor signale de façon très générale que l’accord peut désigner une union « entre l’homme et les choses », bien que les exemples ne concernent pas d’accord, et que les autres grands dictionnaires ignorent cette relation.

Chez nous, le tour est si bien ancré dans l’usage que de très bonnes sources langagières l’emploient comme si de rien n’était, sans se rendre compte apparemment que ce faisant elles s’écartent de la norme. La chronique La force des mots sur le site de la CSN fait l’observation suivante sur la façon correcte d’employer le verbe s’objecter : Lorsqu’on n’est pas d’accord avec une décision, qu’on y fait obstacle, on s’oppose à cette décision ou on la conteste. Le verbe objecter ne s’emploie pas à la forme pronominale8.

De même, Lionel Meney, attentif aux moindres caractéristiques de l’usage québécois, signale dans son Dictionnaire québécois français la tournure : On avait dénombré quatre conseillers en accord avec cette proposition, et propose comme équivalent en français standard : d’accord avec cette proposition (noter que son dictionnaire n’est pas normatif et ne condamne pas ces écarts). Or, bien sûr, d’accord avec cette proposition n’appartient pas au français standard, du moins si l’on se fie aux grands dictionnaires. On notera par ailleurs que Marie-Éva de Villers évite soigneusement la tournure à l’entrée d’accord de son Multidictionnaire.

Peu d’ouvrages abordent la question de front. Le seul à mentionner le tour sans réserve est le Dictionnaire d’orthographe (1987) de Dournon, qui écrit à l’entrée accord : On est d’accord surqqch (ou en ou avec), mais sans donner d’exemple. Remarque étonnante compte tenu du silence des grands dictionnaires.

Dans Le bon usage (1993), André Goosse fait observer qu’il faut dire être d’accord sur quelque chose, mais que dans l’usage sur est en concurrence avec d’autres prépositions : de, vieilli, comme dans l’exemple de Chateaubriand : vous êtes d’accord de tout ce qui se passe; en, comme dans tout le monde en est accord ou on en demeure d’accord; pour et avec. Mais Goosse mentionne avec seulement pour noter que son emploi est d’une « correction douteuse ». Cette condamnation n’est pas nouvelle dans Le bon usage, mais il est intéressant de noter qu’il y a trente ans, à l’époque de la 10e édition, Grevisse lui-même donnait d’abord comme normatif le tour être d’accord de, puis constatait que l’usage employait surtout à ce moment-là être d’accord sur. Il y a donc eu évolution de l’usage. Peut-être certains penseront que Goosse a trop de scrupules et que nous sommes rendus à l’étape d’avec. Peut-être aussi les réserves de Goosse s’expliquent par le fait qu’il ne trouve pas encore la tournure sous la plume d’écrivains.

De fait, être d’accord avec quelque chose se rencontre dans la presse européenne depuis un bon bout de temps. Ces exemples du Monde datent d’une quinzaine d’années :

Nous ne pouvons pas être d’accord avec cette analyse9.

Tout le monde n’est sans doute pas d’accord avec ce qu’il dit, mais tout le monde écoute et regarde « Ollie » contre le Congrès des États-Unis10.

Mais en Europe le tour apparaît souvent dans le contexte de la langue parlée :

M. Delevoye a tenté de revenir à la charge : « Je suis d’accord avec l’objectif politique du non-cumul des mandats11… »

« Je suis d’accord avec cette initiative, c’est positif. […] c’est une étape en avant », a déclaré le dissident Vladimiro Roca12.

Beaucoup de gens me disent qu’ils sont plutôt d’accord avec les positions que je défends13.

Le tour n’est donc pas exclusif au français d’ici, mais il semble nettement plus fréquent ici qu’en Europe. À preuve, dans un autre ouvrage qui signale le problème, le Dictionnaire universel francophone de Hachette, consultable en ligne, on peut lire à l’entrée accord : (Québec) Être d’accord avec qqch ou (emploi qui se répand en France) pour qqch : reconnaître qqch comme acceptable, l’approuver. On n’est pas d’accord avec ce projet14. Notez bien que c’est l’emploi avec pour qui se répand en France selon ce dictionnaire. Être d’accord avec quelque chose est carrément donné comme un québécisme.

Serait-ce donc un anglicisme? Certains dictionnaires anglais gardent pourtant leurs distances eux aussi. Le Gage affirme explicitement : « One agrees to a plan and agrees with a person, but one thing agrees with another ». Mais le Collins Cobuild, moins normatif, consigne le tour de plain-pied avec le tour classique : « If you agree with an action or suggestion, you approve of it ».

Correcte ou non, la tournure est répandue en anglais, et c’est bien pourquoi les dictionnaires bilingues doivent proposer quelque chose. Or, dans leur partie anglais-français, le Robert Collins et le Larousse traduisent tous deux to agree with something par être d’accord avec quelque chose. Mais, curieusement, les deux ouvrages proposent ces traductions dans des rubriques censées illustrer les emplois de to agree au sens de « share opinion » ou « hold same opinion ». La situation est flagrante dans le Robert Collins : on traduit d’abord to agree with par être du même avis, puis on donne l’exemple je suis d’accord avec l’idée de ressayer demain. Il s’agit en plus d’un exemple unique : tous les autres dans l’entrée sont tout à fait classiques. Même chose dans le Larousse. De plus, ces équivalences n’apparaissent que dans la partie anglais-français. Autrement dit, les auteurs ont proposé une traduction pour to agree with something, mais dans la partie français-anglais, où il faut traduire le français, ils ont fait comme si la tournure n’existait pas. Il y a du bricolage là-dedans.

On notera toutefois que le Harrap’s mentionne la tournure depuis des décennies dans sa partie français-anglais, tandis qu’il l’ignore dans la partie anglais-français. En revanche, elle est totalement absente du Hachette-Oxford.

Au total, la tournure a beau être répandue dans l’usage, les dictionnaires ne sont pas généreux : une petite remarque dans le Dournon; une entrée qui ravale le tour au rang de régionalisme dans le Hachette en ligne; quelques idées générales sur l’accord entre l’homme et les choses dans le Trésor; des exemples qui semblent apparaître au hasard dans les bilingues. En somme, pour trouver cette tournure, il faut fouiller dans les recoins, et bien qu’elle figure dans la plupart de ces sources depuis un bon bout de temps, les grands dictionnaires sont jusqu’ici restés de marbre. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne changeront jamais d’avis. À chacun de décider s’il vaut mieux les attendre. Si leur silence vous cause des impatiences, allez consulter l’oracle Google. Son rouleau compresseur va vous aplatir les grands dictionnaires en une fraction de seconde avec des dizaines de milliers d’occurrences de la « faute ». Il est vrai que dès qu’on exclut de la recherche le domaine de tête .ca, il en disparaît aussitôt un bloc de quelques dizaines de milliers. Et parmi celles qui restent, c’est la pagaille15.

NOTES

  • Retour à la note1 Les Affaires, 15 juin 2002.
  • Retour à la note2 La Presse, 9 juin 2002.
  • Retour à la note3 Le Devoir, 8 juin 2002.
  • Retour à la note4 Le Monde, 11 mai 2002.
  • Retour à la note5 Le Soir,14 juin 2002.
  • Retour à la note6 Libération, 4 juillet 1996.
  • Retour à la note7 Libération, 14 juin 2002.
  • Retour à la note8 Chronique du 12 mars 1999, à www.csn.qc.ca/Mots/ChrnfrNCSNCont.html.
  • Retour à la note9 Le Monde, 23 mai 1987.
  • Retour à la note10 Le Monde, 11 juillet 1987.
  • Retour à la note11 Le Monde, 15 mai 2002.
  • Retour à la note12 Le Monde,13 mai 2002. C’est une traduction.
  • Retour à la note13 Libération, 26 janvier 1996.
  • Retour à la note14 www.francophonie.hachette-livre.fr. Source signalée dans un échange de courriels entre Lynne Davidson, Yolande Guibord et Frèdelin Leroux (3 avril 2002), qui ne partagent pas nécessairement le point de vue exprimé ici.
  • Retour à la note15 Voici à toutes fins utiles les nombreuses traductions que propose pour le verbe to agree le Vade-mecum du traducteur de l’ONU, publié en l’an 2000 : « Aboutir/arriver/parvenir à un accord, conclure/passer un accord; accéder (à une demande), accepter, s’accorder à dire/estimer/juger/penser/reconnaître; admettre, adopter, approuver, s’associer à, concorder, confirmer, consentir, constater, convenir de/que, décider, définir, donner son accord/adhésion/agrément/approbation, s’entendre sur, estimer (aussi/comme), être du même avis, être favorable, être généralement d’avis, être unanimes à, faire sienne (une opinion), juger d’un commun accord, marquer son accord, partager l’opinion de, penser comme, reconnaître (le bien-fondé de), répondre favorablement (à une demande), s’associer aux remarques de, se ranger à l’avis de, souscrire; I fully agree that : Je partage sans réserve le point de vue selon lequel; agree to lend an amount : consentir un prêt; except as the Association shall otherwise agree : à moins que l’Association n’accepte qu’il en soit autrement; to agree on solutions : s’entendre sur les solutions; X agrees with the Board’s observations : X partage l’avis du Comité; except as the parties may otherwise agree : à moins que les parties n’en décident autrement; X says that he agrees with Y : X s’associe aux vues de Y. »