Services publics et Approvisionnement Canada
Symbole du gouvernement du Canada

Liens institutionnels

 

Avis important

La présente version de l'outil Chroniques de langue a été archivée et ne sera plus mise à jour jusqu'à son retrait définitif.

Veuillez consulter la version remaniée de l'outil Chroniques de langue pour obtenir notre contenu le plus à jour, et n'oubliez pas de modifier vos favoris!

Rechercher dans Canada.ca

Voyage singulier des Escoumins aux Saintes-Maries-de-la-Mer

Jacques Desrosiers
(L’Actualité langagière, volume 3, numéro 1, 2006, page 19)

On ne bute sur l’accord en nombre des noms de ville qu’avec les quelques noms qui contiennent l’article les – comme Les Éboulements, Les Escoumins, Les Baux-de-Provence ou Les Saintes-Maries-de-la-Mer. Même des noms pluriels comme Trois-Rivières se font suivre du singulier. Mais ceux avec l’article doivent-ils être considérés comme des singuliers ou des pluriels? Faut-il dire que Les Éboulements sont un joyau de la région de Charlevoix ou que Les Éboulements est un joyau de la région de Charlevoix?

Comme ces noms désignent une seule entité, aux coordonnées uniques, ils sembleraient devoir être singuliers. Mais comme ils sont précédés de l’article les, ils se comportent sur le plan de la syntaxe comme s’ils désignaient plusieurs entités, ce qui met toute la construction de la phrase en jeu.

Les noms de pays nous viennent à l’esprit, mais l’histoire des pays est particulière : le pluriel d’États-Unis ou de Pays-Bas est naturel parce que de tels noms renvoyaient à l’origine à une pluralité d’entités territoriales. Ce n’est pas le cas des noms de ville. Le nom des Escoumins vient de petits fruits. Celui des Boules, à Métis-sur-Mer, de grosses roches polies par les vagues du Saint-Laurent. Les Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue dans le sud de la France, rappellent deux saintes chassées de Jérusalem après la mort de Jésus-Christ. Et ainsi de suite.

L’Encyclobec1 de l’Institut national de la recherche scientifique, dans une page écrite par l’historien Christian Harvey, emploie le pluriel, ainsi que Québec-Vacances2 et, dans sa publicité, un gîte touristique situé sur la Côte-Nord3 :

Les Éboulements sont au début du XIXe siècle un des lieux de peuplement les plus importants de Charlevoix.

Les Escoumins sont appréciés pour la diversité et les couleurs de la flore et la faune marine.

Les Bergeronnes sont l’endroit privilégié pour l’observation de ces grands mammifères marins.

Le pluriel respecte les règles fondamentales de l’accord, et il est d’ailleurs fréquent. Mais le singulier est populaire au Québec. Exemples provenant l’un du site de l’Association des plus beaux villages du Québec4 et l’autre, à nouveau, de Québec-Vacances, preuve que l’usage hésite :

Les Éboulements est un village agricole qui tire son nom d’un énorme glissement de terrain résultant d’un violent tremblement de terre survenu en février 1663.

Les Escoumins est sans contredit l’une des plus belles destinations au Québec pour la plongée sous-marine.

En France, le pluriel est nettement plus fréquent que le singulier, mais celui-ci se rencontre même dans des textes soignés, par exemple sur le site de TV5 :

Les Éboulements est un admirable village que l’on retrouve dans la belle région de Charlevoix.

On constate de l’hésitation aussi dans les guides de voyage. Singulier dans le Geoguide sur la Provence publié par Gallimard5 :

Les Baux est un lieu unique par sa beauté sauvage.

Les Saintes-Maries-de-la-Mer, capitale de la Camargue, semble flotter entre mer et ciel.

Pluriel presque systématique dans le Routard6, avec variations sur le thème des victimes :

Les Baux sont victimes de leur succès.

Les Saintes-Maries-de-la-Mer sont un peu victimes de la célébrité de ce pèlerinage.

De même que dans les guides Michelin7 :

Une découverte de la Camargue peut se révéler décevante, surtout en été, lorsque les Saintes sont littéralement envahies.

Mais une fois qu’on a accordé le verbe, il reste bien d’autres choses dans le contexte dont il faut s’occuper : les pronoms personnels et les déterminants possessifs notamment. C’est ici que les problèmes commencent. Que l’on adopte le singulier ou le pluriel, il est difficile en effet de garder la syntaxe cohérente. Les deux nombres obligent à des acrobaties. C’est là sans doute la raison pour laquelle l’usage, tout en donnant la préférence au pluriel, continue d’hésiter.

Prenons le pluriel. Dans l’extrait de l’Encyclobec que j’ai cité, imaginons que le nom des Éboulements soit repris par le pronom ils dans la phrase suivante :

Les Éboulements sont au début du XIXe siècle un des lieux de peuplement les plus importants de Charlevoix. Ils comptent pas moins de 1727 habitants en 1831.

Mais ce ils est peu idiomatique, parce que l’entité qui compte 1727 habitants est unique. Et ce n’est d’ailleurs pas ce qu’a écrit l’auteur, qui a préféré varier le vocabulaire :

La localité compte pas moins de 1727 habitants en 1831.

Même stratagème dans le camp du singulier. Voyons la citation complète de TV5 :

Les Éboulements est un admirable village que l’on retrouve dans la belle région de Charlevoix. Le village doit son nom à un affaissement de terrain provoqué par un tremblement de terre en février 1663… La petite municipalité Les Éboulements, qui compte un peu plus de mille personnes, est située à 120 kilomètres à l’est de la ville de Québec.

Le rédacteur a refusé d’écrire : Il doit son nom… Il est situé…, où il serait maladroitement appuyé sur l’antécédent Éboulements. Comme Christian Harvey, il n’a pas voulu écrire non plus : Ils doivent… Ils sont situés… Et enfin il n’a sans doute pas eu envie de dire : Ils doivent leur nom. Le possessif leur en principe doit renvoyer à plusieurs possesseurs. Or il n’y en a qu’un. Quand on parle d’une ville, d’un village, d’une localité, son nom, son église, sa population sonnent plus juste que leur nom, leur église, leur population. C’est fort probablement pour éviter ce genre de situation que certains préfèrent le singulier. Ainsi dans le passage du Geoguide, verbe et déterminants renvoient tous à un singulier :

Les Saintes-Maries-de-la-Mer, capitale de la Camargue, semble flotter entre mer et ciel. Son église fortifiée est visible à plus de 10 km à la ronde. Ses ruelles ombragées, ses maisons blanches… Ses plages…

À un singulier… absent de la phrase. Seul le Michelin8 pousse l’uniformité très loin, ne lâchant presque jamais le pluriel ni les possessifs exigés par les règles :

Les Stes-Maries-de-la-Mer et leur église-forteresse seront un point de départ idéal pour explorer la région.

Mais Michelin lui aussi finit par rendre les armes ailleurs sur son site :

La Camargue élève les taureaux qui brilleront dans les ferias et les arènes de Nîmes, d’Arles ou des Saintes-Maries-de-la-Mer. Cette dernière, qui est la capitale de la Camargue, n’est pas seulement un lieu de pèlerinage connu, mais aussi une station balnéaire dynamique.

Ne devrait-on pas écrire : ces dernières…? À chacun le choix du nombre cause des maux de tête.

En désespoir de cause, certains recourent à des astuces fort discutables. Des partisans du singulier font sauter l’article les, rien de moins. La mouche est tuée avec un marteau-pilon. C’est ce qui se passe dans le guide de voyage d’Ulysse sur la Provence9 et sur le site d’une municipalité10 :

Saintes-Maries-de-la-Mer accueille aujourd’hui des familles et des adolescents en quête de vacances ensoleillées au bord de la mer.

Bergeronnes charme par son histoire, sa nature, son calme et son accueil.

L’article appartient pourtant au nom de la localité : on habite aux Éboulements, et non à Éboulements. D’autres, au contraire, éprouvent des scrupules à toucher à l’article. Ils nous décrivent l’église de Les Éboulements, ou nous invitent à Les Escoumins, comme si ces noms étaient pris dans une gelée. Peut-être dans certains textes à caractère juridique est-il obligatoire de laisser l’article intact, mais dans la langue usuelle à Les et de Les se contractent en aux et des.

La solution la plus simple est de s’en tenir au pluriel, de manière à rester sur le terrain solide de la syntaxe, et d’étoffer en conséquence. Le singulier est trop susceptible d’amener des incohérences du genre :

Venez faire de la plongée aux Escoumins, qui est situé sur le bord du Saint-Laurent.

Un mot ne peut être pluriel à gauche et singulier à droite. Si on ne veut pas écrire : qui sont situés, alors, qu’on étoffe avec une apposition comme village situé sur le bord du Saint-Laurent. Étoffer est facile, comme le montre cet exemple simple tiré du guide Provence et Côte d’Azur du National Geographic11:

L’étape suivante conduit aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Cette petite ville au charme historique…

André Goosse, dans Le bon usage, est l’un des rares à traiter de la question. Dans la 13e édition12, il écrit : « Les noms de localités qui contiennent l’article défini pluriel sont considérés comme des pluriels. » Dans la 14e édition13, il a ajouté le mot « d’ordinaire ». C’est que le singulier se rencontre comme on l’a vu, et pas seulement sous de méchantes plumes. Mais même la nouvelle formulation, avec cette nuance respectueuse de l’usage, devrait inciter chacun à s’aligner sur le pluriel. L’idéal serait que plus aucune ville de la terre ne soit baptisée d’un nom pluriel. Mais le monde n’est pas gouverné par les toponymistes ni par les langagiers.

NOTES