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Les centres de jurilinguistique au Canada

François Blais
(L’Actualité langagière, volume 6, numéro 4, 2009, page 14)

Le droit au Canada : un contexte unique

Au Canada, il existe deux grands systèmes de droit, à savoir la common law et le droit civil. Ces systèmes se subdivisent en quatre sous-systèmes juridiques : la common law en anglais dans neuf provinces et trois territoires, et le droit civil en français au Québec; le droit civil s’exerce aussi en anglais au Québec et la common law en français dans le reste du pays. Les termes juridiques de la common law sont issus du franco-normand instauré par Guillaume le Conquérant; avec le temps, ils sont devenus des termes anglais. Si bien qu’au Canada, quand on a commencé à enseigner la common law en français – voilà un peu plus de trente ans –, le vocabulaire de la common law n’existait pas dans la langue de Molière. Il y avait en fait très peu d’ouvrages de common law en français. Soucieux de combler cette lacune, le ministère de la Justice du Canada a mis sur pied le Programme national de l’administration de la justice dans les deux langues officielles – aujourd’hui connu sous le titre de Promotion de l’accès à la justice dans les deux langues officielles (PAJLO). Le PAJLO a consacré une part importante de ses ressources à la normalisation de la terminologie française de la common law. C’est également dans le cadre de ce programme qu’ont été créés les quatre centres canadiens de jurilinguistique. Au fil des ans, les centres ont poursuivi les travaux de normalisation, et des collaborateurs se sont joints à eux, dont le Bureau de la traduction. Le mode de fonctionnement a certes évolué, et chaque partenaire s’est rapidement adapté selon son expertise dans les divers domaines juridiques.

Quatre centres au pays

Montréal – Institué en 1975 par le professeur Paul-André Crépeau, le premier centre, le Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec (CRDPCQ), se trouve à l’Université McGill. Il a pour mission de développer et de promouvoir la tradition civiliste canadienne dans une perspective comparatiste. Le Centre réunit juristes et chercheurs du Québec et d’ailleurs, qui ont pour but de raviver la recherche théorique relative aux institutions fondamentales du droit privé québécois. Au cours des ans, le droit privé québécois a été fortement influencé par les provinces et territoires de common law. Il a gardé son assise, le droit civil, à laquelle se sont greffées ces influences. Le droit privé québécois constitue donc un modèle de cohabitation de différentes traditions juridiques. Sa nature essentiellement bilingue illustre la pertinence d’un tel modèle dans le contexte d’une mondialisation grandissante. L’ambitieux programme du CRDPCQ poursuit divers axes de recherche dénotant tous une compréhension dialogique des rapports entre le droit local et l’ordre juridique mondial. Les projets de ce centre, que ce soit le Traité de droit civil ou les éditions critiques et historiques du Code civil, les projets de terminologie juridique dont le Dictionnaire de droit privé et les lexiques bilingues, ou encore son projet sur l’enseignement transsystémique, ont donc tous pour mission de développer de nouvelles approches théoriques au droit privé fondamental.

Moncton – Le Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ) a, pour sa part, été créé en 1979 par la Faculté de droit de l’Université de Moncton. Son rôle est d’appuyer la mise en œuvre du bilinguisme juridique dans les provinces et territoires canadiens de common law. Mû par l’importance de sa mission auprès des collectivités francophones du Canada, le CTTJ a pris un essor rapide au point de faire maintenant autorité à l’échelle internationale en matière de common law en français. Il joue aussi un rôle clé au sein du réseau d’organismes voué à la Promotion de l’accès à la justice dans les deux langues officielles, grâce au soutien financier du ministère de la Justice du Canada. Le CTTJ continue donc sa collaboration, de concert avec ses partenaires, aux travaux de normalisation de la common law en français. En outre, ses activités de recherche terminologique lui permettent d’enrichir sa banque JURITERM et le Juridictionnaire, outil d’aide à la rédaction de TERMIUM Plus®, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada. Le CTTJ fournit également des services d’appui ponctuels par téléphone ou par courriel ainsi que des services de révision terminologique et linguistique. La publication régulière des Actualités jurilinguistiques et de listes bibliographiques est le fruit d’une veille documentaire qui a été instituée pour répondre expressément à la demande maintes fois répétée des jurilangagiers : assurer une meilleure circulation de l’information. Enfin, le CTTJ fournit des services de traduction et de révision proprement dits.

Ottawa – Le troisième centre canadien de jurilinguistique est le Centre de traduction et de documentation juridiques (CTDJ); il a vu le jour en 1981 à l’initiative de l’Université d’Ottawa et de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario. Situé sur le campus de l’université, le CTDJ a pour mandat de créer la documentation juridique nécessaire à l’exercice du droit et à la prestation de services juridiques en langue française, d’abord en Ontario, puis dans les autres provinces et territoires de common law. Le ministère de la Justice du Canada lui verse une aide financière dans le cadre du Fonds d’appui à l’accès à la justice dans les deux langues officielles. En plus d’effectuer des travaux financés par le Fonds d’appui, le Centre d’Ottawa offre, contre rémunération, des services de traduction et d’aide à la rédaction à la communauté juridique; il fournit également des services gratuits de documentation et de renseignements terminologiques. Mettant à profit l’informatique et la grande expertise de son personnel de juristes-traducteurs, le Centre a pu, avec le temps, exercer des activités de grande portée et produire une longue liste de travaux dans le domaine de la common law en français. Fait à noter, le CTDJ collabore lui aussi, avec le Bureau de la traduction et les autres centres, aux travaux de normalisation du vocabulaire français de la common law. Il continue à traduire les arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario et assure des services d’appui ponctuels à la révision et à la rédaction. Le CTDJ procède, cette année, à une refonte de l’ouvrage La procédure civile en Ontario.

Saint-Boniface – Enfin, l’Institut Joseph-Dubuc (IJD), fondé en 1984, constitue le centre de ressources pour les juristes d’expression française dans l’Ouest canadien. Pendant près de deux décennies, l’Institut a offert des services divers, y compris des services de traduction et des services juridiques à la communauté. En 2002, il s’est livré à un examen en profondeur de son fonctionnement et de ses activités. C’est ainsi qu’il a décidé d’axer ses efforts sur la formation linguistique continue à l’intention des juristes d’expression française de l’Ouest et du Nord canadiens, ainsi que des provinces de l’Atlantique et, parallèlement, de poursuivre l’élaboration d’outils de travail. Le virage pris par l’Institut a été conforté par le succès retentissant du Projet pilote – Formation en français juridique pour l’Ouest et le Nord canadiens. L’IJD donne des séances en terminologie juridique, principalement dans le domaine du droit pénal, dans le cadre du Programme national de formation en terminologie juridique. Ces cours sont dispensés dans 12 villes canadiennes et ont comme clientèle des procureurs de la Couronne, des juges, des greffiers et greffières ainsi que d’autres auxiliaires de la justice. L’Institut offre, sur demande, d’autres séances en terminologie juridique à une clientèle diversifiée qui comprend principalement des associations de juristes d’expression française, des cabinets privés et autres regroupements, tels la police de la Ville de Winnipeg et des traducteurs. De plus, l’Institut publie régulièrement ses « juricourriels », des résumés de décisions originaux et des points de langue. Finalement, il fait la compilation de lexiques en tirant la terminologie des ressources existantes et donne accès à sa bibliothèque.

L’union fait la force

En février 2009, les quatre centres ont convenu de créer un réseau afin de mettre leurs ressources à la disposition les uns des autres. En fait, les centres vont collaborer à la réalisation de quatre projets, dont la sélection a été motivée par la volonté de mettre en commun l’expertise des quatre centres, au profit des utilisateurs de leurs produits et services.

Plus précisément, les centres ont désigné un chargé de projet pour chacune des quatre initiatives entreprises. Jouant essentiellement le rôle de champion, celui-ci doit voir à la mise en œuvre efficace du projet et, de ce fait, rendre compte de son avancement. En tout état de cause, les trois autres centres sont aussi directement impliqués dans la conduite des projets. Un comité de travail est établi pour chacun; il se compose d’un représentant du centre assumant le rôle de chargé de projet, ainsi que d’un représentant de chacun des trois autres centres.

Les projets conjoints

La normalisation – Le premier projet porte sur la normalisation du vocabulaire français de la common law, volet mené par le CTTJ de la Faculté de droit de l’Université de Moncton. Les centres contribuent à l’élaboration d’un vocabulaire précis et uniforme par leur participation au Comité de normalisation de la common law en français. Outre les quatre centres, on y retrouve le Bureau de la traduction (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) et le ministère de la Justice du Canada. Les centres sont chargés de préparer les dossiers relatifs à chaque terme soumis à des fins de normalisation, en plus de siéger au Comité de normalisation. Le Comité cible un ou deux domaines du droit à la fois. À ce jour, il a couvert les domaines de la preuve, des biens et successions, des fiducies, des délits et contrats, ainsi que des sûretés. Le domaine retenu pour les prochains exercices est le droit de la famille. Une fois que le Comité a normalisé un terme, celui-ci est inclus dans les outils de référence publiés par les centres et par le Bureau de la traduction. Les gouvernements, dont le gouvernement fédéral, s’engagent à faire usage des termes normalisés dans leurs textes législatifs et leurs publications. Cet usage s’étend en outre à d’autres institutions comme la Cour suprême du Canada, qui emploie aussi les termes normalisés dans ses documents.

La formation – La formation offerte par l’IJD du Collège universitaire de Saint-Boniface constitue le deuxième des quatre projets des centres. Par l’entremise de l’IJD, on offre une formation aux intervenants dans le domaine de la justice afin de leur permettre de parfaire leur maîtrise du discours de la common law en français ou du droit civil en anglais. Cette formation vise la magistrature, les avocats en pratique privée ou attachés à la fonction publique (procureurs, conseillers, avocats de l’aide juridique, etc.), de même que le personnel des tribunaux, tels que les greffiers, les sténographes, les commis aux greffes et les agents de probation. Il est à noter qu’il s’agit d’une formation appliquée et adaptée au profil des participants. Les centres préparent le matériel didactique et développent l’approche pédagogique. Cette démarche repose sur une mise à jour constante du matériel didactique.

Le perfectionnement – Le troisième projet vise l’organisation d’un Institut d’été en jurilinguistique, volet mené par le CRDPCQ de l’Université McGill. L’Institut d’été, qui a déjà été tenu trois fois, permet aux rédacteurs de textes juridiques de perfectionner leurs connaissances en jurilinguistique. Bien qu’ils puissent être issus de différents secteurs de la pratique du droit, les participants viennent le plus souvent du milieu de la traduction et de la rédaction juridique. L’Institut leur offre de la formation et des tribunes d’échanges, présente les nouveaux outils mis à la disposition des spécialistes de la jurilinguistique et leur donne l’occasion de réseauter. Il se déplace à travers les différentes régions du pays. En 2009, les centres ont tenu l’Institut d’été le 31 août, à l’Université McGill (Montréal).

Un portail jurilinguistique – Finalement, le CTDJ de l’Université d’Ottawa est chargé de mener à bien le quatrième projet, qui porte sur la création d’un portail Internet destiné à réunir une gamme d’outils jurilinguistiques. D’abord modeste, ce projet est progressivement devenu beaucoup plus ambitieux, car il a pour but de centraliser l’information relative à l’ensemble des produits et services jurilinguistiques, non seulement issus des centres, mais également de tous les intervenants canadiens dans le domaine. À terme, ce portail permettra, entre autres, d’accéder directement à l’ensemble des outils jurilinguistiques numérisés. Il deviendra la vitrine du savoir-faire canadien en matière de jurilinguistique.

Les mots pour le dire

Les centres de jurilinguistique reconnaissent l’importance de coordonner leurs actions. Le travail qu’ils entreprennent est complémentaire et vise des objectifs communs. En travaillant de plus près et en réseau, les quatre centres maximisent leurs efforts afin de contribuer au rayonnement, à l’intérieur des deux grands systèmes de droit, des deux langues officielles du Canada.

Cette démarche conjointe vise à mettre en valeur les réalisations des quatre centres. En conséquence, l’ensemble des praticiens du droit bénéficie, directement ou indirectement, du travail de ces centres, dont l’objectif est de favoriser un discours précis et de plus en plus normalisé de la common law en français et du droit civil en anglais.

REMERCIEMENTS : L’auteur tient à remercier les directeurs des autres centres de jurilinguistique du Canada, qui l’ont autorisé à décrire les centres et leurs activités en s’inspirant en grande partie de textes publiés sur leur site Web respectif.