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Retour sur tel que

Jacques Desrosiers
(L’Actualité terminologique, volume 36, numéro 3, 2003, page 24)

Les interdits qui frappent l’emploi de tel que suivi d’un participe passé ont déjà été contestés à l’aide de contre-exemples dans un article de L’Actualité terminologique paru il y a une vingtaine d’années1. Comme la confusion règne encore autour de la question, il vaut la peine d’y revenir : peut-on dire par exemple le projet tel que présenté au lieu d’écrire au long le projet tel qu’il est présenté?

Les auteurs sont nombreux à critiquer cette ellipse, mais ils n’expriment pas toujours leurs réserves de la même manière. Le Grand Larousse de la langue française, Girodet2, Marie-Éva de Villers dans le Multidictionnaire et plusieurs autres la limitent à la langue familière ou administrative, sans vraiment la condamner. Darbelnet3 demandait aussi de l’éviter dans le style soigné, tout en faisant remarquer que l’essentiel était de ne pas créer de « disjonction » comme dans : Tel que suggéré, j’ai fait retaper le texte, où tel, à la manière du fameux incluant, ne s’appuie sur aucun nom.

Hanse y voit un canadianisme et il le proscrit, que tel ne se rapporte à rien comme dans l’exemple de Darbelnet ou qu’il soit bien appuyé sur le nom qui précède (le texte tel que vous l’avez demandé). Jean-Paul Colin4 cantonne le tour à la langue technique et administrative, mais il donne l’étrange exemple : forgez la pièce telle que décrit ci-dessus, où le participe reste invariable comme si la phrase d’origine était : telle qu’il est décrit ci-dessus. Il semble assimiler la situation à celle qu’on retrouve dans la réunion aura lieu comme prévu, où prévu reste invariable parce que les mots qui manquent sont il était.

La situation est encore plus confuse chez Dagenais5, qui n’aimait pas du tout la construction, où il voyait un pur anglicisme. À ses yeux, tel que devait être suivi d’une subordonnée. Il proposait de remplacer les événements se sont déroulés tel que prévu par les événements se sont déroulés tel qu’on l’avait prévu. Mais à y regarder de près, la solution proposée n’est pas plus convaincante que l’expression fautive : à quoi se rapporte tel dans cette phrase? À rien. Or tel est un adjectif : il faut qu’il s’appuie sur un nom. J’ai l’impression que Dagenais a commis l’erreur même qu’il dénonce. Tel a beau former une locution comparative en s’alliant à que, il demeure un adjectif qui doit s’accorder en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte.

La question de l’accord est donc source de confusion, si bien que nous avons affaire en réalité à deux problèmes distincts : celui de l’appui de tel et celui de l’ellipse. C’est d’ailleurs pourquoi dans le Hanse il y a double condamnation. Le premier problème, qui concerne le fait que tel est un adjectif qu’on ne peut employer à la manière de la conjonction comme, est vite réglé. Des phrases comme :

Tel qu’annoncé par le Conseil du Trésor, le groupe des agents du service extérieur sera l’un des premiers qui sera réorganisé

ou tel que convenu nous partirons demain, rampent à plat ventre devant l’anglais. Tout comme celle-ci que j’ai relevée dans le Monde du 3 mai 2002 :

tel que prévu à l’origine, la durée est mise à profit pour pérenniser et mettre en évidence de nouveaux métiers répondant à une réelle utilité sociale

Le tour est condamné urbi et orbi, et c’est très bien ainsi parce qu’il faudrait une dose mortelle de charité, ou de laxisme, pour l’accepter. En passant, on peut commencer à se demander si le Hanse a raison d’y voir un canadianisme…

Il est important de souligner que si ce tel que fautif orne souvent le début de la phrase, l’erreur est aussi sérieuse quand il s’y mêle plus discrètement :

Ernest Piquette propose que le Conseil accepte la démission de Huguette Charbonneau, tel que proposé dans sa lettre (Site canadien d’un conseil scolaire)

les émissions [de gaz à effet de serre] pourraient augmenter de 20 % au lieu de diminuer de 5 %, tel que prévu dans le protocole
(Le Monde, 5 septembre 2000)

Dès le premier jour de leur arrivée sur le sol français, les Kosovars peuvent demander la reconnaissance du statut de réfugié tel que prévu par la convention de Genève
(Le Monde, 26 mai 1999)

Dans la deuxième phrase par exemple, tel n’a aucun appui; ce que le protocole prévoit, c’est que les émissions diminueront de 5 %. Il aurait fallu dire : comme le prévoit le protocole. Mais la démarcation est parfois fine. Certains cas très semblables semblent corrects :

La Bosnie organisait alors péniblement le retour de centaines de milliers de réfugiés dans leurs régions d’origine, tel que prévu par les accords de paix
(Le Monde, 13 décembre 2001)

C’est limite : tel s’appuie sur retour, et c’est bel et bien le retour des réfugiés que prévoyaient les accords de paix; mais ils devaient aussi prévoir que c’est la Bosnie qui s’en occuperait… S’appuyer sur un nom n’est pas suffisant. Dans la Presse du 14 décembre 2001, on lisait :

L’épreuve de bosses de la Série canadienne de ski acrobatique aura lieu telle que prévue samedi et dimanche

L’accord grammatical a beau être respecté, quelque chose cloche dans la phrase. C’est qu’on n’y compare rien; on dit simplement qu’il n’y a pas de changement au programme. Telle se rapporte bien à épreuve, mais ce qui était prévu c’était que l’épreuve aurait lieu samedi et dimanche. C’est ce genre de tournures qui portent certains auteurs à se méfier de presque tous les emplois où tel que introduit soit un participe, soit même une subordonnée comparative, et à suggérer de le remplacer par comme, voire de carrément éliminer l’outil de comparaison. Ainsi Dagenais remplaçait les règlements tels que modifiés par les règlements modifiés. De la même manière, au lieu de dire la réunion aura lieu comme prévu, on pourrait bien dire : la réunion prévue aura lieu. Tel que, sans être nécessairement fautif, est souvent un tic.

Mais d’autres fois il est fort souhaitable. D’abord pour des raisons stylistiques. Une phrase comme le programme d’expansion doit être maintenu tel que prévu met les points sur les i, insiste sur le fait qu’on ne veut pas que le programme soit modifié. Dans les exemples suivants, on pourrait enlever tel que et reformuler, mais il aide la phrase à respirer au milieu de l’encombrement d’adjectifs et de compléments du nom :

la diminution marquée du nombre de lieux et d’appareils de loterie vidéo, telle que prévue dans le plan d’action, aurait néanmoins des conséquences positives
(La Presse, 9 novembre 2002)

je suis favorable à l’introduction d’un conseil de sécurité économique tel que proposé par la France il y a quelques années
(Le Monde, 1er janvier 2000)

le rétablissement des contrôles aux frontières tel que prévu par la convention de Schengen n’a pas été mis en œuvre
(Le Point, 28 mars 2003)

On aurait pu dire : qui est prévue dans le plan d’action ; l’introduction du conseil de sécurité économique proposé par la France ; et encadrer simplement de virgules prévu par la convention de Schengen. Mais ce ne sont à mon avis que des variantes stylistiques.

Tel que peut aussi être utile pour des raisons sémantiques. Voyons l’exemple de Montherlant cité dans le Bon usage6 :

L’enterrement tel que pratiqué par les catholiques est indéfendable du point de vue catholique

L’enterrement pratiqué par les catholiques dirait la même chose, mais ne serait pas aussi clair. Montherlant parle de la forme d’enterrement particulière pratiquée par les catholiques. Il veut dire : « de la manière qu’il est pratiqué ». Il en va de même quand on dit que l’ordre du jour est adopté tel que proposé. On veut dire qu’il est adopté dans la version qui a été proposée.

Mais quand, en pleine grève du personnel, le directeur des Opéras de Paris annonce, selon le Monde du 30 novembre 2000, que « le ballet Casse-noisette pourra être donné tel que prévu », est-ce qu’il est en train d’annoncer qu’il y a plusieurs manières de danser le Casse-noisette et qu’on le dansera de la manière qui avait été prévue? Bien sûr que non – il veut simplement dire que la représentation aura lieu malgré la grève. Pas de changement au programme. On prévoyait de donner le ballet, eh bien le ballet sera donné comme cela avait été prévu. Tel a beau avoir l’air de s’accorder avec ballet, c’est encore le gros anglicisme.

Il est donc correct d’écrire le programme d’expansion doit être maintenu tel que prévu, mais à condition que le sens soit : « il faut maintenir le programme prévu, pas une autre version du programme », et non : « il faut, comme on l’avait prévu, maintenir le programme ». Le premier sens est celui de Montherlant, le second, celui du directeur des Opéras. Dagenais aurait suggéré d’écrire : le programme d’expansion doit être maintenu tel quel, mais cette tournure concise n’est pas toujours utilisable.

L’important est d’être clair. S’il le faut, mieux vaut suppléer l’ellipse, comme dans cet exemple du Monde (28 janvier 2003) : « Il faut que le processus d’inspection tel qu’il a été prévu puisse continuer de se dérouler », a souligné le ministre des affaires étrangères. Le Trésor de la langue française définit l’ellipse comme l’« omission d’un ou plusieurs mots dans un énoncé dont le sens reste clair ».

À côté de tous ces problèmes d’accord, d’appui et de clarté, celui de l’ellipse a maintenant l’air bien inoffensif. On voit que la construction est largement répandue. Il faut concéder que les ouvrages sont si nombreux à recommander de l’éviter dans la langue soutenue qu’il y a presque consensus. Presque. Les exemples de Montherlant, d’autres auteurs cités par le Bon usage, ceux nombreux de la meilleure presse européenne et qui n’ont rien d’administratif, montrent que l’ellipse n’est pas regardée de haut par tout le monde. Maurice Grevisse lui-même constatait qu’« après des expressions comparatives » elle était « fréquente dans la langue moderne »7.

Il ne faut pas oublier en effet qu’au royaume des comparatives, l’ellipse est reine en français. On dit : Pierre est plus grand que Paul (n’est grand). J’arriverai plus tôt que (il était) prévu (que j’arrive). Il connaît mieux les règlements du soccer qu’un prêtre (connaît) son bréviaire. Voir le célèbre vers de Baudelaire : J’ai plus de souvenirs que (j’en aurais) si j’avais mil ans. Penser aux « faux comparatifs » où on supprime le deuxième membre de la comparaison : Il faut que tu travailles plus fort (que tu ne travailles actuellement). L’idée est d’éviter une lourdeur. Et c’est toujours le verbe qui perd des morceaux.

La question dépend jusqu’à un certain point de la perception parfois fort subjective qu’a chacun des niveaux de langue. Prenons la phrase :

Le concept d’une défense européenne, tel qu’il est proposé par Londres et Paris, ne pose-t-il pas de problèmes à votre pays, qui se veut libre de toute alliance militaire?

Qu’a-t-elle de plus soutenu que la formulation choisie par le Monde du 12 décembre 1998 :

Le concept d’une défense européenne, tel que proposé par Londres et Paris, ne pose-t-il pas de problèmes à votre pays, qui se veut libre de toute alliance militaire?

Il faut aussi noter que l’usage n’emploie la tournure elliptique qu’avec un nombre assez limité de verbes. L’ellipse semblable pratiquée avec comme touche seulement quelques verbes : comme prévu, comme convenu, comme promis sont entrés dans la langue, mais ce sont ni plus ni moins des expressions figées. Comme mentionné ci-haut, comme annoncé la semaine dernière demeurent inacceptables. L’usage a fait un tri très sélectif.

De même, un usage respectable a accepté l’ellipse après tel que avec un certain nombre de verbes de nature un peu « administrative », comme adopté, voté, prévu, organisé, proposéetc. On écrirait volontiers : C’est l’Amérique telle qu’elle était connue alors – mais jamais : C’est l’Amérique telle que connue alors. L’étoffement vient tout naturellement. Le danger que représenteraient ces emplois n’est donc pas très inquiétant. Certaines ellipses sont bien implantées. Autant il paraîtrait pompeux aujourd’hui d’écrire la réunion aura lieu comme il a été prévu, autant écrire au long le programme tel qu’il a été prévu, l’enterrement tel qu’il est pratiqué donnera parfois l’impression que le seul souci est de boursoufler le style, d’étirer la phrase comme un élastique.

Que faire?

Se demander d’abord si on a vraiment besoin de tel que, pour être clair notamment, ou si on le met par pur réflexe.

S’assurer qu’il s’appuie correctement sur un nom, et l’accorder en conséquence.

Quand tel que a franchi ces deux barrières, il ne reste plus qu’à juger par soi-même si la phrase serait plus soignée sans ellipse. Si l’on se sent à l’aise avec l’ellipse, pourquoi l’éviter? Une langue soutenue, c’est bien. Sauf si elle est soutenue par d’inutiles béquilles.

NOTES

  • Retour à la note1 Frèdelin Leroux fils, « "Tel que" + participe passé », L’Actualité terminologique, vol. 17,  1 (1984). Repris dans Mots de tête, Les éditions David, 2002.
  • Retour à la note2 Pièges et difficultés de la langue française, Bordas, 1988.
  • Retour à la note3 Dictionnaire des particularités de l’usage, Presses de l’Université du Québec, 1988.
  • Retour à la note4 Dictionnaire des difficultés du français, Le Robert, 1993 (Les usuels du Robert).
  • Retour à la note5 Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, 2e édition, Les éditions françaises, 1984.
  • Retour à la note6 Le bon usage, 13e édition, Duculot, 1993, § 1077 a).
  • Retour à la note7 Le bon usage, 11e édition, Duculot, 1980, § 377.