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Mots de tête : « ça augure bien mal »

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 34, numéro 4, 2001, page 10)

Un cri de révolte qui augure mal de la survie acadienne.
(Jean-Éthier Blais, Le Devoir, 8.6.74.)

Depuis plus de cent ans, les défenseurs de la langue s’évertuent à nous faire comprendre qu’on ne saurait prêter à augurer le sens de présager… Ou bien nous sommes particulièrement « durs de comprenure », ou bien ce sont eux qui s’obstinent à ne pas reconnaître que la tournure est entrée dans l’usage. Ça augure bien mal, comme disent les gens.

C’est sans doute Raoul Rinfret1 qui a été le premier à attacher le grelot, en reprenant une formule de Bescherelle : « Nous augurons, mais […] les choses présagent ». Vingt ans plus tard, avec la deuxième édition de son dictionnaire2, l’abbé Étienne Blanchard reviendra à la charge. Mais il s’écoulera cinquante ans avant qu’on ne s’avise d’y voir l’influence de l’anglais.

Le mérite (si je puis dire) en revient à Gérard Dagenais3 (1967) : « Prêter à augurer cette acceptation de présager, c’est commettre un anglicisme : le verbe anglais to augur exprime également l’action des personnes qui augurent et celles des choses qui présagent. » Il sera suivi de près par Victor Barbeau4 (1970) et Gilles Colpron5. Curieusement, deux ans plus tôt, Barbeau y voyait un contresens : « Écrire qu’un événement augure bien ou mal est un contresens analogue à celui qu’on commet en disant d’un aliment qu’il goûte* bon ou mauvais ». Et il terminait, un peu philosophe : « C’est le propre de l’homme de goûter comme c’est aussi le sien d’augurer »6 (on aura compris qu’ici l’homme embrasse sa semblable).

À toutes fins utiles, je vous signale que ces auteurs recommandent de dire qu’une chose présage ou laisse présager, qu’elle permet d’augurer ou laisse augurer, qu’une affaire s’annonce mal, ou n’annonce rien de bon. Ou encore, sur le mode personnel, de dire on augure mieux des affaires, on n’augure rien de bon de cette affaireetc.

Si Bescherelle prend la peine de préciser que la faculté d’augurer est réservée à l’homme (et à sa fiancée, comme dirait Pierre Foglia), c’est sans doute qu’il se trouvait de ses compatriotes pour l’attribuer à des choses. Et pourtant, les ouvrages normatifs français du genre « dites/ne dites pas » ne semblent pas y voir de problème. Ils se contentent pour la plupart de rappeler au rédacteur distrait de ne pas écrire de bonne augure, le mot étant masculin.

Chez nous, les « fauteurs » sont légion. Mais je ne vais pas vous inonder d’exemples québécois, car vous seriez prompts à me reprocher de faire une pétition de principe. Je me contenterai de signaler que le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui7 enregistre la tournure « cela augure bien/mal », sans préciser qu’il s’agit d’un usage fautif ou critiqué. Cela dit, passons aux exemples que j’ai relevés chez des auteurs français, qui auraient oublié la recommandation de Bescherelle.

Certes, ce sont des exemples plutôt récents, mais pour paraphraser un certain volatile** qui a fait suer sang et eau à plus d’un élève, je dirais qu’aux exemples bien nés la valeur n’attend pas le nombre des années. Le plus ancien – à peine vingt ans – est d’un romancier, de tendance « régionaliste » :

Tout cela n’augurait rien de bon8.

Un professeur de Sciences politiques de l’Université de Bretagne occidentale, dans son Que sais-je? sur le Sénat, emploie la tournure deux fois :

L’Assemblée nationale est perçue comme une chambre où passions et divisions ne peuvent rien augurer de durablement positif.

Ce précédent augurait mal des rapports entre la seconde chambre et le pouvoir exécutif9.

L’exemple suivant est d’un journaliste du Monde :

La défaite augure mal du reste de la bataille budgétaire10.

Un autre journaliste, du Nouvel Observateur cette fois :

Les méthodes [de l’UCK] pendant la guerre augurent mal d’un pouvoir civil tolérant11.

Mes sixième et septième exemples sont d’un romancier africain, qui a longtemps enseigné en France :

Ça n’augure rien de bon, tout ça.

C’est en ces termes qui n’auguraient rien de bon, ni rien de mauvais d’ailleurs, que la chose lui fut signifiée12.

Enfin, le dernier exemple est aussi d’un romancier, tiré du récit de ses nombreux voyages en ex-Yougoslavie :

Leur présence en ces lieux n’augure rien de bon13.

À défaut d’ancienneté, ces exemples sont assez éloquents : trois romanciers, deux journalistes, un universitaire. Mais qu’en est-il des dictionnaires? Cet usage leur est-il inconnu? Pas tout à fait, mais il faudra attendre 1993 pour en trouver des exemples, dans les dictionnaires bilingues d’abord – la troisième édition du Robert Collins (« cela augure bien/mal de la suite ») et la première du Grand Dictionnaire Larousse de l’anglais (« sa réponse augure mal/bien de notre prochaine réunion »). Dès sa parution, en 1994, le Hachette Oxford reprendra presque mot à mot la formule du premier : « cela augure bien/mal de l’avenir ». Quant au Harrap’s, il mettra un peu plus de temps à se rallier, puisque ce n’est qu’en 1996 qu’il enregistre la tournure : « une querelle le premier jour, voilà qui augure mal de leur mariage ».

Mais chose curieuse, dans tous ces ouvrages, seule la partie français-anglais la donne, jamais l’autre; to augur well/bad(ou to bode well/ill) est invariablement traduit par « être de bon/mauvais augure ». C’est comme si, par un réflexe d’hypercorrection, les traducteurs de l’anglais craignaient le calque, alors que l’équipe français-anglais ne voit pas le problème. Ce n’est pas la première fois qu’on constate cette différence entre les deux parties d’un dictionnaire bilingue.

Du côté des unilingues, seul le Petit Robert l’enregistre, et dès 1993 également : « ça n’augure rien de bon : c’est mauvais signe ». Mais avec la mention « fam. », quand même. Quant aux éditions 2002 du Petit Larousse et du Hachette, on n’y trouve que l’usage consacré. Quand on sait l’empressement du Larousse à accueillir les nouveautés, on s’explique mal ce silence. Pour ce qui est du Hachette, même étonnement – après tout, le tour figure dans le Hachette Oxford depuis 1994.

Deux autres ouvrages témoignent de l’évolution d’augurer. Dans les première (1970) et deuxième (1982) éditions du recueil de Gilles Colpron, augurer est clairement étiqueté comme anglicisme. Mais dès la première mise à jour par Constance Forest et Jean Forest en 1994, il n’y en a plus la moindre trace. C’est une preuve par défaut, me direz-vous. D’accord. Alors jetons plutôt un coup d’œil sur les éditions successives de l’ouvrage de Joseph Hanse.

Le Dictionnaire des difficultés grammaticales et lexicologiques, paru en 1949, ne traite que du genre d’augure. Dans la nouvelle édition de 1983, le verbe fait son apparition, avec cet exemple : « Augurer. Son attitude augure d’une collaboration fructueuse. Tour vieilli. » (C’est un beau cas de vieillissement accéléré. En 1949, il n’en était pas question, mais voilà qu’en 1983, le tour a vieilli!) Avec l’édition de 1994, l’exemple a disparu, et l’auteur affirme : « Augurer a aujourd’hui pour sujet un nom de personne ». Et pourtant, il termine son article en ajoutant : « Avec pour sujet un nom de chose, on dit plutôt laisser augurer ». Plutôt – c’est dire qu’on pourrait, à la rigueur, laisser tomber laisser

Enfin, un dernier ouvrage confirme cette évolution. La maison Larousse vient de faire paraître un nouveau dictionnaire des difficultés14, où figure augurer : « avec un sujet désignant une chose, augurer ou, plus courant, laisser augurer = laisser prévoir ». Et on donne deux exemples : Son attitude augure (ou laisse augurer) de bonnes relations futures; tout cela n’augure rien de bon. Je ne vois rien à ajouter.

Sauf pour dire un mot de l’emploi d’augurer avec pour. Chez nous, c’est un tour fréquent : « le climat économique augure bien pour la situation financière » (Michel Vastel, Le Droit, 15.11.90). À l’exception d’un exemple tiré d’une traduction15 (« la culture de l’ethnicité et la campagne afrocentriste n’augurent rien de bon pour l’éducation américaine »), les Français ne semblent connaître que l’emploi avec de. Les exemples des quatre dictionnaires bilingues, notamment, l’indiquent assez : là où nous aurions mis pour, on trouve de. D’après Lionel Meney16, cela s’explique par le fait que nous confondons deux constructions : « être de bon/mauvais augure pour » et « augurer bien/mal de ». Donnons-lui raison et à l’avenir évitons de faire comme Michel Vastel; suivons plutôt l’exemple de Jean-Éthier Blais et écrivons « augure mal de ».

Mais, car il y a un mais… Il faut bien reconnaître que dans l’exemple « n’augurent rien de bon pour l’éducation », on ne saurait tout simplement remplacer pour par de. Il faudrait étoffer : « de l’avenir de l’éducation », par exemple. Aussi, je ne serais pas étonné que les Français en viennent un jour à faire la même faute que nous. Une fois n’est pas coutume.

Retour à la remarque 1* Depuis, les dictionnaires ont accueilli ce « régionalisme », mais il n’est pas limité au Québec ou à la Belgique, comme ils l’indiquent, puisqu’il se dit aussi en Savoie (Loïc Depecker, Les mots des régions de France).

Retour à la remarque 2** On aura reconnu Corneille, j’imagine.

NOTES

  • Retour à la note1 R. Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Cadieux & Delorme, Montréal, 1896.
  • Retour à la note2 É. Blanchard, Dictionnaire du bon langage, Montréal, 1916.
  • Retour à la note3 G. Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Éditions Pedagogia inc., Montréal, 1967.
  • Retour à la note4 V. Barbeau, Le français du Canada, Garneau, Québec, 1970.
  • Retour à la note5 G. Colpron, Les anglicismes au Québec, Beauchemin, Montréal, 1970.
  • Retour à la note6 V. Barbeau, Grammaire et linguistique, Cahiers de l’Académie canadienne-française, Montréal, 1968.
  • Retour à la note7 Jean-Claude Boulanger, Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, DicoRobert, Montréal, 1993.
  • Retour à la note8 Claude Michelet, Les palombes ne passeront plus, Presses Pocket, 1982, p. 121. (Paru en 1980.)
  • Retour à la note9 Jacques Baguenard, Le Sénat, coll. Que sais-je?, P.U.F., 1990, p. 20 et 51.
  • Retour à la note10 Alain Franchon, Le Monde, cité dans Le Devoir, 2.5.93.
  • Retour à la note11 Laurent Joffrin, Yougoslavie : suicide d’une nation, Éditions des Mille et une Nuits, 1999, p. 89.
  • Retour à la note12 Mongo Beti, Trop de soleil tue l’amour, Julliard, 1999, p. 90 et 118.
  • Retour à la note13 Jean Rolin, Campagnes, Gallimard, 2000, p. 75.
  • Retour à la note14 Daniel Péchoin et Bernard Dauphin, Dictionnaire des difficultés du français, Larousse, 2001.
  • Retour à la note15 Arthur M. Schlesinger Jr., La désunion américaine, Liana Levi, Paris, 1993, p. 70. (Traduit par Françoise Burgess.)
  • Retour à la note16 L. Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.