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Jurilinguiste, terminologue-juriste et terminologue juridique : un problème terminologique?

Iliana Auverana
(L’Actualité terminologique, volume 36, numéro 3, 2003, page 31)

La complexité du langage du droit est un phénomène fort connu, et l’étude de ce langage est née de la nécessité d’aplanir les difficultés de communication dans le domaine du droit. Or, cette nécessité se fait plus pressante en contexte de bilinguisme et de bijuridisme, comme c’est le cas au Canada. En système de corédaction, on fait appel à des spécialistes ayant une double compétence juridique et linguistique, qui sont de plus en plus sollicités par suite des décisions de la Cour Suprême en matière de droits linguistiques, plusieurs provinces ayant l’obligation de rendre leurs textes législatifs accessibles dans les deux langues officielles. C’est ainsi que le Programme1 national d’administration de la justice dans les deux langues officielles (PAJLO) naît en 19812 et avec lui, la nécessité de recourir à des spécialistes également compétents en terminologie. Suit l’établissement graduel, de 1981 à 1994, de centres de jurilinguistique et d’associations de juristes d’expression française de common law dans six provinces.

La jurilinguistique au Canada

Pour comprendre le rôle actuel du jurilinguiste, il est important de préciser ce que l’on entend par jurilinguistique. Selon Jean-Claude Gémar, professeur à l’Université de Montréal, « la jurilinguistique a pour objet principal l’étude linguistique du langage du droit sous ses divers aspects et dans ses différentes manifestations, afin de dégager les moyens de définir les techniques propres à en améliorer la qualité, par exemple aux fins de traduction, rédaction, terminologie, lexicographie, etc., selon le type de besoin considéré. C’est dire que le jurilinguiste s’intéresse tout particulièrement aux questions d’ordre sémantique, syntaxique et stylistique de l’écrit juridique »3.

Au ministère de la Justice du Canada, le jurilinguiste participe à la rédaction en parallèle de projets de lois et de règlements tout en assurant la qualité linguistique et stylistique ainsi que la concordance des deux versions. Il a en outre la responsabilité d’effectuer des recherches, de donner des avis terminologiques et d’élaborer des dossiers de terminologie spécialisée4.

Dans les centres de jurilinguistique5, les jurilinguistes offrent des services de révision, de rédaction, de consultation et de terminologie. En même temps, ces centres mettent à la disposition des juristes d’expression française, travaillant en contexte de common law, un ensemble de ressources leur permettant de mieux exercer leur profession.

Juriste linguiste et jurilinguiste : nuances et équivalents

Le terme jurilinguistique et la fonction de jurilinguiste sont nés au Canada dans les années 19706. En Europe, on parle plutôt de « linguistique juridique » et de juristes linguistes (avec ou sans trait d’union). Mais selon Gérard Cornu, le champ d’étude de la « linguistique juridique » est plus vaste : « celle-ci englobe non seulement l’étude linguistique du langage du droit, mais celle du droit du langage7 »8. Au Canada, le jurilinguiste est appelé en anglais jurilinguist. Cet équivalent ne semble poser aucune difficulté au pays. La Cour suprême et la Cour fédérale font appel à ces spécialistes.

En Europe, par contre, la traduction anglaise du terme juriste linguiste n’est pas claire. Le Conseil de l’Europe a recours à des jurist-linguists pour la vérification des textes juridiques à travers tout le processus de négociation jusqu’à la signature par le président du Parlement européen9. Cependant, Eurodicautom10, base de données terminologiques de la Commission européenne, donne comme équivalent de juriste linguiste le terme lawyer-linguist. Celui-ci fait de la traduction juridique. Il doit avoir un diplôme en droit; les exigences linguistiques sont élevées, mais une formation formelle n’est pas nécessaire. On trouve les lawyer-linguists à la Cour de Justice des Communautés européennes11.

Terminologue juridique, juriste terminologue et terminologue-juriste : pas seulement un jeu de mots

En termes généraux, les terminologues exécutent les recherches nécessaires pour répertorier les termes propres à un domaine, les définir et en chercher les équivalents dans une autre langue; fournissent des services de recherche ponctuelle pour répondre aux besoins particuliers des traducteurs, des interprètes et des rédacteurs; préparent des glossaires, des lexiques, des dictionnaires, des vocabulaires et des fichiers terminologiques et alimentent les bases de données terminologiques; gèrent et mettent à jour le contenu de la base de données terminologiques dont ils se servent.

Pour accéder à la profession de terminologue, l’intéressé doit remplir l’une des conditions suivantes : posséder un baccalauréat en traduction ou en linguistique; posséder un diplôme universitaire dans une discipline connexe; ou avoir suivi des cours de transfert linguistique et acquis deux ans d’expérience à temps plein en traduction12.

La terminologie juridique constitue un champ de spécialisation pour la personne ayant une formation dans les disciplines mentionnées ci-dessus. L’appellation terminologue juridique est donnée par l’Office national de la classification des professions comme un exemple d’appellation d’emploi dans la catégorie de traducteurs/traductrices, terminologues et interprètes13.

Le terminologue-juriste ou juriste terminologue doit avoir un diplôme universitaire en droit et une très bonne connaissance du système juridique canadien14. En contexte de travail, le terminologue-juriste ou juriste terminologue est appelé à faire une analyse poussée des notions juridiques pour établir la terminologie et la synonymie dans une langue et l’équivalence dans l’autre. De plus, le terminologue- juriste doit faire des recherches terminologiques ponctuelles et proposer des solutions aux problèmes terminologiques présentés par les traducteurs juridiques et, le cas échéant, participer aux travaux de normalisation de la terminologie juridique dans l’administration canadienne.

Le terme juriste terminologue est utilisé par le PAJLO sur son site Web pour désigner la personne-ressource au Bureau de la traduction qui fournira des services d’appui terminologique dans le cadre des « travaux de normalisation du vocabulaire français de la common law »15. Le Bureau de la traduction utilise plutôt le terme terminologue-juriste, car la fonction première est la terminologie.

L’équivalent anglais de terminologue juridique est legal terminologist d’après la Classification nationale des professions (CNP)16. Cependant, on a relevé ce terme comme équivalent de terminologue-juriste. Le PAJLO donne comme équivalent de juriste terminologue le terme lawyer-terminologist, qui est plus approprié, car l’équivalence entre « juriste » et « lawyer » est très évidente.

Conclusion

Les professions de jurilinguiste, de terminologue-juriste et de terminologue juridique se chevauchent par moments, le point commun étant la recherche terminologique. Le type d’analyse terminologique est cependant plus poussé dans les deux premières professions. La différence entre ces trois professions réside dans la formation universitaire et l’axe principal des responsabilités.

Le terminologue-juriste détient nécessairement un diplôme en droit, tandis que le jurilinguiste et le terminologue juridique possèdent un diplôme en traduction ou en linguistique ou dans une discipline connexe, mais un diplôme en droit demeure un atout incontestable pour le jurilinguiste. Le travail du terminologue-juriste est plus axé sur la recherche et l’analyse des notions terminologiques, alors que celui du jurilinguiste porte plus sur la rédaction, la révision et l’établissement de la concordance dans les deux langues des textes juridiques.

Iliana Auverana

NOTES

  • Retour à la note1 Le PAJLO est devenu Programme en 1987. Au début, il s’appelait Projet.
  • Retour à la note2 Internet. www.pajlo.org/fr/qui/origines.htm. « PAJLO : Qui sommes-nous? : Origines ».
  • Retour à la note3 Internet. www.clf.gouv.qc.ca/Publications/PubF104/F104P1ch3.html. Jean-Claude GÉMAR, « Fonctions de la traduction juridique en milieu bilingue et langage du droit au Canada » dans Langage du droit et traduction : essais en jurilinguistique.
  • Retour à la note4 Internet. canada.justice.gc.ca/fr/dept/pub/aud/legis/lppg3a.html.
  • Retour à la note5 Il y en a quatre au Canada : le Centre de traduction et de terminologie juridiques de l’université de Moncton (CTTJ); le Centre de traduction et de documentation juridiques de l’Université d’Ottawa (CTDJ); le Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec (CRDPCQ) et l’Institut Joseph-Dubuc de Winnipeg.
  • Retour à la note6 Internet. www.canada-justice.net/fr/dept/pub/recru/page35.html.
  • Retour à la note7 Cornu fait une distinction entre l’étude du langage du droit (étymologie, morphologie, grammaire, syntaxe, sémantique, terminologie et stylistique) et l’étude du droit du langage, soit le droit en tant que force créatrice du langage ou de normalisation juridique.
  • Retour à la note8 CORNU, Gérard. Linguistique juridique, Paris, Montchrestien, 1990, p. 17.
  • Retour à la note9 Internet. www.europarl.eu.int/code/information/tasks_en.pdf. « Service of the Conciliation Secretariat ».
  • Retour à la note10 Internet. europa.eu.int/eurodicautom/Controller.
  • Retour à la note11 Internet. www.curia.eu.int/en/instit/services/traduction/recrutement.htm.
  • Retour à la note12 Internet. www.23.hrdc-drhc.gc.c/2001/f/groups/5125.shtml. « Classification nationale des professions ».
  • Retour à la note13 Idem.
  • Retour à la note14 Bureau de la traduction, Direction de la terminologie et de la normalisation (DTN). Document interne.
  • Retour à la note15 Internet. www.pajlo.org/français/quisomme/annexeb.html.
  • Retour à la note16 Op. cit. Note 8.