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Comment le français et d’autres langues ont façonné l’anglais

Emma Harries
(L’Actualité langagière, volume 9, numéro 4, 2013, page 23)

Bon nombre des mots anglais les plus communément utilisés de nos jours dérivent du vieil anglais. Mais la langue anglaise a aussi subi, au Moyen Âge, une très forte influence du français. Voici un aperçu de l’histoire de la langue de Shakespeare.

Les Celtes

Dans les années 400, l’invasion des tribus germaniques – les Angles, les Saxons et les Jutes – a repoussé l’Empire romain hors de l’île de Bretagne. Premiers habitants de cette île, les Celtes n’ont eu d’autre choix que de se fondre à la population anglo-saxonne immigrante ou de fuir vers les Hautes Terres écossaises, l’île de Man, les montagnes du pays de Galles, Cornouailles dans le sud-ouest de l’Angleterre ou la Bretagne armoricaine sur le continent. D’autres sont morts en tentant de résister aux envahisseurs. C’est pourquoi seuls quelques noms de lieux témoignent de l’influence de la langue celtique sur l’anglais.

Les Anglo-Saxons et le vieil anglais

Les Anglo-Saxons ont fondé plusieurs royaumes où étaient parlés divers dialectes issus de la même langue germanique communément appelée « vieil anglais ». Fait intéressant, ces anciens royaumes anglo-saxons correspondent approximativement aux territoires actuels des différents dialectes régionaux parlés en Angleterre1. Un de ces royaumes, Northumbrie, s’étendait jusqu’en Écosse, où le dialecte du vieil anglais est devenu l’écossais, langue des Écossais des Basses Terres. Cette langue est préservée dans des ballades telles que « Auld Lang Syne », aujourd’hui chantée lorsque sonnent les douze coups de minuit la veille du jour de l’An.

Peuple de tradition orale, les Anglo-Saxons ne transmettaient pas leur savoir par écrit. On sait toutefois qu’ils utilisaient l’alphabet germanique commun, les runes, pour les épitaphes, entre autres. Puis, la christianisation des Anglo-Saxons par des missionnaires irlandais a entraîné l’apparition de mots latins dans la langue anglaise, comme priest et monk. D’autres mots tels que god, heaven et hell sont d’origine germanique, car des concepts équivalents existaient déjà dans la culture anglo-saxonne2. Le mot Easter est dérivé d’un mot germanique qui désignait un festival païen tenu au printemps en l’honneur d’Éostre, déesse de l’aube. À la suite de leur christianisation, les Anglo-Saxons ont adopté l’alphabet latin utilisé par les moines irlandais et ont commencé à consigner par écrit leurs contes traditionnels, comme Beowulf.

Les Vikings

À compter de la fin des années 700 et pendant plus de deux siècles, divers peuples scandinaves ont attaqué, envahi et colonisé l’Angleterre. Les Vikings parlaient des dialectes germaniques connus sous le nom de « vieux norrois », langue très proche du vieil anglais. L’immigration massive de locuteurs du norrois en Angleterre a mené à la simplification des flexions complexes du vieil anglais, possiblement pour faciliter la communication avec les nouveaux arrivants3. Ainsi, au fil du temps, le mot signifiant « femme » en vieil anglais (wif) est passé du genre neutre au genre féminin. Les mots désignant le soleil (sunne) et la lune (môna) sont devenus neutres, alors qu’ils étaient respectivement féminin et masculin au départ4 (à l’opposé des langues romanes). Ce ne sont là que quelques exemples.

Les Normands et le moyen anglais

En 1066, Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, envahit les royaumes unifiés de l’Angleterre et devient roi. Cette conquête marque le début de la période du moyen anglais. Les Normands (« hommes du Nord ») étaient d’origine scandinave. Leurs ancêtres s’étaient établis en Normandie lors de la période d’invasion viking. Cependant, la Normandie était depuis devenue un duché de la France, et les Normands qui ont conquis l’Angleterre avaient comme langue le français. Bien que la France ait été nommée en l’honneur des Francs, le peuple germanique qui a fondé ce royaume, le latin y était la principale langue, car le centre en était la Gaule, province importante de l’Empire romain, dont les habitants d’origine celte avaient depuis longtemps abandonné leur langue première.

Pendant environ deux cents ans à partir de l’accession au trône de Guillaume le Conquérant, noblesse anglaise et hauts représentants de l’Église et du gouvernement ont parlé français. L’Église et le gouvernement menaient donc leurs affaires en français ou en latin. Comme son nom l’indique, la première charte de droits de l’Angleterre, la Magna Carta (1215), fut rédigée en latin. La première langue des monarques anglais fut le français jusqu’à la fin des années 13005. L’anglais demeurait néanmoins la langue du peuple. Puisque le peuple anglais était gouverné par des dirigeants de langue française, une multitude de mots français ont été intégrés à la langue anglaise. C’est ce qui explique qu’on dise que le peuple vivait dans des houses et qu’il élevait des oxen, des sheep et des swine (mots provenant tous du vieil anglais), tandis que leurs maîtres vivaient dans des mansions et mangeaient du beef, du mutton et du pork (tous mots d’origine française). C’est pendant cette période qu’on a commencé à utiliser you plutôt que thou en signe de politesse. Ce gallicisme est devenu plus courant dans la langue anglaise qu’en français.

Par ailleurs, l’orthographe anglaise s’est transformée, car les scribes français utilisaient celle de la langue de Molière pour écrire les mots anglais6. La lettre c a ainsi commencé à être utilisée pour transcrire les sons [s] et [k] en anglais. Sous l’influence du français, le son [u] était parfois représenté par la lettre o, ce qui pourrait expliquer pourquoi son rime avec sun7. Plus tard, des changements de prononciation viendront compliquer l’orthographe, mais sans changer la graphie des mots.

Les nombreuses flexions du vieil anglais ont continué leur lent déclin pendant la période du moyen anglais. Quelques-unes ont toutefois survécu, entre autres oxen, pluriel d’ox, et feet, pluriel de foot. Cependant, à la fin de la période du moyen anglais, l’habitude du vieil anglais d’indiquer le pluriel avec les suffixes –s et –es a prévalu, peut-être en raison de l’influence du français8. Seuls quelques modes de conjugaison des verbes forts du vieil anglais sont encore utilisés aujourd’hui (p. ex. shake, shook et shaken), tandis que la vieille façon de conjuguer les verbes faibles avec les suffixes –ed ou –t (p. ex. loved et spent) s’est répandue.

1204 : le roi d’Angleterre perd le territoire de la Normandie aux mains de la France, ce qui entraîne des siècles de rivalité entre Anglais et Français. L’Angleterre a tenté à maintes reprises de reconquérir la Normandie, allant jusqu’à condamner Jeanne d’Arc au bûcher en 1431 pour hérésie. En raison de cette rivalité, l’utilisation du français en Angleterre a commencé à être perçue comme antipatriotique9. L’anglais est lentement redevenu la langue des affaires gouvernementales. De plus, une classe marchande parlant anglais se développait et exerçait son influence. À l’époque de Chaucer (v. 1343-1400), l’anglais devint la langue officielle de l’Angleterre, mais il avait tellement changé qu’il ne ressemblait que très peu au vieil anglais.

La fusion du français normand et du vieil anglais a été si complète que l’anglais moderne ne semble même pas être une langue mixte. Personne ne remarque, par exemple, que beautiful résulte de la combinaison d’un mot d’origine française (beauty) et d’un suffixe du vieil anglais, ni que eatable provient de l’union d’un verbe du vieil anglais (eat) et d’un suffixe français. L’anglais moderne foisonne de tels mots hybrides.

Comme elle est composée d’une myriade de mots d’étymologie française, la langue anglaise regorge de synonymes. Les mots d’origine française appartiennent souvent au registre soutenu, et ceux tirés du vieil anglais semblent plus colorés. On peut constater cette différence dans les synonymes aid et help, ou solitary et lonely. Une telle abondance de synonymes permet de communiquer des nuances de sens très précises.

L’anglais moderne

La période de l’anglais moderne, à laquelle appartient Shakespeare, a débuté pendant la Renaissance, époque qui a vu la langue anglaise faire beaucoup d’emprunts au grec et au latin. À la suite de la découverte de l’Amérique, l’anglais a commencé à subir l’influence de langues des quatre coins du monde, tendance qui se poursuit aujourd’hui.

Malgré toutes ces influences étrangères, l’anglais moderne demeure une langue essentiellement germanique. Bien que son vocabulaire se soit multiplié depuis les années 400, la langue anglaise courante est aujourd’hui principalement composée de mots qui tirent leur origine du vieil anglais10. On estime que plus de 80 % des 1 000 mots les plus communs en anglais moderne dérivent du vieil anglais11. Parmi ces mots, notons heart, head, land, wood, hill, sun, moon, day, month, year, horse, cow, sheep, goose, hen, dog, fish, old, young, merry, greedy, sorry, bitter, sweet, love, care, have, be, do, say, speak, think, see, hear, eat, drink, bake, brew, jump, sing, swim, fight, shoot, win et sell. Bref, le vieil anglais constitue l’assise sur laquelle repose l’anglais moderne.

Les traditions littéraires du vieil anglais, notamment l’utilisation d’allitérations, sont encore présentes de nos jours, comme le montrent les expressions labour of love et dumb as a dodo. La formation de mots composés est une pratique encore populaire qui date de la même période. Dans les années 1800, les mots output et moonlit ont été inventés par des forgerons du nord de l’Angleterre et par Tennyson, respectivement12. Qui plus est, dès la fin des années 1700, le mouvement romantique en Angleterre a préconisé un retour du vieil anglais. Pour cette raison, les �uvres littéraires anglaises produites pendant cette période contiennent un pourcentage beaucoup plus élevé de mots tirés du vieil anglais qu’auparavant. Par exemple, le passage suivant du poème « Ode on the Intimations of Immortality » de Wordsworth n’est composé que de mots provenant du vieil anglais13 :

Our birth is but a sleep and a forgetting:
The soul that rises with us, our life’s Star,
Hath had elsewhere its setting
And cometh from afar.

Influence durable

Bien que la langue anglaise actuelle, tant familière que soutenue, dérive principalement du vieil anglais, le français a grandement influé sur la façon dont les anglophones communiquent entre eux. En anglais, les jargons juridique et commercial fourmillent de mots d’étymologie française. L’influence du français se fait aussi sentir dans de multiples mots anglais utilisés dans la vie de tous les jours, comme beef, join et pass. D’ailleurs, le fait qu’il existe des quasi-synonymes dérivés du français pour de nombreux mots provenant du vieil anglais explique la profusion de nuances de sens de l’anglais d’aujourd’hui. Il va sans dire que le français a apporté une grande contribution à la langue anglaise.

Notes et références

  • Retour à la note1 Samuca Careca, A History of English Language, Anmol Publications, 2007, p. 119.
  • Retour à la note2 Ibid., p. 199.
  • Retour à la note3 Ernest Weekley, The English Language, Andre Deutsch Ltd., 1952, p. 62; G. L. Brook, A History of the English Language, Andre Deutsch Ltd., 1960, p. 51.
  • Retour à la note4 Samuca Careca, op. cit., p. 250; Ernest Weekley, op. cit., p. 32; G. L. Brook, op. cit., p. 51.
  • Retour à la note5 Samuca Careca, op. cit., p. 125.
  • Retour à la note6 W. F. Bolton, A Living Language, Random House, 1982, p. 143, 147; G. L. Brook, op. cit., p. 42, 50.
  • Retour à la note7 Oliver Emerson, An Outline History of the English Language, Lemma Publishing Corp., 1972, p. 73; G. L. Brook, op. cit., p. 57.
  • Retour à la note8 Ernest Weekley, op. cit., p. 67.
  • Retour à la note9 Samuca Careca, op. cit., p. 129; Bolton, op. cit., p. 141, 142.
  • Retour à la note10 J. A. Sheard, The Words We Use, Lowe and Brydone Printers Ltd., 1970, p. 324.
  • Retour à la note11 Jonathan Slocum et Winfred P. Lehmann, Old English Online (en ligne), Linguistics Research Centre, University of Texas at Austin, mis à jour le 11 août 2011 (consulté le 4 août 2012), http://www.utexas.edu/cola/centers/lrc/eieol/engol-0-X.html.
  • Retour à la note12 Ernest Weekley, op. cit., p. 46, 95.
  • Retour à la note13 Ernest Weekley, op. cit., p. 108.