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Traduire le monde : Traduire les noms propres?

André Racicot
(L’Actualité langagière, volume 5, numéro 1, 2008, page 27)

Connaissez-vous Albert Lapierre? Georges Dubuisson? Pourtant, vous devriez. Le premier est un Prix Nobel de physique tandis que le second porte le même prénom que son père, dont il occupe actuellement les fonctions… Pas clair? Mais non! Il s’agit d’Albert Einstein et de George Bush! Quelle mouche m’a piqué pour que je décide de traduire leurs noms? En effet quelle mouche…

Cet exemple nous montre à quel point l’idée de traduire les noms étrangers apparaît aujourd’hui saugrenue. Il est en effet difficile d’imaginer que c’est pourtant ce que l’on faisait il n’y a pas si longtemps. Vous connaissez tous Christophe Colomb, celui qui est censé avoir découvert l’Amérique. Tout le monde sait qu’il était Génois, donc né en Italie. Alors petite question : pourquoi porte-t-il un nom français? En réalité, notre explorateur s’appelait Cristoforo Colombo. Pourtant, on l’appelle encore Cristóbal Colón en espagnol et Christopher Columbus en anglais.

Et il n’était pas le seul, loin de là. Pensons à un autre explorateur italien, Giovanni Caboto, qui a « découvert » Terre-Neuve et qui est aussi appelé John Cabot et Jean Cabot. La traduction n’était cependant pas réservée aux explorateurs, loin s’en faut. Des conquérants, philosophes, artistes, prêcheurs et autres ont vu leur nom sacré par l’histoire… et traduit. Jules César, Soliman, Mahomet, Laurent le Magnifique, Érasme et Léonard de Vinci sont à la tête d’une longue liste. Pourquoi?

Il est fort probable que les tribulations de tous ces personnages, dont certains offraient leurs services à des souverains étrangers – quand ils n’envahissaient pas leur pays – les amenaient à voyager d’une contrée à une autre. Les pays d’accueil « ponçaient » leur nom pour en éliminer les aspérités, afin de le rendre plus intelligible et plus facile à prononcer. D’ailleurs, les noms de villes et de régions étrangères subissaient le même sort. Pensons à tous ces toponymes italiens, espagnols, néerlandais et allemands qui ont trouvé une chaussure française à leur pied. Alors pourquoi ne pas faire de même avec les noms de personnes?

Ainsi en fut-il pendant de longs siècles, jusqu’à l’époque contemporaine où l’on cherche davantage à s’accommoder de la physionomie parfois rébarbative des noms étrangers; on tente de les prononcer sans trop les écorcher et de les écrire sans coquille. C’est ainsi que Pablo Picasso n’est pas devenu Paul Picasseau…

D’ailleurs, on observe aussi un certain purisme du côté des toponymes. Certains auteurs veulent en effet revenir aux noms originaux et mettre au rancart certaines traductions ou adaptations qui ont droit de cité depuis des siècles. Par exemple, Saint-Domingue deviendrait Santo Domingo. Bien que certains journalistes emploient le terme espagnol, c’est plus par ignorance du français, que pour marquer une nouvelle tendance… Mais songeons à Mumbai, qui est en train de surclasser Bombay. Le mouvement existe, mais il n’a pas encore fait tache d’huile.

Pour en revenir aux noms de personnes, soulignons que la situation est tout autre. La traduction des noms de scientifiques, artistes, etc., est maintenant chose du passé. Elle appartient au Moyen-Âge. Toutefois, cette pratique a cours pour les noms de papes. Pensons à Pie, Clément, Nicolas, Grégoire, Jean, autant de noms traduits, et ce dans toutes les langues. Il y a les souverains pontifes et les souverains tout court. Bien sûr, on pourrait en évoquer quelques-uns parmi les plus célèbres, comme Guillaume II, Frédéric le Grand, la grande Catherine de Russie, Élisabeth 1re. En feuilletant le Larousse, on découvre toute une litanie de Charles, Pierre, Henri, etc.

Pourtant, à ce chapitre, le doute nous saisit. Le roi d’Espagne ne s’appelle-t-il pas Juan Carlos, et non Jean-Charles? Pensons aussi au prince William. Une fois qu’il sera monté sur le trône, osera-t-on le rebaptiser Guillaume? Et que penser de la reine des Pays-Bas, appelée Béatrice dans le Larousse, mais Beatrix dans le Quid? Quid, en effet.

Nul ne peut dire pour l’instant si les noms de souverains deviendront intraduisibles, ou si les cas mentionnés sont (encore!) des caprices de l’usage.