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Traduire le monde : La dérive des continents

André Racicot
(L’Actualité langagière, volume 2, numéro 1, 2005, page 22)

Je demandais récemment aux participants de l’un de mes ateliers combien il y avait de continents. Un silence embarrassé me répondit. On flairait le piège. La question était trop simple pour que la réponse le soit elle aussi : mes participants n’avaient pas tort de se méfier.

On compte traditionnellement cinq continents, c’est-à-dire l’Afrique, l’Amérique, l’Asie, l’Europe et l’Océanie. Tout était simple jusqu’à ce que les États-Uniens s’en mêlent. Eux divisent l’Amérique en deux sous-continents : l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, ce qui laisse en plan l’Amérique centrale. Ce découpage va à l’encontre de celui que font habituellement les géographes. Il signifie, entre autres, que des pays comme le Belize, le Salvador ou le Guatemala seraient intégrés à l’Amérique du Nord. L’ennui, c’est que nos voisins Américains considèrent que l’Amérique du Nord est composée exclusivement du Canada et des États-Unis; les pays susmentionnés devraient donc être inclus dans l’Amérique du Sud. Insensé. On commence à se demander par quel bout de la lorgnette il faut examiner cette question pour y voir du sens.

Heureusement, se dira-t-on, il n’y a pas ce genre d’embrouillamini dans la langue française. Ce n’est pas si sûr. Tout d’abord, tant le Larousse que le Robert des noms propres définissent l’Amérique comme l’une des cinq parties du monde. Ce dernier précise qu’elle est divisée en deux masses continentales, soit l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Troublant. L’expression masses continentales laisse croire que nos lexicographes ne sont plus très loin de découvrir un nouveau continent… À cet effet, il est intéressant de noter que le Robert définit le Nouveau Continent comme les deux Amériques… Pourtant, ce même ouvrage affirme qu’il y a traditionnellement cinq continents… L’Amérique semble donc être une éternelle source de confusion… Jacques Cartier ne l’a-t-il pas confondue avec l’Inde?

Et que dire de l’Arctique et de l’Antarctique? Ceux que la question laisse froids auraient intérêt à bien y penser. En effet, bien difficile de dire que les deux masses polaires ne méritent pas le titre de continent (tant et aussi longtemps que le réchauffement climatique n’aura pas réglé la question!). Si l’on oublie les distinctions géographiques douteuses de nos aimables voisins, nous aurions peut-être sept continents. Je dis bien peut-être, car encore une fois les dictionnaires nous réservent des surprises.

Le Larousse et le Robert définissent l’Arctique comme un ensemble formé par l’océan Arctique et les terres arctiques, mais ils attribuent d’emblée le nom de continent à son vis-à-vis du sud, l’Antarctique. Si, pour éviter la dérive, nous nous cramponnons à la définition traditionnelle des cinq continents, et y ajoutons l’Antarctique, force est de conclure qu’il y a finalement six continents. Mais beaucoup voudront sûrement inclure l’autre pôle, ne serait-ce que pour des raisons de logique élémentaire. Dans ce cas, nous en aurions sept! Voilà qui semble clair.

Pourtant, une petite recherche sur la Grande Toile jette un autre éclairage sur ce sujet. L’idée de diviser le monde en sept continents semble courante, et beaucoup de géographes regroupent l’Europe et l’Asie en un seul continent, pour former l’Eurasie. Et comment le Robert définit-il l’Eurasie? « Masse continentale formée par l’Asie et son prolongement occidental, l’Europe. » Masse continentale… Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je commence à avoir le tournis.

Si nous revenons à la question initiale sur le nombre de continents, on voit maintenant que mes participants étaient bien avisés de flairer un piège, car piège il y avait.

Bref, nous n’avons pas fini d’explorer les terres infinies de la confusion… Un vaste continent, à vrai dire.