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Grammaire traditionnelle et grammaire nouvelle : la mère et la fille

Marise Guay
(L’Actualité langagière, volume 8, numéro 2, 2011, page 14)

Mes genoux claquent sous mon pupitre. Je suis en quatrième année et c’est le jour du mini-test de grammaire. Angoisse. Mon enseignante, Monique, appelle mon nom. Je me lève, la gorge sèche. Je récite la règle apprise par cœur la veille : « Les verbes du 1er groupe à l’impératif présent ne prennent jamais de s final à la 2e personne du singulier. » Je me rassois, soulagée de voir le visage satisfait de Monique.

Cette scène vous rappelle des souvenirs? Nous sommes nombreux à avoir appris la grammaire à coup de séances de mémorisation et de trucs mnémotechniques comme mais où est donc Carnior. Toutes ces leçons étaient bien abstraites dans nos têtes d’enfants. Exit la compréhension! Même si les méthodes ont changé, beaucoup de parents se plaignent aujourd’hui de la nouvelle grammaire enseignée à leurs enfants. Difficile de s’y retrouver, disent-ils, c’est tellement différent! En réalité, les grammaires d’hier et d’aujourd’hui sont aussi différentes qu’une mère et sa fille peuvent l’être, car la deuxième est née de la première. Examinons ce que cette nouvelle génération a de particulier de par ses changements et ses nouveautés.

La grammaire se transforme

Les grammaires traditionnelles utilisaient surtout des définitions s’appuyant sur le sens (sémantiques) pour définir les notions grammaticales. Par exemple, dans une grammaire scolaire, on définissait le verbe comme suit :

Dans la phrase, le verbe sert à exprimer une action et à attribuer une caractéristique à un sujet.

  • Lili bouge beaucoup grâce à ses cours de danse. (action)
  • Lili est sportive et peut traverser le lac à la nage. (caractéristique)

Ce type de définitions pose un problème : des études ont montré que si l’on demande à un élève de lire la définition et les exemples, puis de repérer les verbes dans d’autres phrases, il y arrive mieux si les phrases ressemblent aux exemples. C’est donc dire que, pour comprendre, il utilise davantage les exemples que la définition. Convenons-en, il serait difficile d’expliquer, en se fondant sur une définition uniquement sémantique, pourquoi des mots comme danse et nage sont ici des noms et non pas des verbes.

En nouvelle grammaire, on conserve la définition sémantique. Cependant, afin que l’élève dispose de plusieurs outils pour identifier les mots, on utilise aussi les définitions axées sur la forme (morphologiques) :

Le verbe est le mot qui change le plus, car il se conjugue. Sa forme change selon le moment qu’il exprime et le sujet.

  • Aujourd’hui, je chante une nouvelle chanson. (présent de l’indicatif, sujet à la 1re personne du singulier)

On ajoute aussi une définition fondée sur l’utilisation du mot dans la phrase (syntaxique) :

Pour repérer un verbe conjugué, on l’encadre par ne… pas ou n’… pas.

  • Germain viendra en camping. – Germain ne viendra pas en camping.

Au cœur de la grammaire, la phrase P

En nouvelle grammaire, la notion fondamentale n’est plus le mot, comme l’enseignent plusieurs grammaires traditionnelles, mais bien la phrase de base (phrase P ou simplement P). La phrase P est décrite comme une unité syntaxiquement autonome et contenant deux groupes fonctions obligatoires : le groupe du sujet (GS) et le groupe du verbe (GV) – dans cet ordre – et accessoirement un groupe du complément de phrase (GCP). La phrase P est déclarative, affirmative, active, neutre et personnelle, c’est-à-dire qu’elle n’a subi aucune transformation, contrairement à une phrase interrogative ou négative par exemple. La phrase P est ce qu’on pourrait appeler l’étalon en nouvelle grammaire.

En outre, la majorité des gens savent reconnaître à l’oreille, avant même de savoir écrire, une phrase bien structurée dans leur langue maternelle par rapport à une phrase mal construite.

  • Les ouvriers travaillent sur la route. (≠ travaillent sur la route les ouvriers)

Le GS et le GV sont liés syntaxiquement par un accord (j’utilise les accolades pour illustrer ce lien entre les groupes).

  • [Les enfants] }} [dînent].

On ne décrit jamais la phrase P comme une suite de mots commençant par une majuscule et se terminant par un point, car il s’agit d’une définition graphique qui n’aide pas vraiment l’élève à comprendre le fonctionnement de la phrase.

Dans la phrase P, les groupes

Afin de bien faire les accords, l’élève doit savoir reconnaître les groupes de mots liés par le sens à l’intérieur d’une phrase. Il doit d’abord reconnaître les groupes des classes de mots : le groupe du nom (GN) et le groupe du verbe (GV), ensuite le groupe de l’adjectif (GAdj), le groupe de la préposition (GPrép) et le groupe de l’adverbe (GAdv). Chaque groupe de mots est formé d’un noyau et de ses expansions, c’est-à-dire les mots qui en dépendent. Par exemple, le nom est le noyau du groupe du nom, et ses expansions sont les déterminants, les adjectifs, etc.

  • Les garçons gourmands (noyau : garçons, expansions : les et gourmands)

Enfin, l’élève apprend à reconnaître les groupes des fonctions (GS, GV, GCP). Ces derniers sont également formés d’un noyau et de ses expansions. Par exemple, le noyau du GV est le verbe et ses expansions, ses compléments.

  • Finis ton assiette! (noyau : finis, expansion : ton assiette)

L’élève, qu’on entraîne à lier les mots qui forment des groupes, comprend mieux quand il lit. Devant une phrase longue, il a les réflexes nécessaires pour la traiter. Ainsi, en accordant beaucoup d’importance aux groupes de mots, la nouvelle grammaire permet à l’élève d’acquérir plusieurs compétences et d’éveiller sa conscience aux structures du français.

GSGV

  • [Les enfants de mon frère] }} [dînent dans le jardin].

En déterminant que le GS les enfants de mon frère a comme noyau enfants, l’élève peut dire que le verbe du GV dînent dans le jardin s’accorde à la troisième personne du pluriel puisque son sujet est enfants et non pas frère.

Les classes de mots

Ce qu’on appelait auparavant « nature des mots » et « parties du discours » se nomme maintenant « classes de mots ». Étant donné qu’un mot n’a pas toujours une nature bien à lui (p. ex. fort peut être adjectif et adverbe) et qu’il peut jouer différents rôles dans une phrase, on a adopté un terme plus neutre. On arrive à classer un mot en examinant sa position dans une phrase ou dans un groupe de mots, son rapport avec les autres mots et ses possibilités d’agencement.

La proposition et la phrase

La notion de phrase est plus concrète pour l’apprenant que celle de proposition. On a donc laissé tomber le terme proposition. La phrase principale, ou matrice, est syntaxiquement autonome et contient les deux éléments obligatoires de la phrase P : le GS et le GV. On lui ajoute une phrase subordonnée introduite par un subordonnant (conjonction ou pronom relatif) ou une phrase coordonnée ou juxtaposée. Certains ouvrages de la nouvelle grammaire s’en tiennent à deux types de phrases : la principale et la subordonnée. Dans ce cas, en présence d’une phrase juxtaposée ou coordonnée, on dit qu’une phrase contient plusieurs phrases principales.

Le donneur et le receveur

En nouvelle grammaire, le pronom et le nom sont des donneurs d’accord (d), tandis que le déterminant, l’adjectif et le verbe sont des receveurs (r). En effet, le déterminant et l’adjectif reçoivent leur genre et leur nombre du pronom ou du nom, et le verbe reçoit d’eux la personne et le nombre.

rdrrr

  • Les enfants studieux sont récompensés.

La grammaire s’enrichit

La nouvelle grammaire intègre le texte et le lexique, qui sont considérés comme des éléments grammaticaux à part entière, au lieu d’en laisser l’enseignement à la discrétion du programme scolaire en vigueur. On part du principe qu’en produisant des textes et en élargissant son vocabulaire, l’élève s’approprie la langue, ce qui active ses capacités métalinguistiques, essentielles dans l’apprentissage de la grammaire.

La grammaire du texte

La grammaire du texte présente le thème (information connue) et le propos (nouvelle information), ainsi que la façon dont on doit faire alterner l’information connue et l’information nouvelle dans le texte pour aider le destinataire à comprendre. Elle se penche aussi sur les éléments de cohérence du texte, tant du point de vue de l’auteur que du lecteur. Ainsi, l’élève est exposé très tôt à l’importance du destinataire dans le processus de communication et à la nécessité de lui faciliter la lecture, dans le cas de textes écrits.

On lui enseigne que l’un des objectifs de la communication est de transmettre de l’information par la production d’un discours ou d’un texte écrit cohérent, et que pour y parvenir, il gagne à comprendre les phénomènes grammaticaux entre les phrases :

  • la progression de l’information;
  • la reprise de l’information;
  • le lien entre les phrases.

L’élève doit aussi maîtriser les notions grammaticales qui les accompagnent, par exemple :

  • l’utilisation de référents (les pronoms, les déterminants, les synonymes, etc.);
  • la concordance des temps;
  • l’utilisation de marqueurs de relation et de marqueurs de modalité.

En travaillant sur ses propres textes au lieu de faire des exercices « à trous », l’élève découvre qu’il peut manipuler les mots et les phrases pour réfléchir sur la langue et la comprendre. Ainsi, l’impression que la grammaire n’est qu’un code à apprendre par cœur s’en trouve atténuée.

La grammaire du lexique

Dans les années 1970 et 1980, l’enseignant soumettait des listes de mots nouveaux aux élèves ou les encourageait simplement à lire et à chercher les mots qu’ils ne connaissaient pas dans le dictionnaire. Il s’agissait certes d’une méthode valable pour les élèves curieux. La nouvelle grammaire laisse cependant moins au hasard cet apprentissage essentiel.

La morphologie, soit l’orthographe lexicale et grammaticale du mot et de ses éléments, est au programme dès le primaire. Ainsi, l’élève apprend à reconnaître les mots dérivés d’un mot de base (serpentin, chaton) et à former des mots à l’aide de préfixes et de suffixes.

Il apprend également les mots avec lesquels un autre mot peut se lier pour former des mots composés ayant une autre signification (pomme : pomme de terre; pomme d’Adam, etc.).

Pour ce qui est de la sémantique, on explique à l’élève la différence entre les sens attestés dans le dictionnaire et ceux de la langue familière, le sens propre et le sens figuré, les homophones, les synonymes et les antonymes. On étudie les mots qu’un mot commande, par exemple ses cooccurrents (atteindre un but, compter un but, etc.).

L’élève examine aussi des exemples de contextes dans lesquels un mot peut être utilisé (inscrire la date; inscrire un but).

Les régularités en vedette

En nouvelle grammaire, on retrouve des notions qui avaient été mises de côté à une époque où la matière avait été un peu trop simplifiée. On y découvre une approche très axée sur la syntaxe et la morphologie et qui met l’accent sur les régularités de la grammaire française – pensons à la phrase P. Les exceptions ne viennent qu’ensuite. De cette façon, l’élève retient que la langue est un système à la structure logique et non pas une liste d’exceptions à mémoriser.

Dans le troisième article de cette série, j’aborderai la nouvelle terminologie utilisée pour faire l’analyse grammaticale, qui comporte, elle aussi, quelques différences.