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Comme quoi l’ivraie de l’un peut être le bon grain de l’autre

Martine Racette
(L’Actualité langagière, volume 9, numéro 1, 2012, page 26)

La retraite, ainsi que quelques séjours au pays de Fidel Castro, ont eu ceci de bon pour moi qu’ils m’ont permis d’améliorer les connaissances de base en espagnol que j’avais acquises à l’université il y a de cela… plus de trente ans. Je serais encore incapable de refaire le monde dans l’idiome de Don Quichotte, mais je me débrouille assez bien pour lire des romans, en comprendre l’intrigue et en apprécier les nuances stylistiques.

J’ai aussi constaté, au fil de mes lectures, que l’espagnol* utilise en toute légitimité certaines expressions ou certains mots considérés en français comme des anglicismes et contre lesquels on me mettait en garde à l’université il y a de cela… oui, vous savez. J’ai d’abord cru, à la première occurrence, que l’auteur était tombé dans le piège du calque :

Los muebles los compramos de segunda mano…
(Eduardo Mendoza, La verdad sobre el caso Savolta, Barcelona, Seix Barral, 2004)

Acheter des meubles de seconde main (second-hand furniture), ça ne se fait pas, ai-je déjà appris. Curieuse de savoir si Mendoza avait commis un impair, j’ai consulté le dictionnaire de la Real Academia Española pour apprendre que de segunda mano avait le sens qu’on lui nie au Canada : adquirido del segundo vendedor. Compró un coche de segunda mano. [Acheté au deuxième vendeur. Il a acheté une voiture de seconde main.] Mendoza ne faisait donc pas fausse route.

Je n’ai pas la prétention de vous convier à une étude comparative en profondeur de l’espagnol et du français, loin de là. Mais les petites découvertes que j’ai faites depuis celle de Mendoza m’ont incitée à fouiller la question un peu plus. Je ne suis sans doute pas au bout de mes surprises, et mon petit doigt me dit par ailleurs que d’autres langues du tronc latin ont aussi préservé à certains mots un sens qu’a délaissé le français. Je vous fais néanmoins part de mes quelques trouvailles; elles sont accompagnées de traductions libres et de définitions en espagnol, toutes tirées du dictionnaire de la Real Academia Española.

Definitivamente

¿Y porqué había tenido que morir él, que tenía una tarea, una misión importante en la vida, y no yo, que no iba a hacer cosa que valiese la pena? Definitivamente, el mundo estaba mal hecho. [Pourquoi fallait-il qu’il meure, lui qui avait une tâche, une mission importante à remplir dans la vie, et pas moi, qui n’allais rien réaliser qui vaille la peine? Décidément, le monde est mal fait.]
(Marina Mayoral, Recóndita armonía, Madrid, Alfaguara, 1994)

Définitivement, employé dans le sens de « sûrement », « sans doute », « en effet » ou « décidément », se taille peu à peu une place en français, du moins dans la langue parlée. On nous a reproché de l’utiliser à tort pour traduire definitely dans ce sens, alors qu’en espagnol definitivamente s’emploie dans cette acception : en efecto, sin duda alguna. [En effet, sans aucun doute.]

Alternativa

Beba su copa, y luego la llevaré al cine, al zoológico, o si prefiere nos quedaremos a ver una serie de televisión. Cualquiera de las tres alternativas es buena. [Finissez votre verre, et après je vous emmènerai au ciné ou au zoo ou, si vous préférez, nous resterons ici et regarderons une série télévisée. L’une ou l’autre de ces trois possibilités me convient.]
(Ramón Díaz Eterovic, Solo en la oscuridad, Santiago de Chile, LOM Ediciones, 2003)

Dans cet exemple, je n’ai pas pu traduire alternativas par alternative, même si je sais très bien qu’alternative, après avoir été boudé, se trouve désormais dans les ouvrages de langue dans le sens de « possibilité », de « choix ». Que voulez-vous, j’ai été élevée autrement; dans mon temps, une alternative, c’était un choix entre deux possibilités. Utiliser ce mot pour parler d’un des éléments de ce choix, c’était calquer le sens anglais d’alternative. Eterovic, lui, peut cependant dormir tranquille; il a la caution de la Real Academia : opción entre dos o más cosas; cada una de las cosas entre las cuales se opta. [Choix entre deux ou plusieurs choses; chacun des éléments de ce choix.]

Cancelar

C’est connu, on ne « cancelle » pas une réunion (calque de to cancel a meeting), on l’« annule ». En français, canceller a un sens vieilli, celui que nous donne le Trésor de la langue française : annuler un document, un écrit par des ratures en forme de croix ou par des lacérations. Canceller et annuler des lettres. Le champ sémantique de cancelar est plus vaste en espagnol, ce qui fait qu’Eterovic peut très bien écrire :

En mi oficina se acumulaban las cuentas y cada vez costaba más convencer a la casera que le cancelaría los meses de renta adeudados. [Les comptes s’accumulaient dans mon bureau et il devenait chaque fois plus difficile de convaincre la logeuse que je règlerais les mois de loyer que je lui devais.]
(La ciudad está triste, Santiago de Chile, LOM Ediciones, 2000)

En effet, cancelar signifie annuler ou rendre inefficace un document public, une inscription dans un registre, une note ou une obligation officielle. Comme dans l’exemple ci-dessus, cancelar peut aussi vouloir dire régler une dette. Mais si le verbe a aussi le sens d’« abolir » et d’« abroger », difficile de savoir si le lauréat du prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa n’a pas dérapé en lui prêtant le sens ordinaire d’« annuler » :

Y cuando quise cancelar el viaje, para no dejarla sola, insistió en que viajara. [Et quand j’ai voulu annuler le voyage, pour ne pas la laisser seule, elle a insisté pour que je parte.]
(Travesuras de la niña mala, Madrid, Santillana Ediciones Generales, 2006)

Quelque bon samaritain voudra peut-être éclairer ma lanterne?

Hasta la fecha

Cette expression se traduit littéralement par « jusqu’à la date », et c’est dans le sens de « jusqu’à maintenant » qu’elle apparaît en 4e de couverture de Solo en la oscuridad d’Eterovic :

La segunda novela de la serie protagonizada por el detective Heredia, se publicó en el año 1992 en la Argentina y hasta la fecha permanecía inédita en Chile. [Le deuxième roman de la série mettant en vedette le détective Heredia a été publié en 1992 en Argentine et demeurait inédit au Chili à ce jour.]
(Santiago de Chile, LOM Ediciones, 2003; première édition : Buenos Aires, Editorial Torres Agüero, 1992)

N’est-ce pas là le sosie parfait de (up) to this date? Je lui trouve même un petit air de famille avec jusqu’à date, qu’on emploie à tort pour traduire l’expression anglaise.

Graduación et ansioso

J’ai constaté en parlant avec des Cubains qu’ils emploient graduación pour désigner le passage d’un niveau scolaire à l’autre, comme du primaire au secondaire. Vérification faite, ils ont raison : le mot a le sens d’action de graduer (graduar) ou son résultat. Graduar, c’est, dans l’enseignement intermédiaire ou supérieur, donner ou recevoir un baccalauréat, une maîtrise ou un doctorat. Mais c’est aussi, dans n’importe quel établissement d’enseignement autorisé, conférer un autre type de grade. Et c’est ainsi qu’on célèbre sa graduación en espagnol, sa graduation en anglais et la « fin de ses études » en français, du moins quand on veut éviter l’anglicisme. Et s’il est vrai que l’on reçoit un grade, on ne gradue pas pour autant. Mario Vargas Llosa trouverait peut-être qu’on se prive d’un verbe utile, lui qui se sert de graduar pour faire passer des enfants à l’adolescence :

… todas las chicas del barrio que tanto envidiaban a esas chilenitas venidas a Miraflores a revolucionar las costumbres de los niños que ese verano nos graduamos de adolescentes! [Toutes les filles du quartier qui enviaient tant ces petites Chiliennes venues à Miraflores pour révolutionner nos habitudes, nous qui cet été-là étions passés de l’enfance à l’adolescence!]
(Ouvr. cité)

Enfin, j’ai aussi appris que l’on peut être « anxieux » de faire ou de vivre quelque chose sans que cela implique de la nervosité, de la crainte, voire de la peur. Estar ansioso (ansiosa) por (ou de) partage avec l’anglais to be anxious to le sens de « désirer ardemment quelque chose » (que tiene deseo vehemente de algo). Vargas Llosa le confirme :

… todo el país estaba lleno de directores, actores, bailarines y músicos ansiosos por poner a la sociedad española al día, de hacer cosas nuevas. [Tout le pays grouillait de directeurs, d’acteurs, de danseurs et de musiciens désireux de moderniser la société espagnole, de faire des choses nouvelles.]
(Ouvr. cité)

Si bien que quand mes amis me disent qu’ils sont ansiosos por verme de nuevo, je sais qu’ils ont hâte de me revoir…

Je remercie de leur aide Elisa Paoletti et Irma Nunan, de la Direction de la normalisation terminologique du Bureau de la traduction.

Remarque

Sources

  • Centre national de la recherche scientifique. Le trésor de la langue française informatisé, http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.
  • Real Academia Española. Diccionario de la lengua española, 22e édition, http://www.rae.es/rae.html.