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Mots de tête : « du même souffle »

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 31, numéro 2, 1998, page 9)

Et on condamne Israël du même souffle, pour les bavures de sa police…
(Michel Régnier, cinéaste, Le Devoir, 29.3.88.)

Les anglophones ont de la veine, ils peuvent faire plein de choses que notre langue nous interdit. Ils peuvent, par exemple, « parler des deux côtés de la bouche en même temps ». Ou « à travers leur chapeau ». Et par défi, ils iront même jusqu’à le manger, leur chapeau*. Tour à tour maladroits ou contorsionnistes, ils se tirent dans le pied (sans grand préjudice corporel, d’ailleurs) ou se le mettent dans la bouche à tout bout de champ. Heureusement qu’il nous arrive de leur damer le pion : ils sont bien incapables, que je sache, de gagner une course les doigts dans le nez.

Ils ont également un souffle assez particulier. Non seulement ils peuvent « rire sous leur souffle », mais ils sont capables (grâce au fameux « second souffle »?) de dire deux choses, souvent opposées, « du même souffle ».

C’est une technique qui ne semble pas avoir de secret pour les Québécois. J’ai relevé chez nous une bonne quarantaine d’exemples de l’expression « du même souffle ». Nous l’apprêtons littéralement à toutes les sauces. On peut annoncer, répéter ou affirmer; rejeter, dénoncer ou reprocher; regretter, adoucir ou accueillir – tout et son contraire – du même souffle.

Pour certains, c’est une façon d’apprendre une nouvelle :

Catherine apprend du même souffle que sa mère biologique vit toujours en Chine et qu’elle va bientôt mourir1.

D’autres arrivent même à « voir » par ce moyen :

Mais on voit du même souffle l’avantage qu’un pays plus dynamique peut retirer d’une monnaie commune2.

Et jusqu’aux budgets qui s’animent :

Du même souffle, le budget d’hier indique qu’il faudrait bien que […]3.

Retour à la remarque 1* Si l’on se fie au Harrap’s portatif (1993) et au Larousse bilingue (1994), les Français commenceraient à s’adonner à ce rituel un peu bizarre.

Vous me direz qu’il y a de l’abus. J’en conviens. Mais il ne faudrait pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. Examinons plutôt la coupable. « In the same breath » signifie « at the same time or about the same time », « almost simultaneously ». Un vieux dictionnaire4 de 1907 traduit justement par « au même instant ». Au départ, le sens est à peine figuré, comme dans l’exemple classique « they are not to be mentioned in the same breath ». À peu près tous les dictionnaires traduisent par « on ne saurait les comparer », mais on trouve dans The Gimmick5 d’Adrienne une formule plus imagée. « Parler en même temps des fromages américains et français, c’est mélanger les torchons et les serviettes » est rendu ainsi : « You can’t talk about American cheeses and French cheeses in the same breath. » (Les Américains ont dû aimer!)

Mais le sens qu’on rencontre le plus souvent aujourd’hui est celui que donne le Cobuild English Dictionary6 : « You can use in the same breath or in the next breath to indicate that someone says two very different or contradictory things ». C’est l’exemple qu’on trouve dans le dictionnaire de Petit7, dès 1934 : « he contradicts himself in the same breath – il se contredit d’un instant à l’autre ».

Comment les dictionnaires récents rendent-ils cette expression? Le Robert Collins Senior s’en tient à peu près à ce que donne Petit : « she contradicted herself in the same breath – elle s’est contredite dans la même seconde ». Chose étonnante, le Grand Larousse bilingue se contente de l’exemple classique. Il n’y a que le Hachette-Oxford pour faire montre d’un peu d’audace : « in the same breath – dans la foulée ». Et dans la partie français-anglais : « dans la foulée, il a ajouté – in the same breath, he added. » (Il est intéressant de voir que, dans le Trésor de la langue française, « dans la foulée » a le même sens que « in the same breath » : « simultanément, en même temps ».)

« Du même souffle » est de loin la tournure la plus courante chez nous. Que ce soit Lise Bissonnette ou Gilles Lesage du Devoir, Michel Vastel ou André Nadeau du Droit, Lysiane Gagnon ou Pierre Foglia de La Presse, ou Jean Paré de L’Actualité. Ou même Pierre Bourgault. Tous l’emploient. Y compris des universitaires. Mais on trouve aussi la variante « dans un même souffle » (La Presse, 4.2.95). Bien que très rarement. Par contre, « dans le même souffle » est plus fréquent. Je l’ai rencontré chez Nathalie Petrowski8, Gil Courtemanche9 et Yves Thériault10 (l’exemple le plus ancien que j’ai trouvé).

« Dans le même souffle » est la formule que les Français semblent préférer, les journalistes notamment :

Dans le même souffle, Fonda dénonce l’impérialisme culturel […]11.

Les milieux officiels israéliens se sont félicités de la libération de Nelson Mandela et, dans le même souffle, ont rejeté toute comparaison12.

Et l’auteur d’un très bel ouvrage sur le Liban :

Le président annonçait le retour de nos soldats à Beyrouth. [Il] précisait dans le même souffle que nous ne serions sur place que […]13.

Malgré les apparences, les Français ne sont pas allergiques à « notre » tournure. Alain Finkielkraut, par exemple, emploie « du même souffle » :

Deux nations, la Slovénie et la Croatie, proclament leur indépendance, et affirment du même souffle leur européanité14.

Et un chercheur du CNRS utilise une légère variante :

Ils dénonçaient d’un même souffle l’« impiété » du pouvoir et l’injustice sociale dont souffrait une jeunesse interdite d’avenir15.

Inutile de dire que ces variantes sont toutes inconnues des dictionnaires. Aussi, rien d’étonnant à ce que vous ayez des scrupules à les employer. Mais si les traductions que les dictionnaires nous proposent ne vous satisfont pas, voici quelques expressions qui pourraient vous être utiles :

Comme si l’on considérait que la résistance […] doit, d’une même haleine, se poursuivre et s’accroître16.

Mais l’auteur ajoute du même mouvement : « Et ils l’espèrent bien17. »

Or, en défendant dans le même mouvement le voile islamique et la kippa juive […]18.

J’ai trouvé un exemple de cet usage chez nous :

Étonnantes invectives de la part d’un littérateur qui, dans le même mouvement où il invective Richler, déclare sans ambages qu’il ne l’a pas lu19.

Voici une dernière locution, qu’on ne trouve qu’au sens propre dans les dictionnaires, mais qu’on voit souvent employée dans un sens figuré et qui ferait un bon équivalent de l’expression anglaise :

[…] je n’avais aucune envie de pleurer sur le sort d’un vieillard [Pétain] qui m’avait volé ma carte d’identité et qui […] décrétait dans le même temps que je n’étais bon à rien […]20.

Si aucune de ces solutions ne vous agrée, vous pourrez toujours vous rabattre sur celles qu’on trouve dans la dernière édition du Multidictionnaire21. Marie-Éva de Villers est la première et – sauf erreur – la seule à signaler que « du même souffle » est un calque de l’anglais. Outre la traduction du Hachette-Oxford (« dans la foulée »), elle nous propose « d’un seul élan, sur son élan ».

Toutes ces façons de dire sont certes utiles, et devraient vous dépanner à l’occasion, mais je gagerais mon exemplaire en lambeaux des Nouvelles remarques de Monsieur Lancelot que « du même souffle » (ou « dans le même souffle ») finira bien un jour par aller rejoindre dans les dictionnaires ce « second souffle » que nous avons déjà volé aux anglophones.

Références

  • Retour à la note1 Gisèle Desroches, Le Devoir, 14.3.98.
  • Retour à la note2 Georges Mathews, L’Accord, Éditions Le Jour, Montréal, 1990, p. 69.
  • Retour à la note3 Denis Lessard, La Presse, 22.5.93.
  • Retour à la note4 Alfred Elwall, Dictionnaire anglais-français, Ch. Delagrave, Paris, 14e éd., 1907.
  • Retour à la note5 Adrienne, The Gimmick Spoken American and English, tome 2, Flammarion, 1972, p. 133-134.
  • Retour à la note6 Collins Cobuild English Dictionary, Harper Collins, Londres, 1995.
  • Retour à la note7 Ch. Petit, Dictionnaire anglais-français, Hachette, Paris, 1934.
  • Retour à la note8 Nathalie Petrowski, Le Devoir, 15.9.90, 1.2.92 et 6.6.92.
  • Retour à la note9 Gil Courtemanche, Chroniques internationales, Boréal, Montréal, 1991, p. 165. Voir aussi Le Soleil du 19.12.92.
  • Retour à la note10 Yves Thériault, « Le dernier igloo », in L’herbe de tendresse, VLB éditeur, Montréal, 1983, p. 105. (Nouvelle vraisemblablement parue au début des années 60.)
  • Retour à la note11 Pierre Dommergues, Le Monde Dimanche, 21.2.83.
  • Retour à la note12 Alain Franchon, Le Monde, 13.2.90. Voir aussi Le Monde du 17.8.89.
  • Retour à la note13 Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, Une croix sur le Liban, Folio/Actuel, 1985, p. 29.
  • Retour à la note14 Alain Finkielkraut, Comment peut-on être Croate?, Gallimard, 1992, p. 99.
  • Retour à la note15 Gilles Kepel, Le Monde, 7.3.91.
  • Retour à la note16 Claude Hagège, Le français et les siècles, Odile Jacob, coll. Points, 1989, p. 10.
  • Retour à la note17 Jean Guéhenno, Journal des années noires, Livre de poche, 1966, p. 252. Paru en 1947.
  • Retour à la note18 Alain Finkielkraut, Le Monde, 23.2.90.
  • Retour à la note19 Nadia Khouri, Qui a peur de Mordecai Richler?, Éditions Balzac, Montréal, 1995, p. 29.
  • Retour à la note20 Bernard Frank, Le Monde, 21.8.85. Voir aussi Jean-Yves Nau, Le Monde, 5.7.89.
  • Retour à la note21 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française, 3e éd., Québec Amérique, Montréal, 1997.