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Mots de tête : Deux mal aimés

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité langagière, volume 8, numéro 4, 2012, page 8)

Notre aplatventrisme congénital
(Pierre Falardeau, in La Presse)

À l’époque de ma chronique* sur partisanerie, il y a déjà quinze ans, le Grand Robert et le Dictionnaire historique de la langue française lui accolaient la mention « rare ». Il est tout aussi rare aujourd’hui. Vous le chercheriez en vain dans les dernières éditions des petits Robert ou Larousse, ou encore des dictionnaires bilingues. On le trouvait pourtant dans le Harrap’s de 1972, mais il a disparu depuis. Mystère… Autre mystère, le Grand Robert le date de 1943, et le Dictionnaire historique, de 1934… Quoi qu’il en soit de cette querelle de dates, j’ai trouvé depuis un exemple français nettement plus ancien, dans un ouvrage1 de 1907. Mais comme vous avez lu mon article, vous savez que chez nous il est encore plus vieux – Oscar Dunn l’enregistre dans son glossaire de 1880.

Si partisanerie a autant de mal à forcer les portes des dictionnaires courants, vous pouvez imaginer les obstacles que devra franchir le terme que j’examine aujourd’hui. On ne le trouve dans AUCUN dictionnaire français, pas même le Grand Robert. Et chez nous, jusqu’à tout récemment, c’est comme s’il n’avait pas existé. Il n’y avait même aucun ouvrage pour le condamner. Ce n’est que depuis huit ou neuf ans qu’on le trouve; d’abord dans la quatrième édition du Multidictionnaire de Marie-Éva de  Villers (2003), ensuite dans un dictionnaire bilingue2 (2005) et, enfin, dans un énième recueil de québécismes3 (2010). Et contrairement à partisanerie, qui pouvait se flatter d’avoir séduit quelques plumes françaises : Siegfried (1907), Jean Guéhenno (1934), Émile Henriot (1960), et même le terrible Étiemble** (1980) – ou haïtienne encore, celle de Jacques Stephen Alexis (1959) –, à-plat-ventrisme ne peut compter sur la caution d’aucun auteur français connu.

À moins que vous ne me trouviez une vieille source inespérée, le terme fait à peine 50 ans. Dix lustres! Il n’a même pas mon âge… Et son « géniteur » serait un obscur journaliste de l’époque, Pierre Laporte, qui devait devenir ministre, comme vous devez le savoir, et qui finira comme vous le savez peut-être. Le terme ne devait pas être très répandu, puisque l’auteur le met en italique : « Certains avocats faisaient preuve d’un aplatventrisme intégral devant monsieur Duplessis4. » (Ce qui vous fera sans doute penser à cette phrase, dans mon dernier article***, où Duplessis se vante : « Les évêques! Ils mangent dans ma main. ») Mais à peine huit ans plus tard, il semble déjà acclimaté, ni italique ni guillemets : « cet article était une défense […] du fédéraliste résigné, chrétien, aplatventriste5 ». La même année, une journaliste fédéraliste en fait autant : « nous affichons un écœurant aplatventrisme devant les millions anglo-américains6 ».

Pour le reste, c’est surtout chez les journalistes que j’en ai trouvé des exemples : une chroniqueuse de la Presse : « le retour des vieilles rancœurs, ou alors l’a-plat-ventrisme7 »; l’éditorialiste du Devoir : « il a toujours su éviter les pièges du sectarisme ou de l’aplat-ventrisme8 »; trois chroniqueurs du Devoir, Daniel Latouche (1991), Laurent Laplante (1995) et Michel David (2002), une journaliste de la Presse, Francine Pelletier (1991), un chroniqueur du Droit, Michel Vastel (2003). Mais ils n’en ont pas tout à fait le monopole. Un couple assez incongru vient ajouter un peu de couleur à ce tableau uniforme, un poète et un ingénieur. Le poète d’abord : « l’aplatventrisme chronique du stand-by please stand-by please one two three9 »; et l’ingénieur : « ce n’est plus de silence qu’il faut "parler", mais bien d’à-plat-ventrisme10 ».

Après Pierre Falardeau qui déplore notre « aplatventrisme » congénital, et le regretté Gil Courtemanche, celui de nos politiciens (« Comme si les citoyens avaient compris de l’à-plat-ventrisme de leurs politiciens11… »), Marcelle Ferron dénonce le manque de colonne vertébrale des Français : « Les Français […] font preuve d’à-plat-ventrisme devant la culture anglo-états-unienne12 », et Christian Rioux s’en prend aux Européens : « ils font les frais de l’à-plat-ventrisme européen13 ». On le voit, personne n’est immunisé contre ce « virus ».

Si les Québécois peuvent sans doute prétendre à la paternité de ce mot, ils ne sont plus les seuls à l’employer. Il suffit d’aller surfer sur Internet (quelque 27 000 occurrences) pour constater que les pays africains, l’Algérie notamment, s’en sont emparés comme s’il avait poussé sur leur sol. Dans un ouvrage consacré au français en Algérie14, les auteurs n’ont pas l’air de se douter un seul instant qu’il s’agit d’un québécisme : dans leur lexique, il n’est jamais fait mention du Québec, et les exemples d’à-plat-ventrisme sont tous tirés de la presse algérienne…

Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai que ce terme n’a pas su trouver grâce aux yeux d’un seul auteur français « connu ». Dominique Noguez, écrivain assez connu dans certains milieux, l’emploie : « cette spirale infernale de l’avachissement, de la veulerie, de l’à-plat-ventrisme15 ». Mais on ne peut s’empêcher de penser que c’est peut-être au cours de sa longue fréquentation des poètes québécois, de Gaston Miron notamment, qu’il aurait attrapé le virus…

Vingt ans se sont écoulés depuis l’exemple de Noguez, et il semble bien que le mal soit en train de se répandre jusqu’en Hexagone. Je me contenterai de deux cas : un ancien traducteur à l’ONU et à l’OMS, qui confirme ce que je disais à propos du droit québécois à la paternité de ce mot : « Les Québecois [sic] appellent "à-plat-ventrisme" la tendance à toujours céder devant la langue anglaise » (Claude Piron, in Tribune de Genève); et un éditeur-essayiste, qui est aussi traducteur : « Il est un domaine où, à coup sûr, Aragon écrase tous les rivaux de son impressionnante stature : celui de la bêtification cocardière et de l’à-plat-ventrisme. » (Louis Janover, in Monde libertaire, journal en ligne)

Peut-être suffit-il de patienter, et les dictionnaires français qui boudent aujourd’hui ce québécisme – « algérien » si j’ose dire – finiront tôt ou tard par l’accueillir. Mais quelle graphie adopteront-ils? Donneront-ils les deux comme le lexique algérien, aplatventrisme et à-plat-ventrisme (qui fait de même pour l’adjectif)? Chez nous les traits d’union semblent vouloir s’imposer. Pour l’adjectif, une journaliste (Solange Chaput-Rolland, in La Presse) a lancé il y a presque vingt ans un sonore à-plat-ventreux, mais qui a fait long feu. Dommage, cela ajoutait un degré de plus dans l’échelle de l’à-plat-ventrissement… (Vous vous doutez bien qu’il s’est trouvé quelqu’un pour forger un verbe : « Bourassa s’aplatventrit devant… » Cela date de 1992.)

Remarques

Notes