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Traduire le monde : Splendeurs et misères de la typographie

André Racicot
(L’Actualité langagière, volume 10, numéro 2, été 2013)

J’ai récemment mis la main sur la quatrième édition (2010) du Dictionnaire des règles typographiques de Louis Guéry, ainsi que sur le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale. La consultation de ces deux ouvrages m’a profondément déçu, car ils rabâchent les mêmes vieilles règles qui avaient cours il y a cinquante ans. C’est à croire que l’usage n’a pas évolué depuis.

Dans cet article, je m’attacherai aux noms de révolutions, de guerres, de périodes historiques, de régimes politiques et de ministères.

Les révolutions

Les deux ouvrages conservent la majuscule à Révolution française exclusivement, alors qu’ils composent uniquement en minuscule le nom d’autres évènements importants, comme la révolution américaine, la révolution industrielle et la révolution russe. Pourtant, le Robert & Collins donne bel et bien Révolution américaine à l’entrée Yankee Doodle, chanson composée durant la guerre d’Indépendance.

L’usage veut tout de même qu’on parle de la Révolution tranquille au Québec, avec la majuscule. Pourquoi? Tout simplement parce que celui qui a traduit le terme Quiet Revolution — oui, l’expression vient de l’anglais — a tout simplement appliqué la logique naturelle qui veut qu’une appellation commence par une majuscule. Or, si l’on se fie aux deux guides de typographie, seul un substantif dans l’élément déterminatif peut prendre la majuscule : révolution d’Octobre, mais révolution tranquille.

Bref, nous avons trois types de graphies pour les révolutions : majuscule à révolution (Révolution française); aucune majuscule (révolution industrielle); majuscule au deuxième mot (révolution d’Octobre).

Les guerres

À ce chapitre, le lexique de l’Imprimerie nationale est pour le moins déroutant parce qu’il prescrit la minuscule, même pour les deux guerres mondiales. Le tout-en-minuscule s’observe aussi dans Le Monde diplomatique, mais il ne correspond pas à l’usage courant, d’ailleurs confirmé par le Larousse et le Robert ainsi que par le Dictionnaire des règles typographiques.

Les noms de guerres réservent toutefois quelques surprises au langagier, car ils sont soumis au même jeu de bascule majuscule/minuscule que les noms de révolutions. D’un côté, la guerre d’Indépendance américaine. De l’autre, la guerre froide, ce qui va encore une fois à l’encontre de la logique élémentaire et de l’uniformité.

En effet, la seule façon pour une guerre de recevoir la consécration d’une majuscule est de comporter un substantif dans l’élément déterminatif qui suit le mot guerre. Les explications qui prétendent nous éclairer sur ces règles sont pour le moins nébuleuses et arbitraires. Guéry soutient que les noms de guerres « prennent une capitale lorsque l’ensemble est un véritable nom propre : la Grande Guerre, la Seconde Guerre mondiale, la Longue marche1 ». Le lexique de l’Imprimerie nationale abonde dans le même sens.

Si j’ai bien compris, la guerre froide n’a pas droit à un nom propre, même si elle fait l’objet d’une entrée dans les dictionnaires et encyclopédies et même si elle est clairement délimitée dans le temps. Quels sont donc les critères pour que le nom d’une guerre soit considéré comme un nom propre?

Pis encore, on ne peut que constater les incohérences entre les ouvrages au sujet du trait d’union dans les noms composés. Qu’on en juge.

Le lexique de l’Imprimerie nationale donne : la guerre de Cent Ans, la guerre des Six Jours, mais… la guerre des Deux-Roses. Pourquoi ce trait d’union inopiné?

Le dictionnaire de Louis Guéry propose : la guerre de Cent Ans, mais la guerre des Six-Jours. Il ne mentionne pas la guerre des Deux-Roses.

États, républiques, royaumes et empires

La valse des majuscules et des minuscules se poursuit dans le nom officiel des États. Le lexique de l’Imprimerie nationale est on ne peut plus clair : « Les mots empire, république, royaume, etc., s’écriront entièrement en lettres minuscules s’ils sont précisés par un nom propre. Ces mêmes mots prendront une capitale initiale s’ils sont complétés par un simple adjectif de nationalité2. » Ce qui donne : Empire britannique, mais empire des Indes; République centrafricaine, mais république de Lettonie.

La graphie officielle des noms d’États aux Nations Unies comporte la majuscule initiale à ces appellations, puisque ce sont des appellations officielles. N’est-il pas naturel de procéder ainsi, après tout?

Quant à Guéry, il va dans le même sens, mais préconise la graphie Arabie Saoudite avec la majuscule à l’adjectif. Étonnant! Voilà à présent que l’on met une capitale là où les Nations Unies n’en mettent pas. Vous avez dit incohérence? Caprice? L’Empire byzantin est toujours vivant, je le proclame!

Les ministères

Je pourrais multiplier les exemples de chemins tortueux qu’emprunte le français, mais je terminerai ma démonstration avec les noms de ministères, qui offrent l’embarras du choix au langagier, pour ne pas dire le choix de l’embarras.

Au Canada, nous écrivons le ministère des Affaires étrangères. Qu’en est-il en Europe? Le Monde favorise l’étêtage total, comme pour les deux guerres mondiales : le ministère des affaires étrangères; Le Figaro : le Ministère des affaires étrangères; Le Soir (Belgique) : le ministère des Affaires étrangères. Encore une fois, l’usage cafouille et les savantes règles typographiques en prennent pour leur rhume.

Pour une réforme de la typographie

Ce cas n’est pas unique. Que faut-il conclure de tout cela? Beaucoup de rédacteurs ne connaissent tout simplement pas les règles, d’où la pléthore de variantes; d’autres (dont je suis) choisissent de les ignorer. Après tout, ce ne sont pas les grammairiens qui définissent l’usage, mais bien les locuteurs.

Plusieurs arguments militent en faveur d’une rationalisation et d’une simplification des règles sur l’utilisation des majuscules dans le domaine des relations internationales.

Les historiens et les politologues, entre autres, n’hésitent pas à écrire les noms de guerres et de révolutions avec la capitale à l’élément générique. Des journaux et périodiques font de même. Tous ces rédacteurs maîtrisent la langue française, et les graphies qu’ils choisissent ont un poids certain. Après tout, ce sont des spécialistes.

Voici ce que je propose :

  1. Le mot révolution prend toujours la majuscule initiale, qu’il soit suivi par un substantif ou par un adjectif. Le substantif figurant dans l’élément déterminatif prend aussi la majuscule initiale.

    Exemples : la Révolution américaine; la Révolution d’Octobre; la Révolution des Œillets.

  2. Même règle pour les noms de guerres et de batailles. Il n’y a pas de trait d’union dans l’élément déterminatif.

    Exemples : la Guerre froide; la Guerre de Cent Ans; la Guerre de Sécession; la Première Guerre mondiale; la Bataille d’Angleterre; le Débarquement de Normandie.

  3. Les noms d’évènements ou de périodes historiques composés d’un seul mot commencent par une capitale.

    Exemples : la Détente; l’Inquisition; l’Antiquité.

  4. Les noms d’évènements ou de périodes historiques qui s’écrivent en plusieurs mots commencent toujours par une majuscule, tout comme le substantif de l’élément déterminatif. Là encore, pas de trait d’union.

    Exemples : la Querelle des Investitures; le Printemps de Pékin; l’Âge du Bronze; le Moyen Âge.

  5. Les noms de régimes politiques commencent par une majuscule.

    Exemples : la République centrafricaine; la République fédérative du Brésil; le Royaume de Suède; l’Empire ottoman; l’Empire des Indes; l’État d’Israël; l’Union de Birmanie.

Pour ce qui est des noms de ministères, il me semblerait plus logique de mettre également la capitale à l’élément générique. Toutefois, une graphie comme Ministère des Affaires étrangères devrait d’abord être reconnue officiellement, avant de pouvoir être utilisée dans les documents fédéraux.

Les règles proposées ont l’avantage d’être claires et uniformes. Elles éliminent le flottement qui existe quant à l’utilisation des majuscules ainsi que certaines incohérences qui figurent dans les guides de typographie (p. ex. l’Antiquité, mais la détente).

Il ne nous reste plus maintenant qu’à employer ces nouvelles graphies, parce que c’est ainsi que l’usage se définit.

Notes et références

  • Retour à la note1 Louis Guéry, Dictionnaire des règles typographiques, Victoires Éditions, 4e éd., 2010, p. 107.
  • Retour à la note2 Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale, Paris, 2011.