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Conflit d’horaire, conflit de vocabulaire

Jacques Desrosiers
(L’Actualité langagière, volume 4, numéro 2, 2007, page 31)

Q. L’expression « conflit d’horaires » est-elle un anglicisme ou un calque?

R. Elle en a tout l’air à première vue. On entr’aperçoit une grosse anguille cachée dessous : « conflicting schedules ». En plus l’expression est rarement utilisée en Europe. Ce n’est pas parce que les Européens gèrent mieux leur emploi du temps; mais ils décrivent la même situation avec d’autres mots.

Chez nous, elle fait partie de l’usage quotidien. Le 2 avril dernier, le journal La Presse consacrait un grand dossier aux « conflits d’horaire » que cause aux Espagnols la conciliation travail-famille. Elle est courante dans le sport : un match qui devait avoir lieu à Toronto mais qui a été déplacé en raison d’un conflit d’horaire avec une course automobile de série Champ (Le Soleil, 04.03.2007). On la rencontre dans des textes importants de nature administrative, comme le Règlement de l’Assemblée nationale du Québec : une priorité est créée afin qu’en cas de conflit d’horaire, une commission se réunissant pour un mandat d’imputabilité1 Elle est bien sûr répandue dans le milieu scolaire : L’élève doit se présenter au bureau de tout éducateur ou responsable qui lui adresse une convocation. En cas de conflit d’horaire, il lui incombe de prendre, avant l’heure de la convocation, un autre rendez-vous, lit-on sur le site d’une école secondaire.

Tellement répandue ici, et si rare là-bas, qu’elle a presque le statut d’un régionalisme. Le terme n’est pas pour autant consacré dans nos banques de données. Une seule occurrence, relevée dans le domaine informatique, datée de 1987 et proposée comme traduction de meeting date conflict, dans le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Mais si le terme ne fait pas problème, pourquoi en effet en parler?

Pourtant, pour diverses raisons, ses chances de s’installer dans le français international sont minces. C’est que l’écart entre l’usage québécois et l’usage français, comme je l’ai dit, est prononcé. Rien ne l’illustre mieux que le désarroi du correspondant de la Presse canadienne à Paris l’hiver dernier, lorsque le premier ministre du Québec, Jean Charest, a été reçu par le ministre Sarkozy, qui était alors candidat à l’élection présidentielle, alors qu’aucune rencontre n’avait été prévue avec la candidate socialiste, Ségolène Royal. La raison? Un « conflit d’horaires », a expliqué le journaliste dans une dépêche du 1er février. Il est évident qu’il devait cette explication à l’entourage de Jean Charest, comme le confirmaient d’autres articles des quotidiens québécois. Le correspondant de La Presse citait le premier ministre lui-même : « Nous n’avons pas pu résoudre des conflits d’horaires », a expliqué M. Charest.

Tandis que du côté français il n’était pas question d’« horaire ». L’AFP a expliqué que Ségolène Royal n’a pu rencontrer pour des raisons « d’agenda » le premier ministre du Québec (avec les guillemets). Le même terme réapparaissait dans une dépêche de l’AP : La rencontre n’a pu avoir lieu pour des raisons « d’incompatibilité d’agenda », selon l’entourage de la candidate socialiste (avec les guillemets). On devinait d’ailleurs à travers les commentaires du correspondant du Devoir que l’entourage de Ségolène Royal employait un vocabulaire différent : Au bureau de Ségolène Royal, on a prétexté un « déplacement » rendant impossible de trouver un moment propice durant les trois jours que Jean Charest passera à Paris.

Ceux qui ont suivi cette affaire se doutent qu’il y avait d’autres raisons derrière la rencontre manquée. Aussi était-il suprêmement important de bien peser les mots. C’est pourquoi le lendemain, 2 février, se rendant compte qu’à ce conflit se superposait un conflit de vocabulaire et ne sachant plus à quel saint se vouer, le correspondant de la PC, conscient du poids des mots, baissait les bras et s’en remettait dans une nouvelle dépêche au verbatim :

M. Charest ne verra pas Mme Royal, en raison de ce qui a été présenté comme un « conflit d’horaires » côté québécois, et une « incompatibilité d’agendas » dans l’entourage de la candidate socialiste.

S’il ne voulait pas se mouiller, il aurait pu aussi trouver un moyen terme. Ainsi à la radio de Radio-Canada, on entendait le correspondant rapporter que Monsieur Charest ne verra pas Ségolène Royal, qui est à l’extérieur de Paris pour les prochains jours. Ce n’était pas sorcier. Ne suffit-il pas souvent d’oublier les expressions toutes faites et d’expliquer ce qui se passe avec des mots simples?

C’est ce que font souvent les Européens en cas d’imprévus dans leurs activités. S’ils n’emploient que rarement « conflit d’horaire » ce n’est pas qu’ils ont adopté « incompatibilité d’agendas », qui est un peu riche en syllabes pour entrer dans l’usage courant. Les termes agenda et emploi du temps sont ceux qui reviennent le plus souvent dans ces contextes. Un exemple récent, dans L’Équipe (27.01.2007) : Je souhaite qu’il reste, même si son emploi du temps fera qu’il sera un peu moins présent. Voici d’autres variations glanées dans la presse européenne :

  • il ne pouvait pas être présent à cause d’un agenda trop chargé
  • son emploi du temps l’empêchera d’être là
  • la nouvelle date ne convenait pas à son emploi du temps
  • pour cause d’agenda surchargé
  • pour cause d’emploi du temps saturé
  • pour des raisons d’emploi du temps

Rencontre rare de conflit et emploi du temps dans un document d’une université de Bretagne :

Si on peut supposer que l’enseignant s’apercevra à temps d’un conflit dans son emploi du temps et qu’il le signalera aux directeurs des études concernés2

Nous employons nous aussi ces termes à l’occasion. Mais quand les Européens se détournent d’emploi du temps et agenda, ce n’est pas, sauf exception, pour se rabattre sur horaire. Ils recourent alors à des tournures variées : on n’est pas disponible, on a un autre rendez-vous, on a un empêchement, on ne peut pas être présent, et ainsi de suite. J’ai lu quelque part : Manque de chance : le ministre de la Défense avait justement un rendez-vous. On finit par se dire que c’est le mot horaire qui est la source du problème.

Mais il ne faudrait pas crier à l’impropriété trop vite. Parce que c’est plus une question d’usage que de sens. Certes on abuse du terme. Si, samedi prochain, j’ai un rendez-vous important et qu’à la même heure il y a un spectacle que je veux voir à tout prix, est-ce que j’ai un conflit d’horaire? Encore faudrait-il que j’aie un « horaire » pour la journée de samedi. Il reste que certains dictionnaires – dont le vieux Grand Larousse de la langue française – reconnaissent à horaire le sens d’« emploi du temps en général ». On peut avoir « un horaire chargé ». On peut donc aussi avoir un conflit dans son horaire et, pourquoi pas, un conflit d’horaire. Mais voilà : ce n’est pas là le sens courant du mot horaire dans l’usage européen. Comme le rappelle Meney dans le Dictionnaire québécois français, le mot se rapporte presque toujours, en français standard, à une répartition régulière des activités, à ce qui se fait d’heure en heure, comme l’horaire des cours ou des autobus. C’est d’ailleurs le seul sens que consigne le Petit Robert.

Il en coulera de l’eau sous les ponts avant que les Européens soient prêts à dissocier horaire de cette idée d’une activité régulière. Qui sait si dans leur esprit le mot n’a pas une nuance dépréciative – un président a-t-il un horaire, comme un autobus? Inversement, c’est sans doute rêver en couleurs que de demander aux locuteurs d’ici de remplacer cette expression si commode et si répandue par une palette de formulations diverses, qu’il faudrait faire l’effort chaque fois d’adapter aux circonstances. J’ai donc le sentiment que l’expression est là pour rester mais que, contrairement à monsieur Charest, elle ne voyagera pas beaucoup.

NOTES