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Juridictionnaire

abus de droit

  1. À l’origine, soit à la fin du XIXe siècle, la jurisprudence, inspirée par la doctrine, élabore la notion juridique de l’abus de droit. L’abus de droit entre dans l’histoire de la pensée juridique au début du XXe siècle, même si l’idée était plus ancienne. « Le développement pris par la doctrine de l’abus de droit, écrit Josserand, est le triomphe de la technique juridique. »

    Avec le temps et son influence grandissant, elle devient théorie : les auteurs parlent de la théorie classique de l’abus de droit. Lorsque la loi l’adopte enfin dans plusieurs matières, la théorie devient principe général, naturellement, puisque les règles de droit qu’énonce le législateur ne sont pas des théories, mais des principes : principe de l’abus de droit.

    L’article 7 du Code civil du Québec codifie en ces termes la théorie de l’abus de droit et en fait ainsi un principe d’application générale : « Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi. »

  2. « Tout droit poussé trop loin, disait Voltaire, conduit à une injustice. » Aussi peut-on dire qu’il y a abus de droit chaque fois que l’exercice d’un droit subjectif reconnu, que l’accomplissement d’une prérogative inhérente à ce droit, que l’acte découlant de ce droit, que l’usage qu’en fait le titulaire ou que la conduite manifestée dans l’exercice de ce droit présente un caractère malveillant, excessif ou abusif.

    Par conséquent, commet un abus de droit quiconque outrepasse les limites de son droit, soit du fait de sa mauvaise foi ou de son intention de nuire, soit par suite de l’exercice anormal, maladroit ou insouciant de son droit, et, ce faisant, cause un dommage ou un préjudice à autrui. Abus de droit déguisé, flagrant, grave, manifesté, présumé, véritable.

    L’abus de droit peut résulter d’une action ou d’une abstention. Quoi qu’il en soit, ce qui constitue l’abus de droit est le dépassement des limites d’un droit d’agir ou de s’abstenir, lequel cause un dommage ou un préjudice en raison d’une conduite répréhensible eu égard à la portée légale de ce droit.

    Éléments, critères de l’abus de droit. Divers critères permettent d’établir l’existence d’un abus de droit : par exemple, du point de vue de l’auteur de l’abus, à savoir de l’abuseur, l’intention de nuire à autrui – malveillance causant un tort –, l’absence de profit ou d’intérêt personnels à abuser de ce droit, et, du point de vue de la victime, le dommage ou le préjudice que lui cause l’exercice abusif du droit reconnu mais mésusé.

  3. On dit abus de droit pour désigner le principe dans sa généralité abstraite, abus du droit pour désigner la spécificité de l’abus d’un droit en particulier et, en pareil cas, pour désigner la pluralité de droits dont l’exercice est abusif, abus de droits. Cas, situations d’abus de droits. Perpétuer des abus de droits.
  4. Les types ou les formes d’abus de droit sont nombreux selon le domaine considéré.

    Dans le droit du travail, l’abus du droit de licenciement ou de congédiement consiste pour l’employeur à prendre appui déraisonnablement et de mauvaise foi sur son droit de licenciement pour l’exercer abusivement et justifier le renvoi. Abus du droit de grève.

    Dans le droit des biens en matière d’exécution, constitue un abus du droit de saisie le fait pour le créancier de faire exécuter déraisonnablement une saisie. Abus du droit d’exécution forcée.

    Le propriétaire foncier qui fait valoir de mauvaise foi son droit de propriété et qui crée des nuisances ou gêne ses voisins dans une intention malveillante ou qui leur cause un préjudice inacceptable par son insouciance commet un abus du droit de propriété. « Il ne peut y avoir abus de droit que si le propriétaire exécute chez lui, sans aucun profit pour lui-même, un acte qui apporte un trouble au propriétaire du fonds voisin restant dans les limites de sa propriété. »

    En droit judiciaire, le plaideur qui intente une action frivole ou vexatoire, qui multiplie inutilement les mesures dilatoires et les dénonciations téméraires afin de nuire à autrui ou pour assouvir un besoin de vengeance personnelle est coupable d’abus du droit d’agir en justice ou d’un abus de procédures. Abus du droit d’ester (en justice).

    Dans le droit de la famille, les parents qui usent illégitimement de leur droit de corriger leur enfant se rendent coupables d’un abus du droit parental de correction.

    L’abus de droit contractuel se produit dans les cas de résiliation sans préavis, anticipée ou intempestive fautive de contrat, d’exercice abusif de garanties, de rupture injustifiée de pourparlers animée par une intention de nuire et opérée de mauvaise foi ou avec une insouciance répréhensible ou de clauses abusives. Résiliation constitutive d’un abus de droit. Création de l’abus de droit. « Il y a abus de droit lorsqu’une partie agit dans son seul intérêt en vue de retirer un avantage disproportionné par rapport aux inconvénients que, ce faisant, il fait subir à son débiteur. C’est donc le choix, sans avantage marquant, de la voie la plus préjudiciable à l’autre partie qui crée l’abus. »

    Constitue un abus de droit fiscal toute opération d’un contribuable visant à éluder tout ou partie de ses obligations fiscales, tel le cas où il recourt à des montages ou à des combinaisons juridiques à seule fin d’échapper, même indirectement, à l’impôt. Abus de droit en matière fiscale. Abus de droit fiscal. Masquer, démasquer tout abus de droit fiscal. Se prémunir, lutter contre l’abus de droit fiscal. « Les montages fiscaux comportant l’utilisation de crédits ou de réductions d’impôt pourront désormais être dûment contestés comme principal outil de lutte contre l’abus de droit en matière fiscale. » Menace de l’abus de droit fiscal. « Le fisc brandit souvent la menace de l’abus de droit fiscal pour transiger l’acceptation de redressements. » « En matière fiscale, l’abus de droit est un acte juridique, ou une convention, dont le but est exclusivement fiscal, et dont le seul objet est d’éluder ou de transférer artificiellement l’impôt. » Abus de droit par simulation, abus de droit par fraude à la loi.

    Les domaines de mise en oeuvre de la théorie de l’abus de droit ont envahi le droit positif entier et la notion se trouve aussi, notamment, en droit international public, en droit constitutionnel, dans le droit des sociétés, dans le droit des affaires, dans le droit des banques, dans le droit d’auteur et en droit communautaire.

  5. Le principe de l’abus de droit est reconnu tant par tous les systèmes juridiques de droit civil que par la common law ("abuse of rights"), bien que la notion elle-même d’abus de droit ne tire pas son origine de principes élaborés par la common law. Sous ces régimes de droit, le titulaire d’un droit ou le propriétaire d’un bien ne peut exercer son droit ni user de son bien que de façon légale, raisonnable, normale et non abusive.

    Il abuse de son droit et, engageant sa responsabilité à l’égard des tiers du fait de sa titularisation, il peut être condamné de ce fait à réparer le dommage ou le préjudice qu’il cause par suite de l’exercice abusif reconnu ou prouvé de son droit. « Le titulaire d’un droit (qu’il faut supposer non contesté) engage sa responsabilité civile s’il cause un préjudice à un tiers en exerçant abusivement un droit. » « Un individu, lors même qu’il est reconnu titulaire incontesté d’un droit, se met néanmoins dans son tort, s’il use de son droit d’une façon abusive. »

    L’application du principe de l’abus de droit permet au législateur de circonscrire la portée de l’exercice des droits qu’il consent à accorder, qu’il reconnaît ou qu’il garantit.

  6. L’abus de droit expose l’auteur de l’abus à des sanctions civiles. Ce dernier devra soit cesser ou amender sa conduite, soit réparer le tort qu’il a causé en indemnisant la victime de l’abus, entre autres en lui versant des dommages-intérêts. Alléguer, invoquer, faire valoir un abus de droit. Être susceptible d’un abus de droit. Commettre un abus de droit. Se placer sur le terrain de l’abus de droit. Établir, prouver l’abus de droit. Reconnaître l’existence d’un abus de droit. Motiver l’abus de droit invoqué. Recours en cas d’abus de droit. Sanctionner un abus de droit. Réparation pour cause d’abus de droit. Demande de réparation pour abus de droit. Interdiction, prohibition de l’abus de droit. Abus de droit donnant ouverture à réparation.
  7. Qu’il soit malveillant ou qu’il découle de l’insouciance, l’abus de droit est susceptible d’entraîner des conséquences, qui seront de nature individuelle (sur le voisin, en matière d’inconvénients anormaux de voisinage, sur des tiers), économique (les victimes subissent un désavantage financier) ou sociale (le propriétaire use de son droit de façon incompatible avec la destination sociale de ce droit).
  8. Il ne faut pas confondre les cas où il y a abus de droit (l’auteur du dommage est resté dans les limites de son droit) et ceux où il y a défaut de droit (l’auteur du dommage est sorti des limites de son droit).

    Autrement dit, l’abus de droit n’existe et ne peut être invoqué que si un droit est reconnu. On parle de l’abus de droit de propriété ou de l’abus du droit d’ester en justice parce que le droit existe et est reconnu. Il ne peut y avoir [abus de droit en matière de diffamation] puisque la diffamation n’est pas un droit, mais un défaut de droit. « Lorsque, par une déclaration, un préjudice est causé à autrui, il ne s’agit pas d’un abus de droit à la liberté d’expression, mais d’un défaut de droit. »

    S’agissant d’abus de droit, la responsabilité civile doit être engagée dans l’exercice excessif et déraisonnable d’un droit subjectif.