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Problèmes de syntaxe

Jacques Desrosiers
(L’Actualité langagière, volume 9, numéro 1, 2012, page 24)

Q. Est-ce que j’ai eu raison de corriger la locution prépositive afin de dans la traduction qui suit?

La phrase en langue de départ
The Project Charter establishes the parameters to support the planning and execution of the project.

La traduction
La charte de projet établit les paramètres afin de soutenir la planification et l’exécution du projet.

Ma révision
La charte de projet établit les paramètres qui soutiendront la planification et l’exécution du projet.

R. Je suis d’accord avec vous. La structure de la phrase, si l’on veut être fidèle à l’anglais, n’est pas :

la charte établit les paramètres (afin de soutenir la planification)

mais bien :

la charte établit (les paramètres qui soutiendront la planification)

Sinon l’anglais aurait dit : The Project Charter establishes the parameters in order to support the planning. Et alors on se demanderait ce que pourraient bien être ces paramètres. To support the planning renvoie à parameters. Ce sont les paramètres qui soutiennent, et non la charte.

Exemple semblable, où l’on sent peut-être mieux le manque d’étoffement : L’entente fixe les conditions afin de libérer les détenus. L’entente ne fixe pas les conditions dans le but de libérer les détenus (ce qui n’aurait guère de sens). Elle fixe les conditions en vertu desquelles seront libérés les détenus.

La règle à retenir est qu’afin de introduit presque toujours un infinitif dont le sujet est le même que celui du verbe principal. Ce qui n’est pas le cas ici.

Demander de

Q. Je vous relaie telle quelle la question suivante que m’a posée mon client : L’autre jour un journaliste de Radio-Canada a dit : « L’avocat a demandé de reporter la date d’audition. » Vu que c’est le tribunal qui reportera et non l’avocat, est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt dire : « L’avocat a demandé le report »?

R. Votre client n’a pas entièrement tort : la phrase aurait gagné à être coulée dans une langue plus claire et plus soutenue. Mais il n’a pas entièrement raison non plus.

Pour la clarté, il est en général préférable que demander ait tous ses compléments : on demande à qqn de faire qqch. Donc : L’avocat a demandé au tribunal de reporter la date d’audition. La plupart du temps dans cette construction, contrairement au cas d’afin de, le verbe principal et l’infinitif n’ont pas le même sujet : Elle m’a demandé d’apporter une bouteille de vin.

Mais tant que le sens demeure limpide, il n’est pas interdit d’omettre le complément. Elle a demandé d’apporter une bouteille de vin. Il doit toutefois être évident que la demande a été faite à tous les invités. Le journaliste aurait dû songer que sa phrase n’était peut-être pas claire pour tous les auditeurs.

Le risque de confusion est d’autant plus réel que le français admet cette construction même quand le verbe principal et l’infinitif ont le même sujet. Tournure moins courante, mais légitime. Elle agace des grammairiens parce qu’elle peut aboutir, comme le signale André Goosse, à des « confusions fâcheuses1 ». Il donne l’exemple : Vous avez demandé à Tien de voir le dictateur.

Un enfant qui veut aller voir un film peut bien dire : J’ai demandé à ma mère d’aller au cinéma (à moins qu’il veuille que sa mère sorte de la maison). Et là aussi, le complément peut être omis. J’ai demandé d’aller au cinéma. Il a demandé d’être enterré debout.

On voit comment des phrases dont la structure est différente finissent par avoir une ressemblance trompeuse : J’ai demandé d’aller au cinéma, L’avocat a demandé de reporter la date d’audition. Raison de plus d’omettre le complément seulement si l’on respecte cette condition sine qua non : que le sens soit parfaitement clair.

Assortir

Q. J’ai remarqué récemment dans des traductions un emploi qui m’apparaît un peu inhabituel, celui du verbe assortir dans des phrases du type : « les conditions assortissant la peine ».

Mes vérifications dans le Robert et le Juridictionnaire m’incitent à douter fortement de cette tournure. Ainsi, on peut « assortir une peine de conditions ». À mon sens, il faudrait donc plutôt dire : les conditions dont la peine est assortie.

Mais peut-être suis-je dans l’erreur car on trouve quelques exemples de cet emploi dans des sites français.

R. Cette tournure cherche peut-être à s’installer dans l’usage, mais je la trouve difficilement acceptable. En principe, sauf dans le style littéraire, assortir a un sujet animé : qqn assortit qqch.

Il peut avoir un nom de chose comme sujet à la forme pronominale (qqch. s’assortit avec qqch.) ou devant le participe passé, notamment dans le tour : qqch. est assorti de qqch. Une peine assortie de conditions, une étude assortie d’exemples. Mais il y a toujours un sujet animé de sous-entendu : quelqu’un a assorti la peine et l’étude de conditions et d’exemples.

J’ai l’impression que c’est à partir de peine assortie de conditions qu’on écrit conditions assortissant la peine. On le fait sans doute par imitation de phrases comme Le mur est tapissé d’affiches, que l’on peut retourner pour obtenir Des affiches tapissent le mur. Mais si on peut passer de l’une à l’autre, c’est que la construction qqch. tapisse qqch. existe déjà en français. Ce qui n’est pas le cas de qqch. assortit qqch.

On ne peut invoquer le principe que peine assortie de conditions est un passif qu’on a donc automatiquement le droit de mettre à l’actif.

De nos jours, c’est par qui le plus souvent introduit le complément d’agent, caractéristique du passif. Dans la souris est mangée par le chat, c’est le chat. Il est l’agent de l’action et devient sujet à l’actif : le chat mange la souris.

Il y a encore des verbes qui au passif introduisent comme jadis le complément d’agent avec de (estimée de ses collègues, entouré de murs). La distribution de par et de dans l’emploi du passif est une question épineuse. Comme le rappelle Hervé-D. Béchade, elle « constitue une grosse difficulté de la langue française et un problème qui divise les grammairiens2 ».

Mais en dehors de cas assez bien circonscrits, de introduit plutôt un complément adverbial qui indique la manière ou le résultat de l’action, et dont la valeur – dans des tours comme tapissé de, assorti de – est proche de celle d’un adjectif3. Affiches, conditions ne sont pas de véritables agents de l’action exprimée par le verbe.

On le voit bien dans les phrases à deux compléments, l’un introduit par par, l’autre par de. C’est toujours par qui introduit le complément d’agent. Prenons :

Le mur avait été tapissé d’affiches par les manifestants

La peine a été assortie de trois conditions par le juge

La forme active est celle qui fait remonter le complément d’agent en position de sujet :

Les manifestants avaient tapissé le mur d’affiches

Le juge a assorti la peine de trois conditions

et non :

Des affiches tapissaient le mur par les manifestants

Trois conditions ont assorti la peine par le juge

Bien sûr, quand le complément d’agent (les manifestants) n’est pas exprimé, l’autre complément (affiches) peut venir occuper la place du sujet. Mais à condition que la langue autorise déjà la construction qui en résulte. C’est une erreur de penser que toutes les constructions formées sur ce modèle sont des passifs qu’on peut renverser à l’actif à sa guise.

Notes

  • Retour à la note1 Le bon usage, 14e éd., De Boeck-Duculot, 2008, § 908 a 6°.
  • Retour à la note2 Syntaxe du français moderne et contemporain, 2e éd., Presses Universitaires de France, 1989, p. 26.
  • Retour à la note3 Je suis sur ce point le Bon usage, § 319 a 2°, et la Grammaire méthodique du français, 3e éd., Presses Universitaires de France, 1994, p. 436-437.