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Quand on ignore impunément une mesure drastique

Martine Racette
(L’Actualité terminologique, volume 30, numéro 1, 1997, page 21)

Des mesures drastiques s’imposaient, elle le savait. L’ignorer, c’était courir à sa perte. Sa seule alternative était d’agir au plus vite : s’enquérir du prix de la marchandise sur le marché domestique, finaliserª le protocole d’entente bidon, le faxerb, empocher l’argent. L’impact de son geste au plan dec la sécurité? Difficile à prévoir…, mais il y aurait possiblement de la casse.

La tension monte, on le sent. Suspendu à la plume de l’auteur, le lecteur fébrile est tenu en haleine jusqu’au dénouement de l’intrigue. Sauf s’il est un langagier bien né, élevé dans les bonnes manières et instruit à la bonne école. Il est soufflé, mais pas pour les mêmes raisons. Ébranlé dans ses plus profondes convictions, il voit s’écrouler le temple des certitudes qu’il avait érigé au fil de ses longues années de métier. Dépossédé, dégoûté, il lui faudra se rendre à l’évidence : de nos jours, plus rien n’est sacré.

En matière de langue, à tout le moins. Mais qui a dit que la langue devait être une entité figée vouée au culte d’adorateurs scrupuleux? Le français serait mort s’il ne s’était pas développé au contact d’autres langues. Certes, les « assauts » de l’extérieur ont toujours suscité des levées de boucliers : en pleine Renaissance, paraît-il, nos ancêtres se seraient battus jusqu’au dernier pour contrer l’influence insidieuse de l’italien sur la langue du roi (Hagège, 1987 : 17)1. En cette fin de siècle, c’est le « péril » anglicisant qui fait monter aux barricades les ardents défenseurs de la pureté du français.

Ce qui n’empêche pas le temps de passer, et avec lui bien des interdits. Or il est difficile, lorsqu’on a les yeux rivés à l’écran de son quotidien, de voir défiler les nouveautés dans le ciel de l’usage. Prenons par exemple les mots figurant en gras au début du présent article. Tous ceux et celles « qui sont tombés dedans étant petits » n’oseraient jamais les utiliser dans le sens qu’on leur prête ici, surtout s’ils s’en remettent encore à des sources qui commencent à vieillir ou qui, sous le couvert d’une reliure dernier cri, jouent les nouveautés sans vraiment en être.

Mais un bref coup d’œil dans les éditions récentes des grands dictionnaires nous renseigne sur l’élargissement du champ sémantique des mots à l’étude. Nous constatons que, même si certains auteurs s’y opposent, on n’arrête pas le progrès. Il sera intéressant de voir, dans les éditions à venir, si leurs hésitations se seront dissipées. Irène de Buisseret, qui considérait l’usage comme le vrai maître des langagiers, ne disait-elle pas fort justement, au sujet d’« ex-barbarismes » dont elle traite dans son ouvrage (1975 : 37)2 : « Ces anciens ennemis, et des centaines d’autres, voués jadis à notre exécration et contre lesquels on nous lançait avec des cris meurtriers, sont amis aujourd’hui […]. À quoi bon alors ces escarmouches d’arrière-garde contre un adversaire intégré, assimilé, embourgeoisé et dont l’apport à la société est universellement – ou peu s’en faut – reconnu? »

Cela dit, le langagier d’expérience sait bien que l’emploi de termes naguère condamnés mais aujourd’hui passés dans l’usage peut quand même s’avérer délicat selon le texte à rédiger, ou être considéré comme une trop grande hardiesse par certains. À lui, chaque fois, de juger de l’effet probable sur ses lecteurs…

Suit un petit tour d’horizon des ouvrages les plus souvent consultés.

Nota

  • Pour Jean Darbelnet (1986 : 94)3, il ne semble pas justifié de s’opposer à l’emploi de finaliser, qu’il juge bien formé.
  • La revue Circuit (organe d’information de l’Ordre des traducteurs et interprètes agréés du Québec) a publié un article intéressant sur fax et faxer dans son numéro de juin 1994. Enun mot, ces termes y sont donnés comme corrects et forts utiles.
  • La locution au plan de était déjà admise dans la langue courante, en 1982, dans le Dictionnaire des difficultés du français de J.-P. Collin (Paris, Les Usuels du Robert).

Mot à l’étude COLPA4
1994
PEROB5
1993
LAROI6
1997
HANFR7
1994
Drastique, dans le sens de « draconien » Rejeté Admis sans réserve Admis Admis sans réserve
Alternative, dans le sens de « solution de rechange » Rejeté Recensé, avec la mention « emploi critiqué » Recensé, avec la mention « emploi critiqué » Usage constaté mais non admis. Une alternative à qqch. y est cependant admis
Ignorer,
dans le sens de « ne pas tenir compte de »
Rejeté Admis sans réserve Admis sans réserve Admis sans réserve
Domestique,
dans le sens de  « national intérieur »
Rejeté Recensé avec la mention « anglicisme » Non traité Non traité
Finaliser,
dans le sens de « mettre la dernière main à »
Rejeté Recensé avec la mention « calque de l’anglais » Admis sans réserve Non traité
Faxer,
dans le sens de « télécopier »
Non traité, mais « fax » y est rejeté au sens de « télécopieur » Admis; le verbe « télécopier » est absent Admis; le verbe « télécopier » n’est pas traité Non traité
Impact,
dans le sens de « effet produit sur qqn ou sur qqch. »
Non traité Admis, avec la mention « emploi critiqué » Admis sans réserve Admis (à regret!)
Au plan de,
dans le sens de « sur le plan de »
Non traité Non traité Admis sans réserve Recensé, avec la mention « critiqué »
Possiblement, dans le sens de « vraisemblablement, peut-être » Rejeté Admis, avec la mention « régionalisme (Québec, peu utilisé en France) » Admis, avec la mention « littéraire » Non traité

Mot à l’étude VIMUF8
1994
GRALU9
1995
TLFRA10
1971
Drastique, dans le sens de « draconien » Rejeté Admis Admis sans réserve
Alternative, dans le sens de « solution de rechange » Rejeté Non traité Rejeté
Ignorer,
dans le sens de « ne pas tenir compte de »
Non traité Admis sans réserve Admis sans réserve
Domestique,
dans le sens de  « national intérieur »
Rejeté Admis sans réserve Admis sans réserve
Finaliser,
dans le sens de « mettre la dernière main à »
Admis sans réserve Admis sans réserve Non traité
Faxer,
dans le sens de « télécopier »
Rejeté Non traité Non traité
Impact,
dans le sens de « effet produit sur qqn ou sur qqch. »
Admis sans réserve Admis sans réserve Admis sans réserve
Au plan de,
dans le sens de « sur le plan de »
Considéré comme critiqué mais de plus en plus courant Non traité Recensé, avec la mention « doublement fautive selon R. le Bidois »
Possiblement, dans le sens de « vraisembla- blement, peut-être » Admis sans réserve Admis, avec la mention « au Canada et en langue littéraire » Recensé dans les remarques à possible avec la mention « rare »

Références

  • Retour à la note1 Hagège, Claude. Le français et les siècles, Paris, Éditions Odile Jacob, 1987.
  • Retour à la note2 Buisseret, Irène de. Deux langues, six idiomes, Ottawa, Carlton-Green, 1975.
  • Retour à la note3 Darbelnet, Jean. Dictionnaire des particularités de l’usage, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1986.
  • Retour à la note4 Forest, Constance et Forest, Louis. Le Colpron, Le nouveau dictionnaire des anglicismes, Laval (Québec), Beauchemin, 1994.
  • Retour à la note5 Le nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, Le Robert, 1993.
  • Retour à la note6 Le Petit Larousse illustré 1997, Paris, Larousse, 1996.
  • Retour à la note7 Hanse, Joseph. Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, 3e édition, Louvain-la-Neuve, Éditions DeBoeck-Duculot, 1994.
  • Retour à la note8 Villers, Marie-Éva de. Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Montréal, Québec/Amérique, 1994.
  • Retour à la note9 Le Grand Larousse universel, Paris, Larousse, 1995.
  • Retour à la note10 Trésor de la langue française, Paris, C.N.R.S. Gallimard, 1971-1995, 16 volumes.