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Le COSLA, une occasion rêvée de simplifier le langage administratif

Camille Langlois
(L’Actualité terminologique, volume 35, numéro 2, 2002, page 5)

Alors qu’hier encore, bien peu de gens maniaient la plume ou le clavier, tout un chacun désormais se met à écrire. Pourquoi? me direz-vous. Parce que c’est, dans bien des cas, la façon la plus efficace et, ma foi, la plus facile de communiquer. Vous souriez? Laissez-moi continuer.

Les écrits restent : il faut les soigner

Loin de disparaître, l’écrit prend de plus en plus de place. Il n’y a pas si longtemps, dans nos écoles, on négligeait l’enseignement de la grammaire et de l’orthographe au profit du développement de l’expression orale. On a même déjà cru que le téléphone et la télévision allaient supplanter le crayon et la machine à écrire. Or, l’ordinateur et surtout Internet ont vigoureusement contribué à renverser totalement cette tendance. Dans leur vie privée comme au travail, des gens qui n’auraient écrit que de temps en temps se voient maintenant appelés à le faire tous les jours. À la maison comme au travail, le courrier électronique est, par exemple, souvent privilégié au détriment de la boîte vocale parce qu’il laisse des traces faciles à classer et à repérer. Et aussi parce que ce qu’on écrit a encore plus de poids que ce qu’on dit.

On lit et on écrit comme jamais

Donc, contrairement à ce qu’on aurait cru il n’y a pas si longtemps, une partie importante de la communication à l’aube du 21e siècle continuera de se faire largement par écrit. Dans notre pays, le plus branché du monde dit-on, le gouvernement s’est engagé à développer la communication en ligne avec la population. Il a lancé un ambitieux programme, le Gouvernement en direct, qui permettra à tous les Canadiens de recevoir les services de l’État fédéral par Internet. C’est également ce qu’envisagent bon nombre d’autres administrations publiques. Dans notre système politique à plusieurs paliers, on en vient même à souhaiter d’offrir à la population un seul portail regroupant tous les services aux citoyens, qu’ils soient de compétence municipale, provinciale, territoriale ou fédérale. Comme jamais auparavant, des agents de tous les niveaux hiérarchiques auront à s’adresser à la population par écrit.

Pour travailler, il faut de bons outils

Ces agents sont-ils outillés pour rédiger de façon à être bien compris? Je pense surtout aux générations qui ont appris à l’école que la communication écrite était en déclin. Le français est-il adapté aux réalités modernes? Sommes-nous la seule société à avoir ce genre de problème? Au Canada, plusieurs ministères fédéraux ont publié des guides bilingues à l’intention des rédacteurs : comment formuler un raisonnement, écrire dans une langue simple, etc. Les administrations municipales, les gouvernements provinciaux et les sociétés d’État se sont penchés chacun leur tour sur ces questions. Toutefois, aucune instance faisant autorité ne s’est encore attaquée de front aux diverses conventions séculaires du langage administratif, langage souvent empreint de tournures surprenantes, voire incompréhensibles pour le commun des mortels.

Un langage clair, ça simplifie la vie!

Cette année, le gouvernement français a pris le taureau par les cornes en lançant une initiative audacieuse1. Quand elle aura porté ses fruits, elle transformera de façon radicale le langage administratif, ou, si vous voulez, le français qu’on utilise dans la correspondance officielle. « Entre l’administration et les usagers, plus de termes obscurs ni de phrases compliquées » ont déclaré, le 5 mars 2002, Michel Sapin, ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’État, et Catherine Tasca, ministre de la Culture et de la Communication. Le gouvernement français, ayant constaté que « le langage administratif était souvent complexe, trop technique, trop juridique », a constitué le Comité d’orientation pour la simplification du langage administratif (COSLA). Ce comité vient de diffuser à 10 000 fonctionnaires français qui rédigent des courriers à l’intention des usagers un bagage, nous dirions chez nous une trousse, qui a pour but de les aider à écrire de façon plus simple et plus claire afin d’être plus facilement compris de leurs interlocuteurs.

En quoi consiste cette trousse? En trois outils pratiques : un guide de rédaction administrative, un lexique des 2 000 principaux termes et expressions du jargon administratif, réalisé par les Dictionnaires Le Robert, et un logiciel d’aide à la rédaction administrative (LARA) alliant les règles du guide et les données du lexique. L’originalité de cette initiative, c’est qu’elle a la caution de représentants des administrés, des fonctionnaires, de linguistes et d’amoureux de la langue prestigieux, dont Alain Rey et Bernard Pivot, pour n’en nommer que deux. Il n’en faut pas moins pour faire évoluer les choses en français, car, en matière de langue, les traditions même les plus discutables se trouvent des défenseurs.

Un grand ménage…

Tous nos manuels de rédaction administrative française des deux côtés de l’Atlantique sont remplis de clichés démodés qui font sourire dès qu’on les prend au pied de la lettre : les « J’ai l’honneur de vous faire part », « Vous trouverez sous pli » ou autres « Veuillez agréer », par exemple. Ces formules d’un autre âge ont été soigneusement répertoriées dans le lexique. Le logiciel LARA les repère et propose des solutions de rechange en langage courant, simple et actuel. Même chose si le terme ou l’expression qu’un rédacteur utilise est trop relevé, trop technique, trop juridique. Si la phrase est trop longue (40 mots), il le signale également. Le rédacteur, ensuite, a le choix de faire ce qu’il veut. Le guide, rédigé par une équipe de chercheurs du Centre de linguistique appliquée de Besançon, est très adapté à la réalité française. Il donne d’excellents conseils sur la présentation matérielle des courriers, la logique de l’argumentation à utiliser dans la communication avec les administrés, le point de vue à prendre, et, bien entendu, le ton et la terminologie à utiliser. Ainsi, mine de rien, au beau milieu du guide, les auteures recommandent de commencer par « Bonjour, » au lieu de « Monsieur, Madame, » les lettres types où le sexe du destinataire n’est pas à préciser. Pour terminer une lettre, elles proposent dans tous les cas l’une ou l’autre de ces deux petites formules toutes simples : « Bien respectueusement » ou « Restant à votre disposition ». Quel vent de fraîcheur, ne trouvez-vous pas?

Cette trousse s’adresse, bien entendu, aux fonctionnaires français et ne saurait être adoptée telle quelle ici en Amérique. Pour commencer, nos traditions et nos réalités administratives sont trop différentes. Nos administrations ont fait beaucoup de chemin dans la culture du service à la clientèle. Nous n’avons pas les mêmes problèmes en matière de rédaction. Notre voisinage avec la culture anglo-saxonne nous amène normalement à être plus direct, moins pompeux dans notre façon d’écrire. Et c’est en cela que la position prise en mars dernier par le COSLA peut nous rendre de si grands services. Ceux qui s’accrochent désespérément aux traditions séculaires du protocole épistolaire viennent de se faire couper l’herbe sous le pied : le gouvernement français lui-même recommande à ses agents de moderniser leur langage dans le sens de la simplification et de l’efficacité.

Pour nous, usagers du français en Amérique, le monde de l’écriture a énormément changé avec l’explosion des technologies de l’information. Le français vient de recevoir en douce du COSLA une cure de Jouvence qui ne peut que réjouir tous ceux et celles qui veulent son rayonnement dans le monde d’aujourd’hui.

Cette belle initiative ne peut pas s’appliquer intégralement chez nous, les problèmes n’étant pas toujours les mêmes. Il faut cependant que nous en profitions le plus rapidement possible. Pouvons-nous sérieusement conserver ici plus longtemps des conventions d’écriture qui nuisent à l’adaptation du français au monde d’aujourd’hui? Poser la question, c’est y répondre.

NOTE