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Mots de tête : « avant-midi »

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 15, numéro 4, 1982, page 7)

Dans un accès de purisme, un réviseur me confiait un jour qu’il ne pourrait jamais – dût-il se faire violence – se résigner à laisser dans un texte l’expression avant-midi. J’eus beau lui faire valoir qu’elle n’avait rien de répréhensible en soi, qu’elle était en usage au Québec depuis fort longtemps, que nos meilleurs auteurs l’employaient… Peine perdue. Je crois qu’il aurait accepté d’être rétrogradé plutôt que de s’abaisser à employer cet affreux barbarisme.

Je dis barbarisme, car c’est ainsi qu’Irène de Buisseret le désigne1. Et Geneviève Gilliot n’est pas loin d’être d’accord :

« Si l’on peut dire avant midi, comme on dirait avant minuit, on ne peut y ajouter un trait d’union, pour en faire un mot nouveau2. »

Voilà qui est clair et net.

Pour Gérard Dagenais, c’est un provincialisme :

« L’expression avant-midi formée au Canada [sic] sur le modèle d’après-midi est un provincialisme inutile. Il faut s’abstenir de l’employer quand on écrit ou quand on veut parler dans un langage soigné3. »

Victor Barbeau4 le range parmi les canadianismes, mais il signale qu’il s’emploie aussi en Belgique. Ce qui est confirmé par Albert Doppagne dans ses Régionalismes du français5. Mais pour celui-ci, il s’agit d’un belgicisme, qui est d’ailleurs absent de la liste des canadianismes qu’il donne en fin de volume.

Dans le recueil de ses entretiens radiophoniques avec sa chère Ingénie, Jean-Marie Laurence se montre plus nuancé :

« […] le nom avant-midi est aussi clair et bien formé qu’après-midi. En attendant que les Français l’apprennent, disons matin et matinée au nom de la bonne entente internationale6.  »

Si l’on veut, mais ils n’ont pas à l’apprendre, puisqu’ils le connaissent déjà, et depuis longtemps. Ce sont plutôt les rédacteurs des dictionnaires qui semblent l’avoir oublié (ou l’ignorer).

Puisque Jean Boisson, dans ses Inexactitudes et singularités de la langue française, prend la peine de nous dire qu’« avant-midi n’existe pas comme substantif7 », c’est qu’on l’emploie. Autrement, il ne le condamnerait pas.

Parmi les défenseurs de la langue, Gilles Colpron8 est le seul à signaler qu’il s’agit d’un archaïsme, tout en le classant parmi les anglicismes évidemment (croyant sans doute que c’est sous l’influence de l’anglais « forenoon » que nous l’avons conservé). Malheureusement, il ne donne aucune source. Il se peut qu’il l’ait relevé dans le Nouveau Dictionnaire national9 de Bescherelle, paru pour la première fois en 1845.

Le Trésor de la langue française10 le donne également, avec une citation à l’appui, qui date de 1933 :

« Chaque minute de cet avant-midi […] » (Malègue, Augustin, tome 2, p. 57.)

Et deux références, une de 1879, et l’autre de Marcel Aymé, que j’ai retrouvée :

« […] il en profita pour faire part à sa femme de la révolution de famille qu’il méditait depuis l’avant-midi11. »

Le Trésor signale en outre qu’il est employé en Suisse romande.

Dans un très long article sur l’anglicisme au Québec, Claude Poirier12 indique que le mot a vécu (sic) en français du XIIIe au XXe siècle, qu’on le retrouve notamment dans l’Encyclopédie de 1751 et le Larousse de 1866, qu’outre la Suisse romande et la Belgique, il s’emploie dans les parlers du Nord et du Nord-Est (franc-comtois et lyonnais), etc.

À la lumière de ce qui précède, comme dirait mon ami l’éclairagiste, je vois mal pourquoi nous hésiterions encore à employer avant-midi. C’est aussi l’avis de Joseph Hanse qui, dans son Dictionnaire des difficultés grammaticales et lexicologiques, dit ceci :

« Le silence des dictionnaires et des auteurs français condamne ce nom composé, parallèle au nom bien français après-midi. Il est courant en Belgique et il n’y a pas à en rougir13. »

Il ne s’agit pas d’écarter systématiquement matin et matinée, mais pour désigner cet « espace de temps qui comprend toute la matinée jusqu’à midi » (Bescherelle), c’est le mot qui nous vient spontanément au bout de la langue – et de la plume.

Le mot figure d’ailleurs au Petit Robert depuis 1977, comme régionalisme. Et il vient de faire son entrée au Petit Larousse de 1981. Comme régionalisme toujours.

Dans un vieux numéro de C’est-à-dire14, le rédacteur anonyme d’un bref compte rendu du Petit Larousse de 1968 exprimait le souhait que le dictionnaire ouvre ses colonnes à un plus grand nombre de canadianismes de bon aloi, dont avant-midi. Treize ans plus tard son vœu est exaucé.

NOTES

  • Retour à la note1 BUISSERET, Irène de. Guide du traducteur, Ottawa, Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario, 1972, p. 46.
  • Retour à la note2 GILLIOT, Geneviève. Ce que parler veut dire, Montréal, Leméac, 1974, p. 52.
  • Retour à la note3 DAGENAIS, Gérard. Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Montréal, Éditions Pedagogia, 1967, p. 415.
  • Retour à la note4 BARBEAU, Victor. Le Français du Canada, Québec, Garneau, 1970, p. 182.
  • Retour à la note5 DOPPAGNE, Albert. Les Régionalismes du français, collection Boîte à outils de la langue française, Paris-Gembloux, Duculot, 1978, p. 52.
  • Retour à la note6 LAURENCE, Jean-Marie. Notre français sur le vif, Montréal, Centre de Psychologie et de Pédagogie, 1947, p. 247.
  • Retour à la note7 Cité par DUPRÉ, P. Encyclopédie du bon français, tome I, Paris, Éditions de Trévise, 1972, p. 229-230.
  • Retour à la note8 COLPRON, Gilles. Les Anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970, p. 148.
  • Retour à la note9 BESCHERELLE, Aîné. Nouveau Dictionnaire national, Paris, Garnier Frères, tome 1, 1887, p. 363.
  • Retour à la note10 Trésor international de la langue française, Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, tome 3, 1974, p. 1058-1059.
  • Retour à la note11 AYMÉ, Marcel. La Jument verte, Paris, Le Livre de Poche, 1963, p. 248. (Paru en 1933.)
  • Retour à la note12 POIRIER, Claude. « L’anglicisme au Québec et l’héritage français », Travaux de linguistique québécoise, 4e section, vol. 2, Québec, Presses de l’Université Laval, 1978, p. 65.
  • Retour à la note13 HANSE, Joseph. Dictionnaire des difficultés grammaticales et lexicologiques, Bruxelles, Les Éditions C.N.E.S., 1971, p. 121.
  • Retour à la note14 C’est-à-dire, mai-juin 1968, vol. iv,  6, p. 7.