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Mots de tête : Traduire « eventually » par « à terme »? Éventuellement…

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 17, numéro 3, 1984, page 8)

Il revenait éventuellement au quotidien de Vancouver.
(Michel Gratton, Le Droit.)

Autant il est réjouissant de voir l’usage apporter un démenti aux interdits qui n’ont pas ou qui n’ont plus de raison d’être, autant il est exaspérant de voir certaines fautes s’obstiner à polluer notre paysage linguistique.

Parmi ces fautes récalcitrantes, l’anglicisme éventuellement (eventually) n’est pas des moins tenaces. Malgré les condamnations de Victor Barbeau, Irène de Buisseret, Gilles Colpron, Gérard Dagenais1, et j’en passe, il se porte assez bien, merci. On l’entend à la télévision, on le lit dans les documents officiels, dans la presse. Et pas seulement dans Le Droit.

D’ailleurs, ce n’est pas une faute propre au Canada français. Si elle est moins répandue en France, elle l’est assez pour que Grandjouan juge utile d’en parler dans ses Linguicides2, et Koessler dans ses Faux Amis3.

En deux mots, voici la différence entre ces frères jumeaux : eventually exprime une certitude (Eventually, we must die); éventuellement, une possibilité (« Je ferai éventuellement [au besoin, le cas échéant] appel à votre concours »).

Les équivalents du terme anglais ne manquent pas. Le premier dictionnaire bilingue nous en fournit toute une brochette : finalement, en fin de compte, en définitive, à la longue, à la fin. Mais ils ne « prennent » pas, semble-t-il. Ou bien le pouvoir d’attraction de l’anglais est trop fort, ou bien il leur manque ce quelque chose qui fait le succès des modes.

C’est en jonglant avec cette notion de mode que m’est venue à l’idée la formule du clou qui chasse l’autre. Je m’explique. Si l’on veut supplanter une mode, quel est le meilleur moyen d’y arriver? C’est d’en lancer une autre, aurait dit M. de La Palice. Ce que je me propose de faire.

Il y a en ce moment une expression qui connaît une vogue exceptionnelle, quasi inexplicable. On la voit de plus en plus souvent dans la presse et dans des ouvrages « sérieux ». Elle a un je ne sais quoi de réfléchi, de pondéré. Il s’agit de à terme :

Mais pour garantir l’indépendance de la FONDA, nous souhaitons à terme avoir une totale autonomie financière4.

« Faire du saupoudrage » au petit bonheur la chance (…) se traduirait à terme par la disparition5

À terme, l’abonné pourrait jouer avec des images6

Le régime chilien doit faire face à une opposition dont l’ampleur témoigne qu’il est condamné à terme7.

Le MPD réclame d’ailleurs l’unification à terme des deux regroupements d’opposition8.

Des journalistes, passons aux spécialistes :

Ce peut être là la forme indirecte d’une probité professionnelle, « à terme »9.

Cette citation, de Robert Catherine, date de 1974. Les guillements sont une sorte d’avertissement au lecteur : « Ralentir, néologisme ». J’ai pourtant une source qui remonte à 1966. Un texte de Pierre-Jakez Hélias, le célèbre folkloriste bretonnant :

(…) un mouvement de renaissance de notre langue dont on ne saurait mésestimer l’importance, mais seulement à terme10.

Plus récemment, un économiste :

Ce serait un geste magnifique de solidarité humaine et, en même temps, une opération « avantageuse » à terme11

Et un sociologue :

La victoire des « hommes du président » se traduira, à terme, par un affaiblissement de la présidence12

(…) comprendre les conséquences secondaires que les lois peuvent avoir, à terme, pour ces groupes13.

Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux exemples que j’ai relevés. Devant un tel foisonnement, on s’étonne du silence des dictionnaires. Bien sûr, on trouve « achat à terme », « mener à terme », mais c’est tout. Seul le Grand Larousse de la langue française enregistre cet usage :

À terme, dans un délai quelconque prévisible : « Comme cette affaire est engagée, on peut prévoir à terme l’échec ».

Si cette tournure se rencontre à tout bout de champ en terre hexagonale, elle est beaucoup moins fréquente chez nous. Mais elle commence à se répandre. Je l’ai lue dans un article de Claude Morin sur le Canada14, et sous la plume de l’éditorialiste en chef du Droit :

Il proclame que tout l’Ouest est menacé à terme15.

C’est bon signe. Certes, seul l’avenir décidera de la fortune de cette expression, mais il ne me paraît pas utopique d’espérer qu’elle puisse – à terme – détrôner ce malencontreux éventuellement.

Pour sa part, le traducteur qui aime faire moderne, être à la page, dispose désormais d’une nouvelle corde à son arc. Pourvu qu’il n’en abuse pas. Car à terme et eventually ne sont quand même pas de parfaits équivalents. La traduction « automatique », ce n’est pas demain la veille. Pour bien traduire, on devra continuer à faire travailler ses méninges. Après tout, n’est-ce pas une condition sine qua non du bon traducteur, qu’il ait un peu de jarnigoine (comme disent les gens)?

NOTES