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Mots de tête : « en rapport avec »

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 14, numéro 10, 1981, page 2)

Si vous écoutez les nouvelles locales à la radio, surtout le lundi matin semble-t-il, je parierais mon exemplaire du Guide du traducteur que l’annonceur vous dira, à un moment ou l’autre, que tel ou tel individu a été arrêté « en rapport avec » un accident, un vol, un viol. Pour vous, puriste par déformation professionnelle, c’est un cheveu blanc de plus, une nouvelle ride au front, que sais-je?

Vous l’aurez deviné, il s’agit d’un anglicisme. Qui ne date pas d’hier d’ailleurs. Si vous avez la mémoire longue, vous vous souviendrez que, dès 1888, Arthur Buies1 le condamnait. Depuis, la plupart des redresseurs de nos torts langagiers lui ont emboîté le pas : Barbeau, Clas et Horguelin, Colpron, Dagenais, Dubuc, Dulong, Fortin, Lorrain2 – un peu plus et l’alphabet y passerait –, tous nous disent que c’est un calque de l’anglais "in relation to" ou "in connection with". Ils ont en quelque sorte l’aval des dictionnaires bilingues, qui rendent la tournure anglaise par « relativement à », « par rapport à », « quant à », « concernant », etc., et notre expression par "in keeping/in harmony/in line with sthg". Et des dictionnaires unilingues aussi, qui ne reconnaissent à cette locution que le sens de « proportionné à » ou « qui correspond/convient à ».

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas un péché dont le Québec aurait de monopole. Les Français ont l’air d’y prendre goût :

Un traducteur de l’anglais :

« Il nota tout ce qui pouvait être en rapport avec l’imbroglio Gunn (…)3. »

Deux traducteurs du russe :

« Mais la bévue la plus cruelle a été commise en rapport avec l’incompréhension de la guerre du Vietnam4. »

« J’aurais trois questions à vous poser en rapport avec les plaintes que j’ai déposées (…)5. »

Un « doubleur » de film :

« En rapport avec l’enquête…. » (Au nom du peuple italien de Dino Risi.)

Un journaliste français :

« Que savons-nous de lui en rapport avec le meurtre6? »

Un universitaire, spécialiste de Descartes :

« En rapport avec cette problématique réaliste (…)7. »

Et même un rédacteur de la maison Larousse :

« Mouche volante, apparition, dans le champ visuel, de points brillants ou de taches noires, en rapport avec des corps flottants de l’humeur vitrée (…)8. »

On m’objectera sans doute que ce dernier exemple ne correspond pas à l’acception douteuse dont il est question. Je veux bien, mais je vois mal comment on pourrait prétendre qu’il s’agit du sens des dictionnaires. C’est une sorte de sens intermédiaire, l’idée d’avoir pour cause : « taches noires dues à des corps flottants ». Et pour embrouiller les choses encore plus, on rencontre une troisième acception chez nul autre que feu Maurice Grevisse.

Dans son Évolution du langage agricole franco-canadien9, David Fortin, après avoir signalé qu’il a relevé cet usage dans un périodique européen, ajoute que Grevisse emploie cette tournure dans un sens légèrement différent de celui des dictionnaires. Effectivement, dans l’index du Bon Usage, on peut lire ceci : « De, préposition, en rapport avec ou ». On voit nettement l’idée de lien ici. Et on retrouve un exemple identique dans la 5e série des Problèmes de langage : « accord de l’adjectif en rapport avec ou »10.

Colpron11 a beau soutenir que la locution, employée par Grevisse, a une valeur adjective (« qui se rapporte à ») et non une valeur prépositive comme dans l’emploi dénoncé, je n’en suis pas pleinement convaincu.

Que peut-on conclure de tout cela? Qu’il faut lever l’interdit? Se contenter d’une mise en garde? Ou attendre que les dictionnaires sanctionnent cet usage?

Je me garderai bien de trancher, mais je tenais à apporter ces quelques précisions, afin qu’on sache tout au moins qu’il ne s’agit pas d’un anglicisme québécois « pure laine ».

NOTES

  • Retour à la note1 ARTHUR BUIES, Anglicismes et canadianismes, coll. « Introuvables québécois », Montréal, Leméac, 1979, p. 22-23.
  • Retour à la note2 LÉON LORRAIN, Les Étrangers dans la cité, Montréal, Presses du Mercure, 1936, p. 43.
  • Retour à la note3 LEE DUNNE, I.R.A.-cible, Paris, Gallimard, coll. « Série noire », 1981, p. 151. (Traduction par Michel Deutsch)
  • Retour à la note4 ALEXANDRE SOLJÉNITSYNE, « Le déclin du courage », L’Express, 78.06.25, p. 74. (Traduction par Geneviève et José Johannet)
  • Retour à la note5 ANDREI AMALRIK, Journal d’un provocateur, Paris, Seuil, 1980, p. 85. (Traduction par Antoine Pingaud)
  • Retour à la note6 GUY SITBON, « Celui par qui le scandale a failli arriver  », Le Nouvel Observateur, 24.07.72, p. 26.
  • Retour à la note7 FRANÇOIS MIZRACHI, Présentation du Discours de la méthode, Paris, 10/18, 1965, p. 17.
  • Retour à la note8 LEXIS, Larousse, 1975.
  • Retour à la note9 DAVID FORTIN, Évolution du langage agricole franco-canadien, Québec, Presses de l’Université Laval, 1968, p. 37.
  • Retour à la note10 MAURICE GREVISSE, Problèmes de langage, 5e série, Duculot, 1970, p. 353 (index).
  • Retour à la note11 GILLES COLPRON, Les Anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1979, p. 196.